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Marche contre les violences sexistes : les proches de victimes de féminicides dénoncent le "mépris" du gouvernement

Franceinfo a interrogé Sandrine Bouchait, la présidente de l'UNFF, dont le but est de venir en aide aux proches des victimes. 

Article rédigé par Kocila Makdeche - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles, 70 organisations, syndicats et associations appellent à manifester à Paris, le 23 novembre 2019, à l'appel du collectif #NousToutes.  (JESSICA KOMGUEN ET AWA SANE / FRANCEINFO)

Des milliers de personnes dans la rue pour dénoncer les féminicides. Décidé à "mettre la pression sur le gouvernement" à quelques jours de la fin du Grenelle des violences conjugales, le collectif féministe #NousToutes organise, samedi 23 novembre, une marche parisienne. A 14 heures, le cortège partira de la place de l'Opéra en direction de la place de la Nation. 

Près de 70 organisations, partis politiques, syndicats et associations ont appelé à rejoindre le défilé, tout comme plusieurs personnalités, dont les comédiennes Muriel Robin, Julie Gayet ou Virginie Efira. L'Union nationale des familles de féminicide (UNFF) prendra la tête du cortège pour "dénoncer le mépris que l'Etat oppose aux familles". Franceinfo a donné la parole à sa présidente, Sandrine Bouchait. 

Franceinfo : Pourquoi teniez-vous à être en tête du cortège ?

Sandrine Bouchait : Le collectif #NousToutes nous a gentiment invitées à ouvrir la marche et nous avons évidemment accepté. Les féminicides sont une préoccupation nationale qui doit interpeller tout le monde, mais nous, les familles de victimes, sommes évidemment les premières concernées. Et pour honorer la mémoire de nos mères, filles et sœurs tuées par ces hommes violents, nous défilerons en portant leurs portraits.

Nous voulons aussi faire entendre notre désœuvrement car rien n'est prévu par les pouvoirs publics pour prendre en charge les familles endeuillées. On n'est absolument pas suivis, ni psychologiquement, ni administrativement. Depuis le début de l'année, 136 femmes sont déjà mortes. Un chiffre équivalent au nombre de victimes de l'attentat du Bataclan. Mais après un drame de ce type, le gouvernement est capable de déclencher tout un dispositif : cellule psychologique, aide financière, suivi judiciaire. Nous, nous n'avons rien. 

Que réclamez-vous pour améliorer la prise en charge des familles de victimes ? 

La première chose à faire serait de mettre des psychologues dans les commissariats pour annoncer le décès aux familles. La policière qui m'a annoncé la mort de ma sœur a été très maladroite. Et ma mère, elle, l'a carrément appris d'un voisin dans la salle d'attente du commissariat. Les policiers ne sont pas formés à ce genre de choses et cela peut être extrêmement traumatisant pour les familles.

Ensuite, nous demandons qu'un suivi psychologique soit proposé aux proches des victimes. Après l'annonce, on se retrouve complètement seuls à devoir tout gérer : trouver un psy, un avocat, organiser les obsèques, éventuellement récupérer la garde des enfants de la victime... La moindre des choses serait de nous donner le contact d'une association, mais ce n'est même pas le cas.

Enfin, il est essentiel de changer la loi pour protéger les enfants dont la maman a été tuée par leur père. Il faut déchoir systématiquement les pères condamnés de leur autorité parentale et non les suspendre, comme c'est le plus souvent le cas. Aussi, nous demandons la levée de facto de l'obligation alimentaire à l'adresse des pères meurtriers. Celle-ci contraint aujourd'hui les enfants à prendre en charge financièrement leur père. Il y a par exemple eu des cas où des enfants ont été obligés de payer l'Ehpad de leur père meurtrier à sa sortie de prison.

Après près de trois mois de concertations dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, le gouvernement doit annoncer, lundi 25 novembre, une série de mesures. Pensez-vous avoir été entendues ? 

Quand le Grenelle a été annoncé, nous, familles, étions très enthousiastes. On a vite déchanté. Seules dix familles ont été invitées pour témoigner, sans qu'on sache comment la sélection a été faite. Ça a créé beaucoup de frustrations et c'est en partie pour cette raison que nous avons décidé de créer l'association en octobre. Isolées, chacune dans notre coin, nous ne sommes pas considérées par le gouvernement.

Au final, ce Grenelle, je le vois comme une grosse opération de communication. Cela a eu le mérite de sensibiliser l'opinion publique. Aujourd'hui, il faut vraiment vivre dans une grotte au fond du Larzac pour ne pas avoir entendu partie du fléau que sont les féminicides. En revanche, j'ai assez peu d'espoir sur les mesures qui vont découler de ce Grenelle. Ce qu'il faut, c'est agir concrètement et rapidement pour protéger les femmes.

Comment agir concrètement, comme vous le dites, pour lutter contre les féminicides ?

Face aux hommes violents, il faut agir de trois façons : les priver de leurs droits parentaux, comme je l'ai déjà dit, mais aussi limiter leur liberté et les contraindre financièrement. Pour protéger les femmes qui portent plainte, le gouvernement veut élargir le recours aux bracelets antirapprochement avant la condamnation pour les hommes violents, mais avec leur approbation. Ma sœur, est-ce qu'on lui a demandé son approbation avant de la tuer ? En France, il existe un principe de précaution qu'on applique dans plein de secteurs. Nous regrettons que ce ne soit pas le cas pour les violences conjugales. Il faut évidemment respecter la présomption d'innocence, mais est-ce que faire porter un bracelet électronique à un homme avant son procès va le tuer ? Non. Par contre, ça peut éviter à des femmes d'être tuées.

Enfin, ce ne doit plus être aux familles de quitter le domicile familial, alors qu'elles sont, elles, les victimes. Avec l'association, nous avons accueilli une victime qui est passée de foyer en foyer avec ses enfants, sans même pouvoir sortir comme elle voulait. Ce n'est plus possible. Lorsqu'un homme est violent, c'est lui qui doit être éloigné de chez lui. Il doit être placé dans un foyer spécialisé, qu'il paye de sa poche, où il est suivi psychologiquement. Ce n'est que comme ça qu'on y arrivera. 

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