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Plus de quatre musulmans sur dix déclarent avoir été victimes de discrimination au cours de leur vie

Quelque 42% des musulmans vivant en France ont fait l’objet d’au moins une forme de discriminations liées à leur religion au cours de leur vie, selon un sondage de l'institut Ifop. Cette enquête permet de mieux saisir l'ampleur d'un phénomène qui ne concerne pas seulement la confession mais également la couleur de peau et la nationalité.

Article rédigé par franceinfo
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Une femme musulmane manifestant devant le siège de la chaîne Cnews, le 2 novembre 2019 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). (MAXPPP)

Les discriminations et les agressions visant les musulmans en France sont plus fréquentes que dans l'ensemble de la population, selon un sondage réalisé par l'Ifop, diffusé mercredi 6 novembre. Commandée par la fondation Jean-Jaurès et la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), cette enquête a été réalisée du 26 août au 18 septembre par téléphone auprès d'un échantillon représentatif de 1 007 personnes s'identifiant comme de confession musulmane. Voici ses conclusions et les questions qu'elle pose. 

Quelle est l'ampleur de ces discriminations ?

D'après ce sondage, 42% des musulmans vivant en France ont fait l'objet d'au moins une forme de discriminations liées à leur religion au cours de leur vie. Et pour beaucoup, c'est un problème auquel ils ont été récemment confrontés : 32% d'entre eux en ont vécu au moins une au cours des cinq dernières années.

Par ailleurs, 40% déclarent avoir fait l'objet de comportements racistes au cours des cinq dernières années, un taux deux fois plus important que dans le reste de la population (17%), souligne l'Ifop. Parmi les répondants concernés, 13% disent avoir "souvent" subi de tels comportements depuis 2014, 22% "parfois" et 5% "une fois".

Quelles sont les situations les plus propices aux discriminations ?

Quelque 13% des musulmans sondés disent avoir déjà subi des discriminations lors d'un contrôle par les forces de l'ordre (ou, plus précisément, 28% parmi les 44% de musulmans ayant déjà été contrôlés), 17% lors de la recherche d'un emploi (24% des 68% ayant connu cette situation), 14% lors de la recherche d'un logement (22% parmi 61%) et par des enseignants (18% parmi 76%).

Qui est principalement concerné ?

Selon l'enquête, 21% des musulmans non-diplômés disent avoir été victimes d'au moins une forme de discrimination au cours des cinq dernières années, contre 39% des bac +2 et des bac +5. "Paradoxalement, plus vous êtes diplômé, plus vous êtes discriminé", a ainsi commenté la secrétaire d'Etat en charge de la lutte contre les discriminations, dans Le Parisien. Les Français musulmans interrogés déclarent plus souvent (46%) que les musulmans d'origine étrangère (34%) avoir subi du racisme.

Les femmes sondées sont également plus nombreuses à signaler des discriminations au cours de leur vie : 46%, contre 38% des hommes. "Cette survictimation féminine – qui se retrouve partout sauf lors des contrôles de police et des entrées en boîte de nuit – est tirée vers le haut par les taux de discriminations records observés chez les femmes voilées (60%, contre 44% des femmes non-voilées),  ce qui confirme la corrélation entre la visibilité de sa religion et l'exposition à une forme de rejet", résume François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualités de l’Ifop, dans sa note d'analyse (PDF).

Ces discriminations sont-elles seulement liées à la religion ?

Un quart des musulmans sondés (24%) disent avoir été insultés en raison de leur religion au cours des cinq dernières années, soit une proportion deux fois supérieure à celle observée chez les non-musulmans résidant en France (9%). Cette dernière catégorie inclut toutefois les personnes sans confession. "Ce bloc 'non-musulman' est peut-être imparfait, mais nous voulions interroger la spécificité du bloc musulman", se défend François Kraus. 

Par ailleurs, la proportion de victimes d'un comportement raciste au cours des cinq dernières années est plus de deux fois plus élevée chez les musulmans vivant en France (40%) que dans le reste de la population (17%). "Les motifs de ces comportements racistes sont loin d'être tous liés à la religion", précise le document : parmi ces 40% de musulmans, 16% estiment que ces comportements racistes étaient dus à leur religion (1% chez les non-musulmans), 15% à leur couleur de peau (7% chez les non-musulmans) et 9% à une autre raison, comme la nationalité (9% chez les non-musulmans). 

Pourquoi parler de "racisme" à l'endroit de croyants ?

En 2015, l'Ifop avait déjà réalisé une enquête consacrée aux discriminations religieuses concernant les juifs de France. La part de sondés évoquant des violences verbales liées à leur confession atteignait alors 66% (24% chez les musulmans dans le nouveau sondage, 9% chez les non-musulmans) et celle faisant état de violences physiques, 34% (7% chez les musulmans). Mais "il existe une dimension ethnique et religieuse intriquée chez les juifs, souligne François Kraus, ce qui est moins vrai chez les musulmans."

Il pourrait paraître étonnant de retenir le terme de "racisme" dans le cas de discriminations s'appliquant à une croyance religieuse. Mais l'Ifop a souhaité prendre en compte d'autres critères que la confession pour compléter son panorama. "Nous avons voulu remettre en perspective" les chiffres, justifie François Kraus, car les musulmans ne sont pas seulement victimes de discriminations ou d'agressions en raison de la religion, mais également d'autres aspects – ce que l'on nomme l'intersectionnalité –, c'est-à-dire un aspect cumulatif de discriminations qui s'agrègent [couleur de peau, origine…]".

Cette étude confirme néanmoins la difficulté à isoler chez les musulmans la référence religieuse dans un processus discriminatoire plus large qui combine d'autres variables comme les origines culturelles, la nationalité ou la couleur de peau.

François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualités de l'Ifop

dans sa note de synthèse

Pourquoi le sondage n'utilise-t-il pas le terme "islamophobie" ?

Si, en l'occurrence, le terme "racisme" est utilisé pour épouser tous les spectres de discriminations, le sondage n'utilise pas le mot "islamophobie", défini comme une "forme particulière de racisme dirigée contre l'islam et les musulmans" par Le Robert et comme une "hostilité envers l'islam, les musulmans" par le Larousse. Un choix assumé par François Kraus. "Ces résultats ne rentrent pas dans les controverses autour de la notion 'd'islamophobie' et notamment de son instrumentalisation politique", justifie le sondeur, qui lui préfère la notion de "musulmanophobie" pour désigner ces formes d'hostilité "dans la mesure où elle fait référence au rejet des musulmans en tant qu'individus et non à l'opposition à l'islam qui, comme tout autre système de pensée, peut être critiqué".

Etude de l'Ifop pour la Dilcrah et la Fondation Jean-Jaurès réalisée par téléphone du 26 août au 18 septembre 2019 auprès d'un échantillon de 1 007 personnes, représentatif de la population de confession musulmane âgée de 15 ans et plus résidant en France métropolitaine.

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