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Cinq ans après "L'Amour est dans le pré", "le célibat jusqu’à la mort" pour Pascal Jacquemin

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Pascal Jacquemin, céréalier à Sompuis (Marne) et ancien candidat de "L'Amour est dans le pré", l'émission de téléréalité de M6, le 22 janvier 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

A l'occasion du Salon de l'agriculture, francetv info est allé à la rencontre d'agriculteurs qui ont été sous le feu des projecteurs.

"C'était il y a cinq ans. Et depuis, pas grand-chose n'a changé." Pascal Jacquemin a eu son heure de gloire. Ce céréalier de la Marne a été l'un des candidats de "L'Amour est dans le pré", l'émission de téléréalité rurale sur M6. C'était en 2010. Il se cherchait une compagne. Il ne l'a pas trouvée. Cinq ans plus tard, il a perdu quelques kilos et porte les cheveux bien plus courts. Mais à 44 ans, il reste célibataire, comme plus d'un quart des agriculteurs, et fataliste. "La téléréalité, ça va m'amener au célibat jusqu’à la mort", lâche-t-il.

"Jack le paysan" - le surnom lui colle à la peau depuis l’école agricole - donne rendez-vous dans un restaurant au bord de la Nationale 4 sillonnée par les camions, le Gas Oil, du nom d’un film avec Jean Gabin. Il y a ses habitudes. Son histoire avec la télé commence en 2009. "Une dame m’a donné un numéro de La France agricole avec une annonce pour l’émission. J’ai envoyé un courrier." Le costaud moustachu à l'accent champenois est sélectionné. Le tournage dure un peu moins d'une vingtaine de jours.

"Je suis tombé dans un piège"

Pascal reçoit douze lettres de femmes souhaitant le rencontrer. Il en retient quatre. La production le pousse à en sélectionner huit. Mais seules deux des prétendantes retenues viennent au speed-dating à Paris. Et une seule se présente pour passer quelques jours dans sa ferme. Pas celle qu’il tenait vraiment à rencontrer. Mais il joue le jeu jusqu'au bout, sans se faire d'illusion.

J’étais parti seul et j'allais finir seul. Je l’ai compris pendant l’émission, malheureusement trop tard.

Pascal Jacquemin

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Le téléspectateur, lui, ne voit que sa maladresse, et n'entend que ses silences. "La télévision, c’est du montage. Ils ne gardent que ce qu’ils veulent", se défend Pascal Jacquemin. "Les gens me prennent pour ce que je ne suis pas. On me dit grand taiseux, mais je n’avais pas grand-chose à dire non plus." Flanqué d'un journaliste, de deux cameramen et de deux preneurs de son, l'agriculteur est déstabilisé par le tournage. "Quand on ne connaît pas ce genre de choses, on se fait avoir. La seule chose à regretter, c’est la stratégie de communication qu’il aurait fallu y mettre. Je suis tombé dans un piège, j’ai tout loupé", conclut-il.



Certains anciens candidats sont aujourd'hui en couple, mariés avec des enfants. Ils ont même sorti des livres et sont passés dans d’autres émissions de téléréalité. Rien de tout cela pour le Marnais. "J’ai reçu des lettres bien bizarres, au moins 1 500, toutes plus farfelues les unes que les autres. Parfois, c’était même putassier. J’ai tout brûlé."

"C'est un truc à rendre dingue"

"Ça a été infernal pendant un an et demi. J’aime bien courir les brocantes. Mais je ne pouvais plus circuler sans être arrêté par les gens. Les photos, les autographes, j’en ai fait énormément. Les mouvements de foule, c’est imprévisible. Une fois, j’ai été obligé de partir, et ce sont les gendarmes qui m’ont remis dans ma voiture. Ça commence à se tasser, mais c’est un truc à rendre dingue", raconte-t-il. 

Il n’y avait personne pour m'aider à gérer la célébrité qu’ils m'avaient fait tomber dessus.

