"Une association en opposition avec le pacte républicain" : après l'assassinat de Samuel Paty, le CCIF dans le viseur du gouvernement
Le ministre de l'Intérieur a indiqué vouloir dissoudre "plusieurs" structures associatives, dont le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), après l'assassinat de Samuel Paty vendredi.
"La peur va changer de camp", a affirmé Emmanuel Macron, cité par ses services, à l'issue du Conseil de défense du dimanche 18 octobre, après l’assassinat de Samuel Paty, l'enseignant décapité vendredi à Conflans-Sainte-Honorine. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé, sur Europe 1 lundi matin, que "des opérations de police" visant "des dizaines d'individus" ont débuté et que "plusieurs" structures associatives vont être dissoutes au Conseil des ministres.
Parmi ses cibles, le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui se défend de toute proximité avec la mouvance salafiste ou jihadiste. Le CCIF a été "manifestement impliqué", puisque le parent d'élève qui a "lancé une fatwa contre ce professeur (...) fait référence très clairement à cette association", a continué le ministre, appelant à la dissolution du collectif.
Un présuposé anti-républicain ?
Le but de cette association est de lutter contre toutes les formes de discrimination touchant les musulmans. Elle est reconnue et même reçue par la Commission européenne, ainsi qu’aux Nations unies. Mais, pour Didier Leschi, ancien directeur des cultes au ministère de l'Intérieur et président de l'Institut européen des sciences des religions, sans être illégal le CCIF repose sur un présupposé qui n’est pas conforme au pacte républicain : "C’est une association dont le discours général est en opposition à ce qu’est aujourd’hui notre pacte républicain puisqu’elle explique que notre État est structurellement organisé pour discriminer des gens qui se présenteraient comme musulmans."
Par le passé, le CCIF a souvent été la cible de fortes critiques, certains n’hésitant pas à parler d'accointances avec les milieux islamistes. Des accusations mensongères, répondait Mariem Sabi, la responsable juridique du collectif, en novembre 2019 à franceinfo : "On nous accole un certain nombre de mots comme 'appartenance aux Frères musulmans', qu'on serait là pour un islam politique. Mais à aucun moment, ils ne sont arrivés à démontrer l'exactitude de ces affirmations en quinze ans de travail de terrain."
De nombreuses polémiques
Ce n’est en effet pas la première fois que le CCIF est au centre de polémiques. En 2019, une manifestation est organisée contre l'islamophobie le 10 novembre à Paris après l’appel de plusieurs organisations, dont le CCIF, et une cinquantaine de personnalités dans une tribune du journal Libération. Cette manifestation avait divisé la gauche notamment à cause de la participation du collectif. Des responsables politiques de gauche critiquaient aussi la façon dont le texte, qui affirme que les musulmans sont victimes de "projets ou de lois liberticides", critique les lois de la République notamment, selon eux, celles de 2004 sur le port d'insignes religieux à l’école.
Le collectif s’est fait connaître en dénombrant les actes islamophobes en France. Mais il y a quelques années, le CCIF comptabilisait comme acte islamophobe l’expulsion d’un imam salafiste. "Ça voulait dire à l’époque que le CCIF considérait que si d’un point de vue strictement juridique, ses propos rentrait dans la liberté d’expression même si on peut en être très critique, cette expulsion méritait une défense des droits et des libertés", explique Marwan Muhammad qui était alors le directeur du CCIF.
Qu'est-ce qui est reproché aujourd'hui au CCIF ?
Jaawad Bechare, directeur de l'association
"Le CCIF n'a strictement rien fait sur ce dossier et n'a certainement pas communiqué, ni relayé une quelconque communication qui visait à lyncher un individu parce qu'il était professeur et qu'il avait montré des caricatures dans sa classe", a affirmé lundi sur franceinfo le directeur du CCIF [Collectif contre l'islamophobie en France] Jaawad Bechare. Le CCIF a d'ailleurs condamné l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine comme tous les attentats, précise son directeur : "Le CCIF condamne toute forme de violence, tout acte de terrorisme et ne cautionnera jamais de telle pratique." Et Jaawad Bechare d'assurer : "Toute ma solidarité avec la famille de la victime dans ce moment très difficile pour eux."
"On travaille avec de nombreuses institutions : le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, de nombreuses ONG etc. Nous publions chaque année un rapport sur les réalités de l'islamophobie. Donc qu'est-ce qu'on nous reproche précisément ? D'accompagner les 2 000 personnes qui nous sollicitent ?", questionne le directeur du CCIF. Jaawad Bechare rappelle que "le racisme en France est une réalité et que l'Etat ne peut pas tout, c'est donc pour ça qu'il existe aussi des associations [...] Je rappelle que le CCIF est indépendant et qu'il travaille selon la règle de droit, la loi et rien que la loi."
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