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Témoignage franceinfo "Chaque nouveau scandale me rappelle ce que j'ai subi" : victime de pédophilie, un ancien prêtre dénonce le silence de l'Eglise

Pendant plus de quarante ans, Patrick Gandoulas a gardé "le secret" de son agression, à l'âge de 11 ans, par un prêtre pédophile. Devenu à son tour homme d'Eglise, il juge "inadmissible et indéfendable" le mutisme de l'institution catholique face à de tels actes.

Article rédigé par franceinfo - Céline Delbecque
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Patrick Gandoulas, lors de son interview à Agde (Hérault), le 29 août 2018. (CELINE DELBECQUE / FRANCEINFO)

"Je suis en colère, dégoûté et déçu." Bien calé au fond de sa chaise, à la terrasse d'un café d'Agde (Hérault), Patrick Gandoulas insiste sur chaque syllabe, pèse le moindre de ses mots. "Et surtout, je suis scandalisé." Cet ancien prêtre de 62 ans réagit vivement à l'affaire de pédophilie qui a éclaté en août en Pennsylvanie (Etats-Unis), éclaboussant une fois de plus l'Eglise. Pendant plusieurs décennies, plus de 1 000 enfants ont été victimes d'abus sexuels perpétrés par au moins 300 prêtres. Couverts par certains membres de la hiérarchie ecclésiastique, ces hommes d'Eglise n'ont, pour l'immense majorité d'entre eux, jamais été inquiétés. Une histoire qui, pour Patrick, a un arrière-goût amer. "A chaque nouveau scandale, chaque nouvelle agression, je suis ramené cinquante ans en arrière. Ça me rappelle ce que j'ai moi-même subi."

Patrick a exercé, pendant plus de trente ans, la profession de prêtre. Une "vocation", qui s'est imposée à lui lorsqu'il était enfant et à laquelle il n'a pas renoncé. Au sein du diocèse de Carcassonne, il prêchait plusieurs fois par semaine, et se dit "fier" de la relation intime qu'il a tissée, au fil des années, avec ses fidèles. Aujourd'hui retraité, il dénonce pourtant une situation devenue "insupportable". "Nous sommes face à un scandale de pédophilie de grande ampleur, qui touche de nombreux pays et qui se dévoile petit à petit. Et l'Eglise, face à cette vague immense, ferme les yeux. C'est inadmissible et indéfendable." Patrick emploie des mots durs, qu'il lâche comme des couperets entre deux silences. "En tant qu'ancien prêtre, je ne me reconnais pas dans cette institution qui laisse des hommes commettre de tels actes en toute impunité. Je me désolidarise complètement de cette manière de penser, de ces secrets scandaleux, opaques et lourds." Et pour cause.

"J'avais un rapport pur et profond à la religion"

Si Patrick est si révolté, c'est qu'il a directement, et intimement, été concerné par ces actes et le silence qui les entoure. Aujourd'hui, il ne semble plus effrayé à l'idée de revenir sur le "secret" qu'il a gardé pour lui pendant plus de quarante ans. Après des années de mutisme et de mal-être profond, il déroule son histoire d'une traite. Les phrases s'enchaînent, cinglantes : le retraité n'hésite plus à décrire précisément l'acte qui a "bousillé sa vie""A 11 ans, j'ai subi des attouchements sexuels de la part d'un prêtre pédophile. Alors quand j'entends ces histoires au Chili ou en Pennsylvanie, je me prends de plein fouet la douleur des victimes."

L'ancien prêtre se souvient. "Un jour, ma grand-mère m'a proposé de financer une formation au petit séminaire de Toulouse, un établissement tenu par des hommes d'Eglise, réservé aux enfants ayant d'éventuelles dispositions pour devenir religieux." Du haut de ses 11 ans, Patrick accepte. "Je me souviens encore des trousseaux de vêtements que nous devions coudre à notre nom, de la découverte de ma chambre, du rythme quotidien des cours, des déjeuners, des prières et des récréations", décrit Patrick.

