Témoignages "Ça ne demande pas grand-chose par rapport au bonheur qu'on procure" : cinq personnes expliquent pourquoi elles ont donné leurs gamètes

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Les dons de gamètes peuvent être motivés par l'altruisme, le militantisme où par l'histoire personnelle des donneurs et donneuses. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
L'Agence de la biomédecine a lancé, mercredi, une campagne de sensibilisation au don de sperme et d'ovocytes. Par altruisme, parce qu'ils ont eux-mêmes bénéficié d'un don ou par militantisme, cinq donneurs et donneuses racontent pourquoi ils ont sauté le pas.

"Vous ne voulez pas faire d'enfants ? Faites des parents. Vous ferez des heureux." L'Agence de la biomédecine a lancé mercredi 11 octobre une campagne de sensibilisation au don de gamètes (ovocytes et spermatozoïdes), afin d'aider les couples hétérosexuels connaissant un problème d'infertilité, mais aussi les couples lesbiens et les femmes célibataires, à devenir parents.

"Toute personne en bonne santé, de 18 à 44 ans pour les hommes et de 18 à 37 ans pour les femmes, peut donner ses gamètes", rappelle l'agence. Mais avec "plus de 18 millions de donneurs de gamètes potentiels en France", seulement 990 candidates au don d'ovocytes et 764 candidats au don de spermatozoïdes se sont fait connaître en 2022. Des chiffres en hausse, mais qui ne suffisent pas à répondre à la demande, "multipliée par huit" depuis l'ouverture de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires en 2021, déplore l'Agence de la biomédecine. Selon les dernières données disponibles, fin mars, "près de 6 200 personnes" étaient en attente d'un don de spermatozoïdes dans le cadre d'une procréation médicalement assistée (PMA).

Franceinfo a interrogé cinq donneurs et donneuses, qui racontent leurs démarches. Voici leurs témoignages.

Caroline, 41 ans : "Je ne l'ai pas fait pour avoir des enfants par procuration, mais pour aider"

"Je n'ai jamais voulu d'enfants, mais j'ai la capacité d'en avoir. C'est du gaspillage et c'est injuste pour ceux qui en veulent mais ne peuvent pas. Alors, quand j'ai reçu un mail de l'Agence de biomédecine en me proposant de devenir donneuse d'ovocytes, j'ai sauté le pas. J'ai donné à deux reprises, avant que la loi change en 2021.

Ça a été un long cheminement. Les donneuses candidates passent une batterie d'examens médicaux : il faut aller chez le gynéco, réaliser des tests génétiques et consulter un psychologue avant même de commencer le protocole d'injection. Ensuite, pendant plusieurs jours, on a des injections d'hormones quotidiennes [pour produire un maximum d'ovocytes], suivies d'échographies des ovaires et de prises de sang pour adapter le traitement. Les doses d'hormones doivent être gardées au réfrigérateur et injectées à des heures précises. C'est fastidieux et chronométré. Pour les femmes qui donnent, c'est un engagement physique : j'avais des ballonnements, la poitrine qui tire...

"Je sais que j'ai donné suffisamment pour permettre au moins deux ou trois tentatives. Mais les médecins ne vous disent pas combien d'ovocytes ils ont prélevés, et vous ne savez pas si votre don aboutit ou non à une naissance."

Caroline, donneuse d'ovocytes

à franceinfo

Depuis la loi de bioéthique de 2021, les nouveaux donneurs doivent consentir à ce que leur anonymat puisse être levé à la demande de la personne née du don devenue majeure. Je n'aurais jamais accepté de donner à ces conditions. Je ne l'ai pas fait pour avoir des enfants par procuration, mais pour aider une autre femme. J'ai peur du contact non sollicité des personnes qui pourraient être nées de mes dons. Je n'ai pas envie que grâce aux tests ADN qui se développent, elles puissent un jour me trouver sur les réseaux sociaux, ou aller voir mon voisin pour obtenir des informations sur moi. J'ai donné pour aider, mais à partir du moment où le don a quitté mon corps, il ne m'appartient plus. C'est comme lorsqu'on donne son sang : on ne sait pas ce qu'il advient après, et c'est très bien."

Emilie, 37 ans : "J'ai voulu renvoyer l'ascenseur"

"Je suis mariée avec une femme. Dès qu'on a voulu avoir des enfants, on savait qu'on aurait besoin d'un don de gamètes. À l'époque, la PMA n'était pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes célibataires en France, et on craignait qu'elle mette du temps à arriver. Nous sommes allées en Belgique, où c'était possible. En 2019 puis en 2022, j'ai donné naissance à nos deux fils, issus de la fécondation d'ovocytes de ma femme et de spermatozoïdes d'un donneur.

Sans don de gamète, je n'aurais pas eu d'enfant. J'ai eu envie de renvoyer l'ascenseur, et de pouvoir offrir le bonheur que j'ai connu à d'autres, que ce soit à des femmes lesbiennes, célibataires ou en couple hétéro. Je connaissais bien le parcours médical nécessaire, car ma femme avait eu des ponctions d'ovocytes pour concevoir nos enfants. Mais cette fois, il n'y avait pas la même pression, donc j'ai vécu le traitement avec légèreté, et non comme une contrainte.

