Reportage On a suivi Stéphane Dilé, vétérinaire de campagne qui côtoie tous les jours des agriculteurs

Article rédigé par Florence Morel - Envoyée spéciale dans les Deux-Sèvres et en Vendée
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Stéphane Dilé dans une exploitation des Deux-Sèvres, le 1er février 2024. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)
A la tête de deux cabinets dans les Deux-Sèvres et en Vendée, le praticien connaît bien le mal-être des éleveurs.

Pour exercer le métier de vétérinaire en milieu rural, il faut supporter les odeurs de lisier, de poulets à disséquer et de croquettes pour chiens. Stéphane Dilé n'y prête plus attention. "Je préfère encore ça à l'odeur de sueur", ironise le vétérinaire, à la tête d'une clinique regroupant deux cabinets à Moncoutant-sur-Sèvre (Deux-Sèvres) et La Tardière (Vendée).

Blouse marron sur les épaules et stéthoscope autour du cou, l'homme de presque 65 ans pourrait être médecin de campagne. Seules ses bottes crottées trahissent un travail loin d'un cabinet médical.

Stéphane Dilé et Florentin Gerbaud, sur une exploitation agricole de Vendée, le 1er février 2024. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

Eviter les coups de cornes, filer quand un taureau lui fonce dessus, sortir un veau de plus de 40 kg du ventre de sa mère... Le vétérinaire rural soigne toujours ses patients, essentiellement des vaches et leur progéniture, directement dans les fermes. Cette proximité avec le milieu agricole explique la présence des vétérinaires au Salon international de l'agriculture, qui se tient à Paris jusqu'au 3 mars.

Stéphane Dilé, lui, ne s'y rendra pas cette année, accaparé par son travail. Passionné, il se dit aussi inquiet pour l'avenir de sa profession. Travail de nuit, les week-ends, les jours fériés, dans des territoires ruraux pas toujours attractifs... Comme en médecine générale, l'image du vétérinaire de campagne, qui exerce seul et regarde rarement sa montre, quitte à travailler plus de 60 heures par semaine, n'attire plus beaucoup. Diplômé en 1983, Stéphane Dilé incarne cette ancienne génération qui accepte de parcourir quelques kilomètres supplémentaires pour remplacer ses confrères retraités, évitant ainsi que les éleveurs des alentours ne se retrouvent sans solution.

En France, ils étaient en 2022 près de 6 500 à s'occuper des animaux d'élevage, selon le conseil national de l'Ordre (PDF), soit 16,4% du nombre total de vétérinaires. Une proportion qui est en "constante baisse", note l'instance, alors que le nombre de praticiens exerçant auprès des animaux de compagnie, lui, augmente. Rien qu'en Vendée, le nombre de "vétos qui font de la rurale" a baissé de 25%, entre 2016 et 2020, souligne le praticien, également vice-président du conseil de l'ordre des Pays de la Loire.

Plus de 35 000 kilomètres par an

Première intervention de la journée, jeudi 1er février. Direction une ferme de La Châtaigneraie, en Vendée, où un veau souffre d'insuffisance respiratoire depuis une épidémie de grippe particulièrement violente qui s'est déclenchée quelques semaines plus tôt. Pas sûr qu'il s'en remette. Les doigts du vétérinaire parcourent le flanc de l'animal. A ses côtés, Florentin Gerbaud, un jeune éleveur, fronce les sourcils. Décidé à reprendre l'exploitation de son père dans quelques années, l'ouvrier agricole s'inquiète pour le veau. "A cause de la grippe, treize sont morts sur les 42 nés ici. C'est beaucoup", regrette-t-il en tentant de retenir le protocole de soins dicté par le véto. "Je lui ai fait un prélèvement de selles aussi, ajoute Stéphane Dilé, comme pour le rassurer. Je vous tiendrai au courant des résultats". 

Stéphane Dilé réalise un prélèvement sanguin sur un veau dans une exploitation des Deux-Sèvres, le 1er février 2024. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

Au volant de son énorme 4x4 qui avale chaque année 35 000 kilomètres, cet amoureux de la campagne pourrait parler des éleveurs pendant des heures. "Là, c'est une exploitation qui est plus expérimentée dans l'élevage, introduit-il avant une nouvelle visite, dans les Deux-Sèvres cette fois. Mais le fils a repris seul, il a dû réduire la voilure et élever moins de bêtes". C'est le père, retraité depuis peu, qui le reçoit en tenue de travail. A croire que l'homme de bientôt 70 ans n'a jamais raccroché. "Vous n'êtes pas à la retraite ?", lui lance Stéphane Dilé dans un rire, avant de sortir ses seringues pour effectuer des prélèvements sanguins sur quatre veaux fraîchement achetés par l'éleveur.

