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Surpopulation carcérale : la Contrôleuse générale des prisons dénonce "l'inacceptable retour à son niveau d'avant Covid-19"

Selon un rapport de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, la surpopulation carcérale est de nouveau en hausse en 2021 alors qu'elle avait fortement baissé pendant la crise sanitaire.

Article rédigé par franceinfo - Guy Registe
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La prison de Toulouse-Seysses est surpeuplée à 187%, selon le rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Dans son rapport pour l'année 2021 publié jeudi 1er juin et que franceinfo a pu consulter, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), dénonce "l’inacceptable retour de la surpopulation carcérale à son niveau d’avant la crise sanitaire" générée par le Covid-19.

Si en 2020, la densité carcérale globale était passée symboliquement sous la barre de 100% d’occupation, les pouvoirs publics ont raté l'occasion, selon ce rapport, "de maintenir un peuplement acceptable des maisons d’arrêt en 2021 car ces établissements ne sont jamais descendus en-dessous de 110% d’occupation avec des centaines de matelas au sol". Le rapport dénonce "le cruel désintérêt de l’Etat et de la société pour les plus vulnérables", auxquels appartiennent les personnes détenues.

"Les violences ne peuvent qu’exploser"

Au printemps 2020, les pouvoirs publics, du fait du confinement, avaient pris des mesures de régulation carcérale pour libérer des prisonniers en fin de peine, ce qui a fait baisser la population carcérale de plus de 70 000 détenus en janvier 2020 à près de 59 000 en juillet 2020. Mais ces mesures n'ont pas été reconduites par le gouvernement, regrettent les auteurs du rapport.

La population carcérale n'a cessé d’augmenter, détaille le rapport, le nombre de détenus atteignant exactement 71 053 au 1er avril 2022 pour 60 683 places opérationnelles, soit une densité carcérale globale de 117,1%, selon les chiffres publiés par le ministère de la Justice. Ce sont des conditions "indignes", dénonce Dominique Simonnot, Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, car cela "dénature la peine, en aggravant les conditions matérielles de détention, en entraînant tensions et violences".

Le rapport prend notamment l'exemple de la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, surpeuplée à 187%, où 1 600 détenus dorment sur un matelas au sol. Cette situation génère des difficultés dans les relations entre surveillants et détenus, précise le rapport. Ainsi à Seysses, la prison ouverte en 2003 avec un surveillant pour 50 détenus, la maison d’arrêt en était en 2021 à un surveillant pour 150. "On imagine bien que tensions et violences ne peuvent qu’exploser", se désole Dominique Simonnot, lorsque "des détenus sont entassés à trois dans 4,40 m² d’espace vital, durant des mois, et souvent 22 heures sur 24, au milieu de rats, cafards et punaises de lit".

Le rapport évoque des douches communes totalement insalubres pleines de champignons sur le sol et des centaines de rats à l'extérieur de toutes tailles qui sont partout. "Avec des cafards qui te grimpent sur le corps pendant que tu regardes la télé, pendant que tu dors, à l'intérieur des frigos", selon le témoignage de certains détenus recueillis par la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté.

Des conditions de garde à vue encore "indignes"

Les gardes à vue dans les commissariats ont été scrutées aussi par le rapport, avec des "conditions de prise en charge dénoncées depuis de nombreuses années sans qu’aucune disposition ne soit réellement prise par le ministère de l’Intérieur pour y remédier". Le rapport dénonce notamment "l’absence totale de prise en compte des sujets portant sur l’hygiène". Le texte dénonce aussi l'absence de distribution effective des kits d’hygiène, l'accès au gel hydroalcoolique et le renouvellement des masques, pendant la crise du Covid-19. Tout cela "démontre une absence manifeste de volonté d’évolution", pointe le rapport. Le constat dressé par le CGLPL en matière de propreté des locaux est accablant : les cellules, souvent dégradées, sont dans un état de saleté "innommable" et dégagent des "odeurs pestilentielles".

S'agissant des établissements de santé mentale en 2021, les visites de la CGLPL ont confirmé "la crise profonde que traverse la psychiatrie publique française". Le rapport souligne un "manque criant de médecins, parfois doublé d’un manque de soignants, une pression croissante des exigences sécuritaires ou médico-légales", un constat dénoncé depuis plusieurs années, "mais ces faiblesses ont été amplifiées par la crise sanitaire". Quant aux centres de rétention administrative, "conçus à l’origine pour de brèves périodes, ces centres, très carcéraux, ont vu la rétention s’allonger à 90 jours, sans que soient mises en place des installations et changements de règlement permettant de supporter le temps qui s’écoule dans l'ennui, l'inaction et l'angoisse". Une situation d'autant plus pénible qu'en 2021, à cause de la pandémie et des avions à l’arrêt, les éloignements ont été rares.

Des recommandations non suivies par les ministères

A côté des recommandations de la CGLPL figurent des "bonnes pratiques" qui font également l’objet d’un suivi, "mais elles ne donnent pas lieu à des commentaires et moins encore à des plans d’action de la part des ministres qui se contentent le plus souvent de les enregistrer avec satisfaction", regrette le rapport. Pour la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, "il faut prendre conscience de ce que la prison n’est pas la seule sanction possible". Elle réclame un cadre "législatif contraignant" car "les incitations données par circulaire dépendent de circonstances locales", de bonnes volontés en fonction de l'attitude des directeurs des établissements pénitentiaires.

Elle explique "renouveler ses recommandations : que soient inscrites dans la loi, l’interdiction générale d’héberger des personnes détenues sur des matelas au sol et la création d’un dispositif de régulation carcérale instituant, dans chaque juridiction, un examen de la situation de la population pénale afin de veiller à ce que le taux d’occupation d'un établissement ne dépasse jamais 100%", rappelant que la France a été à maintes reprises condamnée par des juridictions européennes pour les conditions indignes de détention et la surpopulation carcérale.

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