Je sais qu'un jour, peut-être, il y aura quelque part en France des enfants génétiquement issus de moi, alors que les miens ne le sont pas. Et je trouve ça bien qu'ils puissent avoir accès à leurs origines, comme mes fils avec leur donneur. Mais je fais la part des choses entre ce qui relève de la génétique et de la construction d'une famille. Je sais que ces personnes ne seront pas mes enfants. Mon fils, c'est mon fils, et le fait qu'il ne soit pas biologiquement de moi n'y change rien."

Anaïs, 22 ans : "En tant que femme noire, donner était encore plus important pour moi"

"En 2022, je tombe sur une publication Instagram d'une amie d'amie, qui raconte avoir donné ses ovocytes et incite d'autres à le faire. J'avais déjà entendu parler du don de gamètes, mais son témoignage me permet de démystifier le processus.

Les délais d'attente peuvent durer plusieurs années pour les femmes et les couples qui attendent un don de gamètes. Mais je découvre que les personnes racisées attendent encore plus longtemps, car les donneurs et donneuses racisés sont très peu nombreux. Comme je suis une femme noire, donner devient encore plus important pour moi, ça rend mon geste d'autant plus significatif. J'estime aussi qu'il existe un devoir de solidarité particulier parce que, dans les Antilles, la figure de la mère est très importante : c'est le 'potomitan' en créole, le 'poteau central' de la famille. Alors l'infertilité peut être particulièrement vécue comme un échec.

Même si le processus du don est assez long et contraignant, je suis contente de l'avoir fait. A l'échelle de toute ma vie, ça ne demande pas grand-chose par rapport au bonheur que le don procure à des familles."

Mathieu, 34 ans : "L'inégalité des femmes face à la PMA me posait un vrai problème"

"J'ai longtemps été journaliste sur les questions de société. J'assistais à tous les atermoiements et les reports du projet de loi élargissant l'accès à la PMA, au détriment des femmes lesbiennes et célibataires. J'entendais des témoignages de femmes qui partaient à l'étranger pour concevoir un enfant, ou qui, par manque de moyens, devaient renoncer à leur projet de maternité. Plus je voyais cette inégalité persévérer, et plus elle me posait un vrai problème éthique et politique. En tant qu'homme gay, je militais pour l'ouverture de la PMA à toutes les femmes.

En 2020, une amie, en couple avec une femme, m'a contacté pour savoir si j'étais prêt à donner mon sperme pour l'aider, car elle savait que je m'étais porté volontaire, y compris pour un 'don artisanal' [de personne à personne, en dehors du cadre médical et légal]. J'ai réalisé un test de dépistage pour m'assurer que je n'avais pas d'infection sexuellement transmissible, et on a beaucoup échangé entre nous pour savoir ce qu'on voulait ou non. De mon côté, j'étais au clair sur mon non-désir d'enfant, ça m'a rendu capable de prendre de la distance, de savoir quelle était ma place.

"En donnant mon sperme, j'initiais un projet de parentalité, mais je n'en faisais pas partie."

Mathieu, qui a fait un don "artisanal" de sperme

à franceinfo

On s'est retrouvés quelques mois plus tard, tous les trois, dans la ville où j'habitais. J'ai fait plusieurs dons pendant un week-end, en me masturbant dans un pot. La compagne de mon amie a ensuite utilisé une seringue pour le lui transférer. Ça a marché du premier coup. J'ai simplement signé un document chez le notaire disant que je renonçais à reconnaître l'enfant.

Elles m'ont recontacté il y a quelques mois, car elles souhaitent avoir un deuxième bébé. L'ouverture de la PMA n'a pas résolu le problème d'attente des dons de gamètes, notamment pour les femmes lesbiennes et célibataires. Or, elles sont dans une forme d'urgence liée à leur âge. J'ai accepté de refaire un don, mais je ne suis pas sûr que je m'engagerais à nouveau avec quelqu'un d'autre. Il faut que ça soit quelqu'un de suffisamment proche pour être en confiance, sans l'être trop, pour pouvoir établir une distance physique et émotionnelle."

Frédéric, 43 ans : "Quand on ne vit pas l'infertilité, on ne se rend pas compte de son poids"

"Ma femme et moi avons essayé d'avoir un enfant pendant des années. Des tests ont fini par montrer qu'elle avait un problème hormonal, et en 2009, nous sommes entrés dans un parcours de PMA. Finalement, ma compagne est tombée enceinte naturellement après un traitement hormonal, sans avoir besoin d'un don d'ovocyte.

Cette épreuve nous a sensibilisés aux questions d'infertilité, et nous avons tous les deux souhaité que je fasse un don de spermatozoïdes. D'autant plus que, pour les hommes, le don est simple. Quand on ne vit pas l'infertilité, on ne se rend pas compte de son poids : ma femme ne pouvait pas aller dans un parc de peur de croiser une femme enceinte. Après une annonce de grossesse dans notre entourage, il nous est aussi arrivé de cesser de fréquenter cette personne car c'était une trop grande souffrance.

En 2021, la loi a changé pour permettre aux personnes nées d'un don d'obtenir des informations non identifiantes sur leur donneur (âge, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, raison du don, etc.), voire son identité. Je comprends l'envie de savoir d'où viennent certains traits physiques ou les motivations qui ont abouti au don. Mais je trouve dommage que, pour les anciens donneurs anonymes comme moi, le seul choix qui nous est proposé est d'accepter, ou non, de livrer ensemble des données non identifiantes et son identité complète. Pour les anciens donneurs, le problème est souvent de lever son anonymat. Il faudrait que les deux puissent être dissociés."

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