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Appel à la "démission collective" des évêques : "Le fond de la question est un problème de gouvernance", selon une théologienne

Moins d’une semaine après la remise du rapport Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église, trois personnalités appellent à une "démission collective des évêques". Théologiens, victimes, fidèles... les avis divergent.

Article rédigé par Jérôme Jadot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
La Conférence des évêques de France (illustration). (ERIC CABANIS / AFP)

"Face à la faillite, la démission des évêques est la seule issue honorable." Cet appel lancé lundi 11 octobre à une démission collective des évêques, quelques jours après la publication du rapport Sauvé qui a évalué à 330 000 le nombre de victimes toujours en vie de violences sexuelles dans l'Église, vient de la gauche de l'Église, de son aile la plus progressiste et féministe également.  

Trois personnalité l’ont lancé : Anne Soupa, une théologienne qui avait voulu secouer l'Église en candidatant à la succession du cardinal Barbarin à l'arvêché de Lyon, Christine Pedotti, directrice de la rédaction de Témoignage Chrétien et co-fondatrice avec Anne Soupa du "Comité de la jupe" pour promouvoir la place des femmes dans l'Église et François Devaux, une des victimes du Père Preynat, fondateur de l'association La parole libérée. Tous trois y verraient un premier acte de repentir "concret et coûteux à l'égard des victimes". Ils souhaitent également une place accrue des laïcs dans les institutions catholiques.

"Dans n’importe quelle association, dans n’importe quelle entreprise, pour cent fois moins de dégâts si l’on peut dire, la démission aurait été exigée."

Anne Soupa, théologienne

à franceinfo

"Mais dans l’Église qu’est-ce-qu’on fait ? Trois pater et deux ave et on recommence. Ce n’est pas sérieux", argumente Anne Soupa sur franceinfo. "Comment peut-on prendre la mesure du dommage sans entrer dans les actes, sans entrer dans une décision coûteuse pour les évêques ?", interroge la théologienne.  

L'appel à une démission généralisée des évêques n'est toutefois pas partagé par toutes les victimes d'abus sexuels. Olivier Savignac du collectif Parler et Revivre, par exemple, n'y pas favorable : "Tout le monde n’est pas à mettre dans le même sac. Je connais des évêques qui sont quand même bienveillants sur cette question-là, qui n’ont pas forcément les marges de manœuvre suffisantes pour faire bouger l’ensemble du groupe évêques. Par contre si certains évêques ont, bien sûr, participé à cette mécanique du silence et, en âme et conscience, la portent toujours, je crois que c’est à eux de prendre la bonne décision et de démissionner." 

Anne Soupa estime qu’au contraire, c’est le moment de montrer que "devant l’ampleur du crime, ils sont solidaires. Alors qu’ils demandent aux fidèles d’aider à l’indemnisation, eux ne seraient pas solidaires dans la démission ?". Un tel raisonnement "ne tient pas la route", selon Anne Soupa. "Je suis solidaire des victimes. Je suis prête à ouvrir mon porte-monnaie pour les aider à se reconstruire. Mais je ne suis pas solidaire des évêques qui ont dissimulé ces crimes. Si cette équipe d'évêques, effectivement, tourne la page, accepte sa responsabilité et se retire, même si le pape a toute latitude pour en renommer une partie, j'accepte de payer. Là, je suis solidaire parce que je reconnais que nous sommes déjà dans l'Église d’après et, avec l'Église d'après, on apure les dettes, on repart à zéro."

Un précédent en 2018  

"Le fond de la question est un problème de gouvernance, souligne sur franceinfo une autre théologienne, Paule Zellitch, présidente de la Conférence Catholique des Baptisé-e-s francophones. Et ça ne se fait pas forcément "en changeant les têtes", pointe-t-elle. "Il faut que des instances vraiment indépendantes, extérieures à l’Église, un peu sur le modèle de la Ciase, se mettent en place de manière à ce qu’il y ait un vrai cahier des charges, de vraies propositions. On ne peut pas attendre des évêques, qui sont à la fois juges et parties, qu’ils règlent tout. Ce n’est pas possible, même si beaucoup sont de bonne volonté. Nous avons repéré de nombreux évêques qui sont en avance, qui montent au créneau et nous les soutenons. Mais ce qui a fonctionné pendant des siècles maintenant ne fonctionne plus."     

Du côté des instances dirigeantes de l'Église, on réagit par le silence. Aucun des évêques sollicités lundi matin n'a souhaité s'exprimer. "Nous ne commenterons pas", indique la Conférence des évêques de France (CEF) qui regroupe les près de 120 évêques français. Mais on sent que cet appel irrite. "On ne lâche pas en rase campagne les catholiques de France. Qui va piloter l'Église ?", Interroge-t-on dans l'entourage d'Éric de Moulins-Beaufort, tout en pointant le "profil" de celles qui lancent cet appel qui se seraient mises, glisse-t-on, "à côté de l'Église".  

Une telle démission collective a eu un précédent. En 2018, les 34 évêques du Chili ont présenté leur démission au pape dans la foulée de scandales d'agressions sexuelles couvertes par le clergé. Une démission collective dont le pape n’a accepté qu'une partie, moins d'un quart. Les démissions ont été acceptées pour les prélats qui avaient été impliqués eux-mêmes dans la protection de prêtres pédocriminels. La responsabilité individuelle plutôt que collective a donc été sanctionnée par le pape. Dans le même esprit, François a rejeté cette année la démission de l'archevêque de Munich Reinhard Marx qui n'avait personnellement rien à se reprocher.    

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