Dissuasion nucléaire : trois questions sur la relance de la filière de production de tritium en France

Le ministère des Armées a annoncé lundi une "collaboration" avec EDF pour produire avec le CEA du tritium, "un gaz rare indispensable aux armes de la dissuasion".
Article rédigé par Lauriane Delanoë
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
La centrale nucléaire de Civaux servira à réaliser l’une des étapes de la production de tritium, ici le 19 décembre 2022. (PASCAL SONNET / HANS LUCAS / VIA AFP)

C'est une première en France. Une centrale du parc nucléaire civil va être utilisée à des fins militaires, en plus de produire de l'électricité. Le ministère des Armées et EDF l'ont annoncé dans la soirée du lundi 18 mars. Les deux réacteurs de la centrale de Civaux, dans la Vienne, vont servir à la production de tritium. Il s’agit d’un gaz rare, indispensable dans les armes de dissuasion nucléaire.

1 Quel est le but de cette relance de la production de tritium ?

Cette nouvelle activité pour EDF doit contribuer à la souveraineté française en matière de défense. Cette filière est à l'arrêt depuis 15 ans. Jusqu'en 2009, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) fabriquait ce gaz à usage militaire. Mais ces deux réacteurs spécifiques de Marcoule, dans le Gard, ont été arrêtés cette année-là. Depuis, la dissuasion française repose sur des stocks. Or, le tritium est un gaz difficile à produire, et à stocker. Il se désintègre, au fil des années alors il faut en refaire, régulièrement, pour maintenir les armes nucléaires.

Le ministère des Armées l'affirme à franceinfo mardi : la France a encore des stocks qui sont largement suffisants. De quoi tenir jusqu'à l'horizon 2035-2040. Mais il faut aujourd'hui préparer l'après, le renouvellement des réserves de tritium. Ce qui se joue, dans cette collaboration entre l'armée et EDF, c'est donc la politique de dissuasion à long terme.

2 Quel sera le rôle d'EDF et de la centrale de Civaux dans cette activité à des fins militaires ?

Le rôle d'EDF sera technique, et limité, en appui du CEA. En fait, la centrale de Civaux servira à réaliser l’une des étapes de la production de tritium. En résumé, des matériaux à irradier seront introduits au cœur des deux réacteurs de Civaux, avec le combustible classique. À la fin du cycle - au bout d'un an et demi environ -, cette matière devenue radioactive sera remise au CEA. Elle sera transportée, dans des conteneurs spéciaux, jusqu'au site de fabrication du tritium final sur le site CEA de Valduc, en Côte-d'Or. Cette dernière étape relève bien de la Défense, et du CEA.

D’ailleurs, EDF va réaliser l'irradiation en doublon. L'objectif du ministère est de multiplier les sources, pour sécuriser l'approvisionnement. Le CEA va aussi relancer un site pour cette première étape. Selon nos informations, ce sera à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Les deux projets parallèles doivent suivre sensiblement le même calendrier. À Civaux, EDF espère commencer les tests l'an prochain. Il faut d'abord l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire.

3Pourquoi la centrale de Civaux a-t-elle été choisie ?

Cette centrale de la Vienne est l'une des plus récentes du parc d'EDF, ses deux réacteurs font partie des plus puissants actuellement en service en France. Cela offre donc les bonnes conditions techniques, et de la visibilité à long terme, pour ce programme commun. Du côté des Armées, cette collaboration inédite permet aussi d'éviter des investissements lourds, s'il fallait construire un réacteur spécifique - cela évite aussi d'avoir à importer du tritium.

EDF, de son côté, l'assure : cette activité sera marginale, et cela n'entraînera que de très légères modifications du fonctionnement des réacteurs. La centrale servira bien, avant tout, à produire de l'électricité, comme aujourd'hui. L'électricien insiste : Civaux sera la seule centrale nucléaire civile en France concernée par cette utilisation à des fins militaires. Mais cela se fait ailleurs, par exemple aux Etats-Unis.

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