Pourquoi la Cour de cassation a dû se prononcer sur un mariage homosexuel
Dominique, de nationalité française, et Mohammed, qui est marocain, ont dû attendre 18 mois avant de voir leur mariage validé.
Dernier épisode d'une longue bataille judiciaire. La Cour de cassation a validé le mariage d'un couple homosexuel franco-marocain, mercredi 28 janvier. Dominique et Mohammed ont dû attendre un an et demi et gravir chaque échelon de la justice française avant de voir leur union validée. Explications.
Un couple franco-marocain pacsé
Ils se gardent de révéler leurs noms, leurs professions et restent discrets, de crainte d'être harcelés. Dominique, âgé d'une cinquantaine d'années, est français. Mohammed, plus jeune, est marocain. Ils vivent ensemble "depuis un bon bout de temps", écrivaient-ils sur le Huffington Post, et sont pacsés depuis le 11 mars 2013.
Ils devaient se marier le 14 septembre 2013, mais leur union est ensuite restée suspendue aux décisions de justice, jusqu'à celle de la Cour de cassation, ce mercredi.
Une convention binationale critiquée
Deux documents sont à l'origine de leurs tourments. Le premier est une convention bilatérale franco-marocaine, ratifiée en 1981 et relative "au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire". Cette convention dispose qu'en cas de mariage franco-marocain, chacun des deux membres du couple doit se conformer aux lois de son pays. Or, la loi marocaine interdit le mariage entre deux personnes de même sexe.
Le deuxième document, appelé "circulaire Taubira", date de mai 2013. Il rappelle notamment les "conditions de fond du mariage" et leurs exceptions (Art. 202-1 alinéa 1er du Code civil, page 4 de ce PDF). Il rappelle que "les conventions ont une valeur supérieure à la loi" et que, par conséquent, la convention signée entre la France et le Maroc interdit à un maire français de célébrer des mariages homosexuels franco-marocains.
"Cette convention dit que la France s'engage à appliquer les dispositions de la loi marocaine pour les mariages célébrés en France, conteste Me Besson, l'avocat du couple. Ça n'a pas de sens ! Car la loi marocaine interdit le mariage entre une musulmane et un non-musulman. Vous vous imaginez appliquer ça en France ?"
Dix autres pays sont concernés : Pologne, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Kosovo, Slovénie, Tunisie, Algérie, Laos et Cambodge.
Un mariage contesté, puis validé, puis contesté...
A l'été 2013, Dominique et Mohammed préparent leur mariage, font publier les bans, consultent un avocat spécialisé dans le droit des étrangers, afin de traiter les tâches administratives. Mais le 12 septembre, deux jours avant le rendez-vous devant le maire, le procureur de Chambéry s'oppose à l'union, invoquant la "circulaire Taubira". C'est le début de 18 mois de parcours judiciaire.
Le couple saisit alors la justice. Pour la première fois, un tribunal de grande instance doit se prononcer sur le mariage d'un Français et d'un étranger. Le tribunal de Chambéry leur donne raison le 11 octobre 2013. Trois jours plus tard, le parquet fait appel, arguant que "les conventions internationales régulièrement ratifiées ont une autorité supérieure à la loi, conformément à l'article 55 de la Constitution".
C'est alors que l'avocat du couple écrit à la ministre de la Justice, appelant à sa bienveillance, afin qu'elle lève l'appel du parquet. Christiane Taubira n'intervient pas, mais la cour d'appel de Chambéry autorise à son tour Dominique et Mohammed à se marier. Ce qu'ils font, en novembre, tandis que le parquet général forme un pourvoi devant la Cour de cassation, plus haute instance juridique de France. Là, l'avocat général près la Cour de cassation, Jean-Dominique Sarcelet estime que la convention passée entre la France et le Maroc est "manifestement incompatible avec le nouvel ordre public français".
Vers une jurisprudence Dominique et Mohammed ?
La Cour de cassation a tranché : elle valide l'union et rappelle que l'article 4 de la convention franco-marocaine prévoyait que la loi d'un des deux pays pouvait être écartée lorsqu'elle était "manifestement incompatible avec l'ordre public". Or, l'ordre public est un ensemble de règles relatives à l'organisation de la nation, l'économie, la morale, la santé, la sécurité, la paix publique, ainsi que les droits et libertés essentielles de chaque individu. Pour la Cour, la liberté de se marier est bien un droit fondamental, qui a été ouvert en France aux couples de même sexe depuis la loi du 17 mai 2013.
Cet arrêt de la Cour de cassation entre désormais dans la jurisprudence, qui pourra être invoquée par d'autres couples homosexuels binationaux.
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