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La présence de tritium, une substance radioactive, dans l'eau potable est-elle dangereuse pour votre santé ?

Du tritium est bien présent dans l'eau du robinet, en particulier le long de la Loire et en Ile-de-France, mais les taux mesurés sont très loin du seuil maximal fixé par les autorités. Et lui-même est très inférieur au seuil sanitaire établi par l'OMS.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
La centrale nucléaire de Saint-Laurent-Nouan (Loir-et-Cher) au bord de la Loire, le 26 septembre 2018. (SOBERKA RICHARD / HEMIS.FR / AFP)

Une eau contaminée au tritium, une substance radioactive, alimenterait 6,4 millions de Français. L'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (ACRO) l'affirme, carte et relevés à l'appui. Dans le live de franceinfo, vous avez été très nombreux à nous écrire pour nous demander des explications et savoir si l'eau qui coulait de votre robinet était toujours potable.

La rumeur selon laquelle une infirmière d'un hôpital parisien aurait vu passer un arrêté préfectoral interdisant la consommation d'eau du robinet, à cause de cette contamination radioactive, s'est même répandue. Alors vraie ou fausse information ? Voici des éléments de réponse. 

Qu'est-ce que le tritium ?

Le tritium est une version radioactive de l'atome d'hydrogène. "On en trouve un tout petit peu à l'état naturel, expose à franceinfo Jean-Michel Bonnet directeur de la santé à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). La Terre est soumise au rayonnement cosmique et dans la haute atmosphère celui-ci provoque une réaction chimique des atomes d'azote et d'oxygène qui crée du tritium."

Ce tritium se combine ensuite à de l'oxygène, comme l'aurait fait un atome d'hydrogène non radioactif, pour former de l'eau, mais de l'eau tritiée. Et celle-ci se mélange ensuite aux rivières, fleuves, mers et océans, via le cycle naturel de l'eau, précise l'IRSN. La Terre a ainsi en permanence 3,5 kilos de tritium naturel.

Les essais nucléaires menés en plein air, principalement entre 1945 et 1963, ont aussi rejeté dans l'atmosphère du tritium. Avec le temps, celui-ci a perdu de sa radioactivité, mais en 2007, il restait encore 40 kilos de ce tritium à la surface du globe.

"Mais la principale source reste l'activité humaine dans les centrales nucléaires et les centres de recherche", poursuit le directeur de la santé de l'IRSN. "Dans les centrales nucléaires, l'eau des rivières est utilisée pour refroidir le cœur du réacteur. Là, elle se charge en tritium. Cette eau tritiée est ensuite stockée et rejetée progressivement dans l'eau des affluents de manière à diluer les rejets radioactifs", schématise EDF, contactée par franceinfo.

"Le tritium étant infiltrable, les centrales nucléaires sont donc autorisées à en rejeter dans le milieu naturel en fin de parcours", poursuit Jean-Michel Bonnet. L'usine de retraitement des combustibles nucléaires de La Hague rejette ainsi dans la mer 30 g de tritium par an pour 1 600 tonnes de matière nucléaire traitée, indique l'IRSN.

Le tritium est cancérigène et mutagène pour l’homme dans le cas d’une exposition aiguë à de très fortes doses, comme dans le cas d’un accident nucléaire, rappelle  le livre blanc du tritium rédigé par l'Agence de sûreté nucléaire (ASN).

Où du tritium a-t-il été détecté et en quelles quantités ?

Dans un premier temps, l'ACRO a réalisé ses propres mesures le long de la Loire et de la Vienne avec l'aide d'autres associations. Constatant la présence de tritium dans les cours d'eau, elle a eu l'idée, explique son chargé d'études, Guillaume Rougier, à franceinfo, de demander au ministère de la Santé les relevés effectués par les Agences régionales de santé (ARS) sur la qualité de l'eau. A partir de ces données datant de 2016 et 2017, l'ACRO a établi une carte des zones où du tritium avait été détecté.

