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Limitation à 80 km/h : 40 millions d'automobilistes publie un rapport contesté sur l'expérimentation

L'association, opposée à la limitation à 80 km/h, a présenté un bilan très critique, mardi 13 février, sur un essai de la mesure mené à partir de 2015. Une version des faits à prendre "avec beaucoup de circonspection", estime une autre association, Prévention routière, favorable à la baisse de vitesse.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Des motards en colère manifestent contre la limitation à 80km/h, le 3 février 2018 à Paris. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

"Le bilan que le gouvernement voulait garder secret." Dans un dossier mis en ligne mardi 13 février et relayé par Le Point, l'association 40 millions d'automobilistes dresse son propre bilan de l'expérimentation de la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires. "Les chiffres présentés dans le présent bilan démontrent que la baisse de la limitation de vitesse n’a en rien permis de réduire la mortalité routière sur ces axes", assène l'association, opposée à la mesure décidée début janvier par le gouvernement.

Ce bilan de l'association porte sur une expérimentation lancée en 2015. A l'époque, Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, avait décidé d'expérimenter la limitation de la vitesse sur trois tronçons accidentogènes : 13 km sur la RN 57 entre Vesoul et Rioz, 55 km sur la RN 151 entre Auxerre et La Charité-sur-Loire, 18 km sur la RN 7 entre Crozes et Hermitage-Valence. Cette expérimentation a débuté en juillet 2015 et s'est achevée en juillet 2017.

L'association "demande au gouvernement de renoncer"

Selon les chiffres compilés par l'association, il y a eu 18 accidents sur ces tronçons entre juillet 2015 et décembre 2016, pour 20 blessés légers, 20 hospitalisés et 3 morts. Sur la même période de temps, entre janvier 2014 et juin 2015, le bilan est de 22 accidents, pour 7 blessés légers, 29 blessés hospitalisés et 3 morts. "La baisse de la limitation de vitesse n’a pas permis de réduire la mortalité routière. (...) A l’aune de ces nouveaux éléments, 40 millions d’automobilistes demande au gouvernement de renoncer à la mesure de généralisation des 80 km/h", conclut donc l'association dans un communiqué.

Mais cette étude est-elle fiable et significative ? Le gouvernement n'a jamais donné de bilan de l'expérimentation en terme d'accidentologie. Seul le Cerema (centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) a publié une étude, mais elle ne porte que sur la vitesse moyenne. L'association d'automobilistes s'est donc basée sur les fichiers BAAC 2015 et 2016 du ministère de l'Intérieur, qui recensent avec précision les accidents de la route en France et a relevé chaque accident sur les trois tronçons expérimentés, d'une longueur totale de 86 km. Une source fiable et officielle.

Une étude à prendre "avec circonspection"

Mais pour l'association Prévention routière, favorable à la mesure du gouvernement, "il faut prendre avec beaucoup de circonspection cette étude". "En matière de sécurité routière, compte tenu de la faible fréquence des accidents mortels, une expérimentation se conduit en général sur cinq années, explique à franceinfo Anne Lavaud, déléguée générale de l'Association. Nous avions dit dès le départ que les tronçons étaient beaucoup trop petits et la durée trop faible pour tirer des conclusions concernant l'accidentalité."

86 km, ce n'est rien à l'échelle de notre réseau (...) cela ne peut pas avoir de valeur statistique.

Anne Lavaud

à franceinfo

Un constat partagé par le délégué interministériel à la sécurité routière. "Le but de cette expérimentation n’était pas de mesurer la baisse de l’accidentalité, ce qui n’a aucun sens en terme statistique sur une période aussi courte, mais de vérifier si les automobilistes roulaient moins vite", explique Emmanuel Barbe au Parisien. Pour avoir des éléments de comparaison, il faudrait "une expérimentation à très large échelle, sur plus de la moitié du réseau", estime Prévention routière.

"Comparaison n'est pas raison"

L'association de sécurité routière s'étonne également de la comparaison choc dressée par Pierre Chasseray, président de 40 millions d'automobilistes, dans Le Point : "Un tué tous les 28,7 km" sur les tronçons limités à 80 km/h contre "un tué tous les 202 km" sur le reste du réseau. "En l'espèce, comparaison n'est pas raison", estime Anne Lavaud. L'association 40 millions d'automobilistes reconnaît d'ailleurs que les portions de routes sélectionnées "démontraient une accidentalité supérieure à la moyenne nationale avant la mise en œuvre de l’expérimentation".

Les autres chiffres avancés montrent en outre que le bilan n'est pas univoque. Si le nombre de tués est stable, le nombre d'accidents baisse (-18 %), de même que le nombre de blessés graves (-31 %). Seul le nombre de blessés légers (+186 %) augmente. Malgré les réserves méthodologiques formulées sur ce bilan, Anne Lavaud observe que ces chiffres ne sont pas très éloignés des conclusions du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), qui recommandait la limitation à 80 km/h dès 2014 : "La baisse de la vitesse, facteur aggravant, déplace le curseur de gravité d'un accident. En gros, les tués deviennent des blessés graves, les blessés graves des blessés légers."

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