Pascal Jacquemin

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Dans sa voiture, le lecteur CD crache le dernier album d'AC/DC. Autour, il n'y a que des champs parsemés de bois. A perte de vue. Pascal Jacquemin est intarissable sur sa grande passion : le metal. "J’ai déjà pris mon billet pour le Hellfest [le plus grand festival français du genre]. J'espère ne pas être coincé par les travaux des champs." Des albums, il en a 1 500 en vinyles. Autant de CD. Et 300 tee-shirts. "A force d’acheter, je ne sais plus ce que je possède. J’ai des doublons", s'amuse-t-il.

Paysans depuis six siècles

Le quadragénaire habite la ferme familiale, à Sompuis, un village de 300 âmes entre Reims et Troyes, dans la Champagne "pouilleuse". Dans la longère vieille d'un siècle, "c’est un peu le boxon", euphémise-t-il, avant de se justifier : "Je suis tout seul, j’occupe l’espace comme je veux et je range quand j’en ai envie." Au mur, il a punaisé la carte du département. "Pour trouver les patelins quand je vais faire les brocantes." Dans la cheminée, il entasse son matériel de "chasseur d'images". La photo d'animaux sauvages est son hobby. La paperasse s'étale sur la table, les chaises et le sol.

Chez les Jacquemin, on est agriculteur depuis plus de six siècles. Son père habite une maison basse de l'autre côté de la rue, à côté du hangar des tracteurs. Son frère a son exploitation un peu plus loin. Ils se donnent des coups de main. Pascal Jacquemin revendique le titre de paysan.

Etre paysan, c’est être fier de son métier, de sa terre, de son histoire. Agriculteur, c’est un terme administratif.

Pascal Jacquemin

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Ses champs se trouvent à la sortie du village. De la luzerne et de la betterave l’hiver. Du blé, de l’orge et du colza l’été. "J’ai 145 hectares. Si on suivait la tendance du marché, il m’en faudrait 80 de plus pour vivre. Les prix de vente se sont effondrés. On est limite rentable. Il y a les aides de la PAC [Politique agricole commune], mais c’est tout. Financièrement, c’est juste." 

L'un des champs cultivés par Pascal Jacquemin à l'entrée de son village de Sompuis (Marne), le 22 janvier 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"Le métier fait fuir" les femmes

Sans compter que "depuis l’émission, il y a des gens qui m’empêchent de prendre des responsabilités à la FNSEA [le syndicat d'agriculteurs majoritaire]Ils trouvent que je n’ai pas fait passer le message syndical", accuse-t-il. Et toujours ce célibat qui pèse : "Je n’arrive pas à augmenter mon foncier parce que je suis célibataire. Tous ceux qui ont une femme et des enfants passent en premier" lors de la mise en vente de parcelles.

"Le métier fait fuir. Tu ne peux pas partir en vacances l’été parce qu’il faut faire le boulot dans les champs. Et les journées de 15-20 heures ne sont pas rares. Si tu ne tombes pas sur une fille issue du monde agricole, c’est foutu. Et encore, beaucoup n’ont plus envie de cette vie-là", constate-t-il.

Pascal Jacquemin dans son exploitation, dans la Marne, le 22 janvier 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Pascal Jacquemin voudrait "une fille entre 25 et 40 ans pas plus - en dessous, ça fait un peu jeune - sans enfants et qui connaisse bien le metal". Sans trop y croire. "Pour rencontrer les filles, il n’y a plus rien par ici. La seule solution, c’est internet. Mais je n’ai pas confiance. J’ai essayé les sites de rencontres. J’ai eu tous les profils sauf celui que je recherchais. C’est une déception totale." 

La solitude ? "Question d'habitude." "L’avenir, je le vois plutôt en célibataire. Je commence à me faire vieux. Des filles célibataires, il n’en reste pas beaucoup non plus et elles ne vont pas m'arriver comme par enchantement. Il y en a qui me disent que je ne suis pas fait pour le mariage", s'agace-t-il, les yeux soudain rougis.

Ce jour-là, le brouillard ne s'est pas levé. Le mercure frôlait le zéro degré. Et il n'y avait pas grand monde pour déranger chevreuils, faisans, hérons et rapaces dans les champs.

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