La carte de l'ACRO recense 268 communes concernées. Au nord de Dijon, près du centre de recherche nucléaire de Valduc, des taux de 8 à 17 becquerel par litre (Bq/l) ont été mesurés. Du tritium a également été retrouvé à Châtellerault (23,2 Bq/l), dans la Vienne, et dans une dizaine de communes avoisinantes. Entre les environs de Nogent-sur-Seine et de Fontainebleau, la dizaine de relevés va de 6,5 Bq/l à 17 Bq/l en aval de la centrale de Nogent.

L'Ile-de-France concentre la plupart des villes affectées : de Colombes aux Ulis à l'ouest et de Noisy-le-Grand à Corbeil-Essonnes à l'est. Du 16e arrondissement au 18e en passant par le 13e, Paris n'est pas épargné. Mais là encore les taux mesurés sont très faibles : il est de 0,8 Bq/l dans le 19e, par exemple. D'autres mesures montrent des concentrations de 6,5 Bq/l à Brie-Comte-Robert, 10 Bq/l à Boulogne-Billancourt, Ivry-sur-Seine ou Massy, par exemple.

L'autre secteur géographique touché est la vallée de la Loire : Orléans (5,5 Bq/l), Blois (9,6 Bq/l), Tours (11,9 Bq/l). A partir de Saumur (11,6 Bq/l), autour d'Angers (15,9 Bq/l), la zone concernée s'élargit jusqu'aux portes de Cholet. Puis on retrouve du tritium autour de Nantes (14 Bq/l) jusqu'au bord de l'estuaire de la Loire. "On voit clairement sur la carte la corrélation entre ces relevés et la présence de centrales nucléaires", résume Guillaume Rougier, le chargé d'études de l'ACRO.

Ces taux relevés sont-ils dangereux ?

"Nous ne sommes pas alarmistes", se défend le chargé d'études de l'ACRO. "Aucune valeur mesurée ne dépasse le seuil de référence fixé par les autorités", ajoute-t-il, assurant : "On n'est pas sur des niveaux qui nécessiteraient d'interdire la consommation d'eau du robinet." "Ces taux ne sont pas du tout anormaux, confirme EDF. Toutes les mesures sont conformes aux normes. Et ces valeurs sont inoffensives pour l'homme."

"L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini un seuil sanitaire de 10 000 Bq/l à partir duquel l'eau n'est plus considérée comme potable", détaille le directeur de la santé de l'IRSN. En France, le Code de la santé publique fixe une référence de qualité à 100 Bq/l. Il s'agit là d'une transposition dans le droit français d'une réglementation européenne visant à une harmonisation des pratiques au sein de l'UE. "La référence de qualité en France est donc 100 fois en dessous du seuil sanitaire de potabilité fixé par l'OMS", fait remarquer Jean-Michel Bonnet. "Le seuil maximal de rejet autorisé est très en deçà du seuil sanitaire fixé par l'OMS", renchérit EDF.

En retenant ce seuil sanitaire de 10 000 Bq/l, l'OMS a fait le calcul suivant, poursuit le directeur de la santé de l'IRSN. "En consommant deux litres d'eau par jour pendant un an contenant 10 000 Bq/l de tritrium, la dose de radiation à laquelle on s'expose équivaut à celle reçue au cours d'un vol Paris-Tokyo." Et Jean-Michel Bonnet d'insister : "Cette exposition est dix fois plus faible que la dose reçue par le corps humain lorsqu'il est soumis à un examen médical par scanner."

Face à l'ampleur prise par la rumeur affirmant qu'en région parisienne la préfecture avait pris un arrêté interdisant la consommation d'eau du robinet à cause de cette supposée contamination, la préfecture a dû publier un démenti, précisant que, selon l'ARS d'Ile-de-France, les valeurs relevées dans l'eau ne présentent aucun risque pour la santé. L'Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) a elle aussi démenti avoir reçu le moindre arrêté de la préfecture. L'AP-HP assure ne pas être en mesure de découvrir l'identité de la personne ayant propagé la rumeur, mais se réserve le droit de porter plainte. 