"J'étais un enfant très pieux. Je priais beaucoup, j'avais un rapport à la religion pur et profond. C'était simple et beau", se remémore-t-il. Pourtant, entre septembre 1966 et juin 1968, la vie du jeune garçon bascule. Eduqués par plusieurs professeurs, les pensionnaires du petit séminaire sont également encadrés par un "directeur de conscience", "une sorte d'accompagnant spirituel". "C'était celui qui était censé vous confesser. Il avait presque accès à la conscience des enfants", témoigne Patrick, avant de marquer une pause dans son récit, comme pour souligner l'importance de ce détail. "Vous lui disiez tout, ajoute-t-il. Si vous aviez menti, si vous aviez volé le goûter d'un copain, si vous vous étiez chamaillé à cause d'une gomme." 

Le poids du silence

Mais avec Patrick, le prêtre va plus loin. "Il me demandait aussi si je me touchais sous les couvertures. Si je me masturbais, combien de fois par semaine, si je le faisais avec d'autres. Si j'avais des pensées impures." Après ces entretiens, le prêtre déshabille le petit garçon, face au bidet de sa chambre, pour vérifier "s'il est comme tout le monde". "J'étais nu et il me touchait. Il me prenait le sexe, l'inspectait sous toutes les coutures. Ça durait quelques minutes et puis c'était terminé. Mais ça a suffi."

Quand on vous fait ça plusieurs fois alors que vous avez 11 ans, ça vous perturbe complètement. Vous savez que quelque chose se joue, que c'est terrible. Mais vous subissez. Ça m'a traumatisé, pour toujours.

Patrick Gandoulas, victime d'un prêtre pédophile

à franceinfo

Patrick finit son récit, dépité. "Que tant d'enfants subissent encore ce genre d'actes me scandalise. C'est une petite mort. C'est un meurtre sans sang, et sans cadavre, qui vous condamne pour toujours." 

A l'époque, le jeune homme reste muet sur l'agression, "dans une prison de silence". "A qui vouliez-vous que j'en parle ?", questionne aujourd'hui Patrick, accusateur. "On ne parlait pas de ce genre de choses." Ses parents ne sauront jamais que leur fils a été victime d'abus sexuels lors de ces années de formation religieuse. "Comment raconter cela ? Qui m'aurait écouté ? Les gens ne voulaient pas savoir." Patrick se censure, oppressé par la pression sociale et par le rayonnement tout-puissant de l'Eglise. "Il y a cinquante ans, on ne disait rien et personne ne remettait en cause les prêtres. Aux yeux de certains fidèles, un prêtre est l'incarnation vivante du Christ !" 

"Je me sentais coupable de tout"

L'agresseur du jeune homme reste libre et travaille toujours auprès d'enfants. Au fil de son parcours, Patrick le recroise, continue à se taire. "Je me sentais coupable de tout. C'est ce qui m'a le plus tué dans ma vie." Indigné, Patrick Gandoulas insiste particulièrement sur cet aspect pervers de la pédophilie. Pour lui, le silence de l'Eglise face à ces actes est impardonnable. "Cela pousse les enfants à penser que tout est de leur faute. Une immense institution s'élève devant eux et reste silencieuse devant leur détresse. Ou pire, leur dit qu'ils racontent des bêtises, ou qu'il faut se taire."

Patrick Gandoulas, à l'âge de 11 ans. A l'époque, il a été victime d'attouchements sexuels de la part d'un prêtre pédophile, au petit séminaire de Toulouse.  (DR)

Il aura fallu quarante ans et deux psychanalyses pour que Patrick, lui, se mette à parler. En 2015, il a fait partie des 400 témoins à raconter son histoire à l'association La Parole libérée, créée pour soutenir les victimes de pédophilie. "Ça a été comme un déclic. D'un coup, je me suis rendu compte de tous les dégâts que ces actes avaient causés dans ma vie." Il y a deux ans, le retraité décide même de porter plainte contre son agresseur. Il se rend à la gendarmerie et raconte son histoire. "Si tout ça n'avait pas eu lieu, ma vie aurait été tout autre", déclare-t-il alors aux policiers. "Mais les faits sont prescrits, explique-t-il. Ma plainte attend sur un bureau, au cas où il y aurait d'autres témoignages ou des faits plus récents." Ce n'est pas grave, Patrick attend et saisit toutes les instances capables de punir son agresseur, y compris au Vatican.