Divorces, cancers, moral en berne... Au fil des interventions, difficile de dire qui, de l'éleveur ou de l'animal, le vétérinaire soigne le plus. Il connaît tout des exploitants, à qui il rend visite au moins une fois par mois. "J'ai vu certains de leurs gosses grandir, ce sont presque des collègues, explique-t-il. Quand certains pleurent sur vos épaules, parce qu'ils sont au bout du rouleau, vous ne faites pas le fier. J'exerce avant tout ce métier par amour des êtres humains, pas des animaux. Si je devais faire un choix entre les bêtes ou la sécurité de l'éleveur, je privilégierais toujours l'humain", souligne-t-il.

"Il nous arrive de remarquer un coup de mou, si l'éleveur met du temps à nous appeler quand une bête est malade, s'il prend du retard sur les traitements de ses animaux ou s'il a des difficultés pour nous payer."

Stéphane Dilé, vétérinaire de campagne

à franceinfo

C'est d'ailleurs ce lien privilégié entre le vétérinaire et les éleveurs que tente timidement de mettre à profit l'association Sentinelles, qui lutte contre le mal-être des agriculteurs. Elle a approché le conseil de l'ordre des vétérinaires des Pays de la Loire pour les alerter sur le sujet. "Mais aucune procédure n'a été actée, regrette Stéphane Dilé. Cela relève du volontariat et je n'ai pas été formé pour répondre à ce genre de problématique." Une formation qui paraît nécessaire, quand on sait que les vétérinaires sont au contact direct des éleveurs bovins, "particulièrement touchés par le suicide" selon une étude publiée en 2016 (PDF) par Santé publique France. Entre 2007 et 2009, 417 agriculteurs et 68 agricultrices se sont donné la mort, faisant du suicide la troisième cause de mortalité chez ces exploitants, après les cancers et les maladies cardiovasculaires, selon un rapport sénatorial de 2021.

Stéphane Dilé (au premier plan) dans une exploitation agricole des Deux-Sèvres, le 1er février 2024. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

Stéphane Dilé aimerait être mieux armé pour affronter cette détresse. Surtout lorsqu'il est porteur d'une mauvaise nouvelle pour l'éleveur, comme le fut son associé, René Planel, en mai 2022. Spécialisé dans la volaille, le vétérinaire a dû affronter une crise sans précédent : l'influenza aviaire, qui a décimé les élevages de la région et provoqué l'abattage de plus de 9 millions de canards, poules pondeuses et dindes entre 2021 et 2022, selon la direction départementale de la protection des populations, citée par Ouest-France

Agir pour la santé publique

Cette période d'épidémie a été marquée par 12 semaines de travail intense, avec un seul jour de repos toutes les trois semaines pour René Planel. "Le nombre de volailles mortes augmentait de façon exponentielle. On en comptait 31 le vendredi, puis le lundi, sur les 30 000 volailles de l'exploitation, il n'en restait plus que 1 500 vivantes."

"Lutter contre cette épidémie, c’était comme une guerre. Sauf qu'au bout d’un moment, on ne savait plus quel combat on menait."

René Planel, vétérinaire

à franceinfo

Œuvrer pour la santé publique impliquait alors d'ordonner l'abattage de milliers d'animaux, laissant les exploitations vides et des éleveurs dans l'incertitude. "Certes, on s'attache moins aux volailles qu'à un chien, mais je vous assure que ces éleveurs aiment leurs bêtes. Il a fallu en ramasser à la petite cuillère", se souvient René Planel, qui en a guidé certains dans leurs démarches ou leur a simplement offert une écoute attentive.

Puis la sidération a peu à peu fait place à l'incompréhension et la culpabilité. "Les éleveurs se demandaient pourquoi ça leur tombait dessus, raconte-t-il. 'Pourquoi mon élevage est-il touché et pas celui de mon voisin ?' 'Pourquoi une épidémie se déclenche-t-elle ici et pas ailleurs ?'" A l'image d'un médecin face à un patient, le vétérinaire n'a pas de réponses à ces questions mais il doit gérer le stress et la culpabilité qui rongent les agriculteurs. "La filière de la volaille est très familiale, il y a beaucoup de liens humains et sociaux entre les éleveurs. Ce qui explique cette pression de ne pas contaminer l'exploitation d'à côté et la honte que ça leur soit arrivé".

Stéphane Dilé (à droite) et un exploitant agricole dans les Deux-Sèvres, le 1er février 2024. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

 

Ces mois de crise n'ont pas affecté la vocation de René Planel, qui revient exercer auprès des éleveurs de volaille avec le sourire, grâce à la campagne de vaccination contre la grippe aviaire mise en place fin 2023. Comme son confrère, Stéphane Dilé garde cette passion pour son métier, malgré les distances qui s'allongent au fil des départs en retraite et les nuits qui raccourcissent.

Même quand, réveillé en pleine nuit dans le froid de février, le véto tout-terrain a fait une heure et demie de route pour effectuer une césarienne et faire naître un petit veau. "C'est ça aussi, le contact avec les agriculteurs, des moments de joie et de complicité. Je dois pratiquer une centaine de césariennes chaque année, mais ce sentiment reste intact". Des moments d'émotion qui, il l'espère, sauront convaincre la nouvelle génération de vétérinaires de prendre sa relève.

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