"Tout est surveillé, tout est documenté, tout est public", assure EDF qui renvoie à la carte officielle du Réseau national de mesures de la radioactivité de l'environnement. "Entre quinze et vingt personnes sont dédiées dans chaque centrale au suivi de la radioactivité et des rejets tout autour de la centrale. Ces équipes environnement font des mesures dans l'air, l'eau, les champs, sur les animaux d'élevage", précise le groupe.

Y a-t-il quand même des raisons de s'inquiéter ?

Dans son livre blanc du tritium, l'ASN constate qu'il existe un débat au sein de la communauté scientifique sur la radiotoxicité du tritium. Celle-ci pourrait avoir été sous-estimée et pourrait être en réalité deux fois plus importante. Mais quand bien même, la marge de sécurité reste grande. La référence de qualité retenue par la France étant cent fois inférieure au seuil sanitaire fixé par l'OMS, même si ce dernier devait être révisé de 10 000 Bq/l à 5 000 Bq/l, la norme française serait encore cinquante fois plus basse, à 100 Bq/l.

En tout état de cause, la Commission internationale de protection radiologique n'a pas revu sa position, estimant qu'il fallait encore poursuivre les recherches. Par précaution, la Criirad, un autre laboratoire associatif travaillant sur le nucléaire, réclame tout de même l'abaissement de cette référence de qualité à 10 Bq/l, dénonçant la banalisation des contaminations en tritium.

Les anti-nucléaires s'inquiètent en outre des conséquences sur la santé d'une exposition à long terme au tritium. De par sa nature, "le tritium s'associe très facilement avec l'eau et il peut tout aussi facilement pénétrer dans le corps humain", pointe Catherine Fumé, membre de l'association Sortir du nucléaire. "Au bout de 12 ans environ, le tritium a perdu la moitié de sa radioactivité. Mais cela représente tout de même une période importante à l'échelle humaine. D'autant plus si on en ingère régulièrement", souligne la militante associative. "Le problème, poursuit Catherine Fumé, c'est qu'on manque d'études sur l'impact de l'exposition répétée et continue aux faibles doses." "On a des connaissances solides sur les fortes doses", reconnaît le cadre de l'IRSN, concédant : "On continue d'étudier les effets à faibles doses. Les recherches se poursuivent aussi à l'internationale, notamment au Canada."

Les associations sont d'autant plus vigilantes qu'en janvier, l'ACRO a relevé un taux de 310 Bq/l dans la Loire à Saumur (Maine-et-Loire). Soit plus de trois fois la limite autorisée. Des investigations ont été menées, mais, constate le directeur de la santé de l'IRSN, "les simulations qu'on a pu faire n'ont pas permis de retrouver des valeurs aussi élevées". Plusieurs hypothèses sont à l'étude : celle d'"une stratification du tritium dans l'eau d'un bras mort par exemple" ou celle d'"une source additionnelle de tritium extérieure à la centrale et non identifiée". L'enquête se poursuit, assure ce cadre de l'IRSN.

L'ACRO met en avant le rôle de "lanceur d'alerte" du tritium. "La présence de tritium dans l'eau potable montre la vulnérabilité de certaines régions en cas d'accident nucléaire", insiste le chargé d'études de l'association. "Cela prouve combien de grandes agglomérations sont tributaires du bon fonctionnement des installations nucléaires." Sur ce point, le directeur de la Santé de I'IRSN ne le contredit pas : "Dès que le tritium à une valeur anormale et dépasse le seuil de 100 Bq/l, cela envoie une alerte pour mesurer l'éventuelle présence d'autres rejets radioactifs", expose Jean-Michel Bonnet. "C'est ce qu'il s'est passé lors de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Du tritium a été rejeté à des doses très élevées, mais aussi des iodes radioactives et du césium."

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