Manifestation des policiers : "On accuse la justice de laxisme, alors qu'elle applique la loi", dénoncent les magistrats
Deux magistrats répondent aux critiques scandées par des policiers lors de la manifestation de mercredi.
Les attaques contre la justice ne passent pas. Après la manifestation de policiers, mercredi 19 mai, devant l'Assemblée nationale, en présence de plusieurs responsables politiques, dont le ministre de l'Intérieur, les magistrats ne décolèrent pas. L'Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM) ont chacun publié un communiqué pour rejeter les accusations de laxisme dont ils font l'objet.
"Le problème de la police, c'est la justice !" a notamment scandé le secrétaire général du syndicat Alliance, Fabien Vanhemelryck. Les policiers présents réclamaient plus de sévérité à l'égard de leurs agresseurs, après la mort d'Eric Masson et Stéphanie Monfermé, ces deux fonctionnaires tués à quinze jours d'intervalle. Ils dénonçaient des décisions de justice considérées comme complaisantes.
"Ça fait écho aux multiples attaques dont on fait l'objet depuis longtemps", relève, lasse, Lucille Rouet secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature et juge des enfants à Paris. Laurent Bedouet, magistrat à la cour d'appel de Douai, et membre de l'USM, déplore lui aussi ces propos : "On est complètement abasourdis et on ressent comme une profonde injustice ce qui s'est déroulé", explique-t-il à franceinfo.
Les aménagements de peine au cœur des débats
En tête des reproches faits aux magistrats, un supposé laxisme, martelé par les syndicats de police. "On parle beaucoup du laxisme de la justice, mais c'est faux. En 20 ans, le nombre de détenus en prison a augmenté de 60%", rappelle Laurent Bedouet. "Il y a de moins en moins de gens dans les juridictions. On se gargarise d'un budget arraché avec les dents, en augmentation, mais dans les faits, il sert surtout à la construction des prisons", complète Lucille Rouet. L'occasion de pointer une contradiction.
"Si on veut mettre plus de gens en prison, construisons des prisons ! Mais comme il n'y a plus de place pour le moment, on demande aux juges d'aménager les peines et donc d'éviter le recours à la prison."
Laurent Bedouetà franceinfo
"La loi qui encourage les aménagements de peine a été prise sous le mandat de Nicolas Sarkozy", rappelle aussi Laurent Bedouet. En effet, c'est dans le cadre de la loi pénitentiaire portée en 2009 par Rachida Dati que les juges ont été encouragés à recourir à des peines alternatives (bracelet électronique, travaux d'intérêt général) pour les courtes peines. "On accuse la justice de laxisme, alors qu'elle applique la loi !" s'indigne-t-il.
Cette loi a élargi le processus aux peines de deux ans d'emprisonnement, contre seulement un an auparavant. "C'est complètement hypocrite de nous accuser ainsi. La loi ne prône pas la prison. On sait que l'incarcération ne fonctionne pas. D'ailleurs, 66% des mineurs envoyés en prison récidivent", ajoute Lucille Rouet.
Une "dégradation générale" du rapport aux autorités
"On fait croire que l'augmentation des violences est due au laxisme des magistrats. La dégradation est générale à l'égard de toutes les autorités publiques. Vouloir diviser les uns et les autres nous parait mortifère", regrette Laurent Bedouet. L'USM a d'ailleurs assuré les policiers et gendarmes de son soutien dans son communiqué, publié avant le rassemblement. De son côté, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a assuré que "policiers et magistrats [étaient] dans la même barque", mercredi devant les députés.
"On déplace le problème sur la justice, au lieu de se concentrer sur les réels manques de moyens des commissariats."
Lucille Rouet, magistrateà franceinfo
Les magistrats soulèvent l'incohérence entre des forces de l'ordre capables de "taper sur la justice" tout en réclamant le respect de l'autorité publique. "Comment voulez-vous demander à des délinquants de respecter les forces de l'ordre si on décide que sont exclus de cette demande les magistrats ?" se désole le magistrat douaisien.
Pour les deux juges interrogés par franceinfo, la présence d'une partie de la classe politique à la manifestation est induite par les échéances électorales à venir, en particulier la présidentielle de 2022. "Nous ne sommes pas dupes, pointe Lucille Rouet. On n'a jamais autant favorisé la comparution immédiate, le taux de réponse pénale n'a jamais été aussi élevé. Dire le contraire, c'est un argument à visée électoraliste." Avec son collègue Laurent Bedouet, elle craint que ce discours de remise en cause de la justice ne finisse par pénétrer les esprits et instaure durablement une véritable défiance à son égard.
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