Politiques, médecins, associations LGBT... la GPA divise
Si Manuel Valls considère aujourd'hui que la GPA est une pratique "intolérable", en 2010, plusieurs sénateurs, de gauche comme de droite, proposaient d'autoriser le recours aux mères porteuses dans l'Hexagone.
En l'espace de cinq ans, les Français ont radicalement changé d'avis sur la gestation pour autrui (GPA), à en croire les sondages. Aujourd'hui, plus question, pour eux, d'autoriser le recours aux mères porteuses dans l'Hexagone, illégal à l'heure actuelle : en février dernier, 59% des personnes interrogées se déclaraient "plutôt" ou "tout à fait" opposées à cette idée, d'après une étude de Harris Interactive pour la chaîne LCP.
A l'inverse, en 2009, 65% des Français étaient favorables à la légalisation, selon un sondage réalisé pour le Journal du Dimanche et M6. L'idée progressait même au sein de l'opinion publique, analysait l'hebdomadaire. Que ce soit au sein de la classe politique, du corps médical ou des associations LGBT, les mères porteuses sont aujourd'hui loin de faire consensus. Etat des lieux des forces en présence.
La classe politique frileuse
Depuis le débat sur le mariage pour tous, le gouvernement ne cesse de le marteler : pas question de légaliser la GPA en France. Cette position en faveur du statu quo n'avait pourtant rien d'une évidence pour les politiques. En 2010, plusieurs sénateurs, de gauche comme de droite, ont proposé une loi pour autoriser certains couples hétérosexuels, en proie à des difficultés médicales, à recourir à une mère porteuse.
Avant de devenir Premier ministre et de la considérér comme une "pratique intolérable", Manuel Valls était lui-même favorable à une GPA "maîtrisée", régie par des "règles précises". En 2011, interrogé par le magazine gay Têtu, l'actuel locataire de Matignon voyait là une "évolution incontournable" de la société. Un discours similaire à celui tenu, un an plus tôt, par Najat Vallaud-Belkacem et 60 autres personnalités, dont de nombreux élus socialistes, dans une tribune.
Aujourd'hui, les parlementaires ouvertement favorables à l'autorisation de la GPA sont plus rares. A gauche, le débat est particulièrement intense, ravivé par la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, qui impose à la France de reconnaître la filiation des enfants nés de mère porteuse à l'étranger. Dans une lettre ouverte, dix députés socialistes ont demandé à la France de faire appel du jugement, s'emportant contre un système qui "rabaisse les femmes à un rôle de génitrice". Des figures du PS comme Lionel Jospin ou Jacques Delors s'étaient déjà prononcés contre cette "pratique sociale aliénante", tandis que l'écologiste José Bové a dénoncé "la marchandisation des femmes et l'eugénisme qui se met en place".
Le corps médical réservé
Spécialiste de l'infertilité, le professeur François Olivennes a ouvertement pris position en faveur de la légalisation des mères porteuses. "Indispensable", expliquait-il à Rue 89. Dans une tribune parue dans Le Monde, le gynécologue-obstétricien défendait la "GPA fondée sur l'altruisme", et mettait en garde contre la situation actuelle, où des couples se rendent à l'étranger "sans aucun encadrement et avec des coûts importants".
Reste que sa position ne fait pas l'unanimité au sein de la profession. Face à lui, l'obstétricien René Frydman, à l'origine du premier "bébé-éprouvette" français, en 1982, a fait part de son opposition à de multiples reprises. En 2009 et en 2014, un groupe de travail de l'Académie de médecine a considéré que la pratique de la GPA "relevait exclusivement de la responsabilité du législateur" et "débordait le cadre de la médecine". Les auteurs insistaient sur les "problèmes graves et inhabituels" posés par ce mode d'assistance à la procréation, et évoquaient les "légitimes réserves éthiques" causées par la rupture entre la grossesse et la filiation.
En 2009, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) se montrait lui aussi réservé. Il évoquait "le traumatisme psychologique que pourrait constituer", pour la mère porteuse et sa famille, "le fait de confier l'enfant juste après sa naissance". En cas de légalisation, le CNGOF recommandait de définir un cadre médical strict pour la GPA, réservée aux couples hétérosexuels stériles.
Les associations LGBT et les féministes divisés
Unis pour réclamer l'adoption de la loi Taubira sur le mariage des personnes homosexuelles, les mouvements féministes et LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) se divisent quand il s'agit d'évoquer la question des mères porteuses. En 2013, le tract de la manifestation pro-mariage pour tous se gardait bien de se prononcer sur le sujet : "La gestation pour autrui ne rentre pas dans le cadre de cette loi", pouvait-on lire sur le document.
Prudence, car le sujet est source de tensions entre les alliés d'hier. Parmi les mouvements LGBT, l'Association des familles homoparentales (ADFH) se prononce clairement pour la légalisation de la GPA, dont elle a fait l'une de ses principales revendications. "Il faut répondre à la problématique de couples qui sont en incapacité de procréer", explique son président, Alexandre Urwicz, qui milite pour un "encadrement éthique".
A contrario, la Coordination lesbienne de France dénonce un système "d'exploitation, de marchandisation et d'appropriation du corps des femmes". L'association s'est même retirée de l'inter-LGBT en mars dernier, dénonçant son ambiguïté vis-à-vis des mères porteuses. Alexandre Urwicz le reconnaît : "Le débat n'a pas pu s'instaurer" au sein de la fédération d'associations, qui refuse pour l'heure de se prononcer sur une légalisation en France.
Les intellectuels partagés
A quand "un débat informé et serein" sur les mères porteuses ? C'est ce que réclamaient la philosophe Elisabeth Badinter et la sociologue Irène Théry fin 2012, dans une tribune publiée par Le Monde. Les deux intellectuelles mettaient en avant la possibilité de "GPA éthiques", "où les gestatrices, leur mari et leurs enfants partagent avec le couple des futurs parents une aventure humaine non seulement respectueuse des droits, mais créatrice de relations intenses".
Dans ce texte, elles s'en prenaient à "un groupe de personnes se réclamant du féminisme". A savoir notamment la présidente du Planning familial ou la porte-parole d'Osez le féminisme, qui se sont prononcées, en 2012, contre le principe des mères porteuses, qu'elles apparentent à une "industrie de 'location des ventres'". Un "baby business", dénonce dans la même veine la philosophe Sylviane Agacinski, pour qui la GPA est un "asservissement" de la femme.
Saisi de la question, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est prononcé, en 2010, contre la légalisation des mères porteuses, "même de manière strictement limitée et contrôlée". L'institution, qui rassemble des représentants des "principales familles philosophiques et spirituelles", des chercheurs et des personnalités spécialistes de l'éthique, a estimé que la GPA "pourrait porter atteinte au principe de dignité de la personne humaine".
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