Pourquoi Emmanuel Macron et le gouvernement parlent-ils de "séparatisme" plutôt que de "communautarisme" ?
Le Premier ministre, Jean Castex, a promis pour la rentrée un "projet de loi contre les séparatismes", visant notamment "l'islamisme radical". Employant ainsi un terme utilisé pour la première fois par le président de la République à l'automne.
C'est manifestement une des priorités du nouveau gouvernement de Jean Castex : le nouveau Premier ministre a déclaré, mercredi 15 juillet, qu'un projet de loi "contre les séparatismes" serait présenté dès la rentrée. Evoquant la nécessité de défendre la laïcité et ciblant explicitement "l'islamisme radical sous toutes ses formes", le chef du gouvernement a expliqué que le texte viserait à "éviter que certains groupes ne se referment autour d'appartenances ethniques ou religieuses".
A ce sujet, la classe politique française emploie plus couramment le terme de "communautarisme". C'est Emmanuel Macron qui, le premier, lui avait substitué le terme de "séparatisme" en octobre dernier, réagissant notamment aux débats sur le port du voile lors des sorties scolaires et sur les listes dites "communautaires" aux élections municipales. "En tant que politologue travaillant sur la question du fait religieux et de l'islamisme, c'est un terme que je n'avais jamais vraiment rencontré", explique ainsi à franceinfo Haoues Seniguer, maître de conférences à Sciences Po Lyon. Pourquoi ce changement de vocabulaire ? Permet-il de décrire de façon plus juste la réalité ?
Un terme "imagé" et moins associé à la droite
"Essayer d'être maître des termes" du débat est une technique efficace en politique, explique à franceinfo Arnaud Mercier, spécialiste de la communication politique à l'université Paris 2-Assas. Ici, l'intention est, à ses yeux, frappante : se détacher du terme "communautarisme". Et donc s'écarter d'un vocabulaire "traditionnel de la droite plus dure, voire de l'extrême droite", tout en continuant d'évoquer la même thématique.
C'est caractéristique du macronisme. Macron essaie de reprendre à son profit tout un débat, pour arriver à capter l'électorat de droite, tout en se différenciant de l'extrême droite, ne prêtant ainsi pas le flanc à la critique.
Arnaud Mercierà franceinfo.fr
Le moment choisi n'a rien d'innocent, selon Arnaud Mercier, à l'approche de la campagne présidentielle : "C'est une manifestation de plus du fait qu'Emmanuel Macron a largement renoncé à retrouver l'électorat de gauche qui l'a en partie élu, et qu'il doit siphonner les voix des Républicains."
Changer de vocabulaire est aussi une forme "d'intensification du langage", analyse Mariette Darrigrand, sémiologue, c'est-à-dire spécialiste du langage et de sa signification. "Alors qu'il est devenu galvaudé de dénoncer le communautarisme, le terme de 'séparatisme' insiste sur la gravité" de ce qui est dénoncé. Le mot est nouveau dans ce contexte, mais il est "très imagé" et désigne clairement "l'effet produit par le communautarisme", explique celle qui tient une chronique dans l'émission "le sens des mots" sur franceinfo. Le terme fait aussi référence implicitement à "la vision très française de la communauté des citoyens comme un corps", un groupe uni dont s'écarter serait mal vu. "Le mot contient lui-même la notion de quelque chose de négatif", acquiesce Arnaud Mercier.
La communauté, une idée plus si négative
A l'inverse, "le terme 'communautarisme' nécessite un mode d'emploi", estime le spécialiste de la communication politique. L'employer dans un but péjoratif va à l'encontre de l'idée "que l'on vit tous dans des communautés et que ce n'est pas forcément mauvais pour la République". Le mot est fondé sur l'idée de "communauté", "un mot positif, et aujourd'hui banalisé, car il est utilisé dans le marketing, sur les réseaux sociaux..." Généralement associé à une conception anglo-saxonne de la société, le communautarisme "s'est peu à peu coloré plus positivement", note Mariette Darrigrand. En faire un repoussoir est de moins en moins consensuel.
Préférer le terme de "séparatisme" permet donc à l'exécutif de tenir un discours admettant "que se considérer comme appartenant à plusieurs communautés n'est pas mauvais en soi", tout en dénonçant "le fait que ça le devient quand on s'extrait de la participation à la communauté nationale", explique Arnaud Mercier. C'est d'ailleurs la position que développait Emmanuel Macron lors d'un déplacement sur ce thème en février à Mulhouse. Il affirmait ne pas se sentir "à l'aise avec le terme de communautarisme" et estimait possible de "se sentir des identités multiples" à condition de "respecter les lois de la République" et l'appartenance à la nation.
S'il juge ce nouveau concept "plus heureux" que celui de "communautarisme", le spécialiste de l'islamisme Haoues Seniguer relève tout de même "que l'on reste face à un mot dont on ne comprend pas bien les contours". "Comme tous les termes en '-isme', 'séparatisme' peut recouvrir des réalités, mais donne le sentiment qu'elles sont extrêmes" et généralisées, ce dont ce chercheur à Sciences Po Lyon n'est pas convaincu. Pour parler de "séparatisme", il faudrait poser clairement sa définition et le constater de manière objective, dit-il : "Quels sont les groupes visés ? En quoi se séparent-ils concrètement des lois de la République ?"
Un terme qui n'empêche pas la "confusion"
Haoues Seniguer juge que le terme serait juste pour désigner "des individus ou des groupes identifiés comme établissant des lois alternatives". En France, de tels faits sont rares, affirme-t-il. Il existe des "groupes religieux qui ont une pratique rigoriste" de l'islam et un discours pouvant marquer une "rupture culturelle" avec les valeurs de la République. Pour autant, la plupart "n'enfreignent pas la loi", constate le chercheur. Leur appliquer le terme de "séparatisme" relèverait d'une "confusion", estime-t-il. Il ajoute par ailleurs que l'isolement de certaines communautés n'est pas toujours de leur fait.
Le séparatisme peut être subi : des personnes se retrouvent malgré elles dans des territoires de relégation sociale. De fait, et sans le choisir, elles sont séparées des autres.
Haoues Seniguerà franceinfo.fr
Ce nouveau terme ne solde donc pas tous les débats qui entouraient celui de "communautarisme", qui a par exemple pu être utilisé par des responsables politiques pour désigner "des groupes réclamant une égalité de traitement des cultes" ou même les militants ayant récemment manifesté contre les violences policières et le racisme en France, rappelle Haoues Seniguer. Les qualifier de "séparatistes" serait à ses yeux une erreur : "Ils ne sont pas dans une démarche séparatiste mais, au contraire, dans une demande d'égalité se basant sur les principes de la République".
Une question âprement débattue au sein de la classe politique, qu'un changement de vocabulaire ne suffira sans doute pas à trancher. Il n'est pas non plus dit que le terme "séparatisme" deviendra le plus utilisé pour parler de ces questions. Dans la liste des "ennemis" de la République énumérés par Jean Castex face aux députés, les "séparatistes" étaient immédiatement suivis par les "communautaristes".
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