J'ai demandé à l'Eglise de me rendre ma dignité de laïc, parce qu'en fait c'est cela qui m'a été volé. Ma dignité.

Patrick Gandoulas, victime d'un prêtre pédophile

à franceinfo

Il adresse également un message à ceux qui n'ont pas encore osé parler. "Il faut qu'ils se libèrent de ce poids, à tout prix. Ça fera mal, mais il faut qu'ils aillent jusqu'au bout. C'est leur histoire, elle est triste et dégueulasse, mais il faut la sortir et reprendre le cours de sa vie."  Pour Patrick, la parole est en effet le seul moyen d'attirer l'attention de l'Eglise, qui continue à taire de nombreuses affaires. "Le pape et l'institution traînent des pieds, parce que c'est bien plus facile de fermer les yeux. C'est une manière de s'éloigner de la vérité", dénonce-t-il.

"Je reste profondément croyant"

Déçu plusieurs fois par cette Eglise dans laquelle il a du mal à se reconnaître, et profondément traumatisé par l'acte qu'il a subi enfant, Patrick assure pourtant ne jamais avoir perdu la foi. "Je reste profondément croyant. Je pense, je prie, je pratique dès que je peux. Mon rapport à Dieu est inaltérable, inattaquable. C'est un miracle, dans un sens." Malgré son agression, Patrick a choisi "en toute liberté" de devenir prêtre. "Je sais que l'agissement des hommes n'est pas l'agissement de Dieu", glisse-t-il dans un sourire. 

Mais le chemin n'a pas toujours été facile. Pendant des années, le prêtre a par exemple eu beaucoup de mal à interagir avec les enfants et les adolescents. La gorge encore serrée, Patrick évoque les cours de catéchisme qu'il acceptait de donner, mais qui lui "coûtaient énormément" : "J'avais peur d'eux. Ils sont la vérité toute simple, l'innocence même. Je voyais en eux l'enfant que j'avais été, et cela me rappelait à quel point j'avais été atteint dans ma pureté. Ils me renvoyaient une vérité que je ne voulais pas voir." 

En dépit de son travail avec les enfants, et son implication dans la paroisse, Patrick a finalement décidé de quitter l'Eglise, en 2013. Mais cette décision a été le fruit d'un long travail de réflexion. Au-delà du silence de l'Eglise sur les problèmes de pédophilie, Patrick dénonce aussi les sacrifices imposés aux prêtres par le clergé. "Lorsque je me suis construit en tant qu'homme, je me suis vite rendu compte que j'étais homosexuel, précise-t-il. Je savais que l'Eglise ne l'accepterait jamais, mais j'ai quand même continué ma route." 

"Désormais, je ne triche plus"

Pendant longtemps, Patrick mène ainsi une sorte de double vie, en cachant ses relations à sa hiérarchie. Un jour, il se rend compte que cela ne peut plus durer.  "J'avais l'impression de jouer un double jeu, en portant à la fois le poids de mon homosexualité et celui de cette agression, qui me ramenait, sans cesse, à un mal-être profond." Soutenu par son compagnon, il décide de quitter les ordres. Patrick semble désormais serein sur cette décision, qu'il ne regrette "en aucun cas""Désormais, je ne triche plus, déclare-t-il. Je suis moi-même, je suis pacsé, et personne ne me juge."

Depuis plusieurs mois, il assiste, impuissant, aux scandales qui ébranlent l'Eglise française, écoute les propos du Pape, observe les valeurs défendues par le clergé… "Je ne m'y reconnais en rien", déclare-t-il. Choqué par les déclarations du pape François liant homosexualité et psychiatrie, il se révolte contre une institution qui "ne correspond plus aux mentalités actuelles". "Ces propos sont dangereux. Combien de jeunes enfants vont se remettre en question, se dire qu'ils sont dingues ou malades, en se rendant compte qu'ils sont homosexuels ?" Pourtant, l'ancien prêtre assure ne pas totalement rejeter l'Eglise : "Elle est capable de faire des saloperies, mais elle est aussi porteuse d'un message de paix et d'amour. C'est ça que le Christ aurait voulu : de la paix et de l'amour, soupire Patrick. Pas de silences gênés, ni de protections à peine cachées, ni de haine de l'autre."

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