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"Nous sommes des parents tout court" : des couples qui ont eu recours à la GPA racontent leur expérience

Partis à l'étranger pour faire appel à des mères porteuses, ils racontent à franceinfo les batailles judiciaires et administratives pour faire reconnaître leurs enfants en France. 

Article rédigé par Camille Caldini - Laura Welfringer
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Sylvie et Dominique Mennesson, parents de jumelles nées par GPA aux Etats-Unis, au palais de justice de Paris, le 18 mars 2010. (MARTIN BUREAU / AFP)

Ils voulaient un enfant, mais n'y arrivaient pas. Pour des raisons physiologiques ou sociales, ces couples infertiles ont choisi de faire appel à des mères porteuses, aux Etats-Unis ou au Canada. La gestation pour autrui (GPA) est interdite en France, mais rien dans la loi n'interdit à des Français d'y recourir à l'étranger. Pourtant, l'Etat peine à reconnaître les enfants nés ainsi et leur filiation avec leurs parents d'intention, malgré plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). La Cour de cassation a rendu deux décisions sur le sujet, mercredi 5 juillet. 

Franceinfo a recueilli des témoignages de couples qui se sont retrouvés dans cette situation.

Dominique et Sylvie : "Nos filles sont sans parent"

L'affaire de Sylvie et Dominique Mennesson est la plus médiatique. Elle a conduit la CEDH à condamner la France pour son refus de reconnaître la filiation des enfants nés d'une GPA à l'étranger. Depuis, le couple espère l'application de cette décision mais il se heurte au système judiciaire français.

En 1998, le couple apprend qu'il ne peut pas avoir d'enfant naturellement et se rend en Californie, pour entamer une procédure de GPA. Après plusieurs tentatives, une grossesse débute finalement. Selon la loi de l'Etat de Californie, Sylvie et Dominique sont reconnus parents des jumelles, nées en octobre 2000. Mais le consulat français leur refuse ce statut ainsi que la nationalité française des nourrissons. Depuis dix-sept ans, le couple vit donc "entre ciel et terre", raconte Dominique à franceinfo. "D'un côté, le grand bonheur d’être une famille, avec des filles formidables, et de l’autre, des procédures à répétition, parce que la justice essaie de nous coincer par tous les moyens", résume le père (biologique) des jumelles.

Ce n'est pas normal qu'on soit déclarés parents dans tous les pays, sauf en France.

Dominique Mennesson

à franceinfo

Les Mennesson ont été tour à tour accusés d'adoption illégale ou encore d'avoir fourni de faux certificats de naissance. Il a fallu quinze années de procédure, au pénal et au civil, pour que les jumelles obtiennent la nationalité française. Mais, en 2017, le lien de filiation entre les parents et leurs filles n'est toujours pas reconnu. "Elles ont obtenu la nationalité française précisément parce qu'elles sont nées de parents français, mais l'Etat ne reconnaît pas la filiation, c'est un non-sens absolu", s'insurge Dominique. "Donc on reconnaît ce lien à un moment et puis plus ?", demande encore le père des jumelles, excédé et épuisé par les années de procédures.

"Devant l'administration, c'est un vrai cauchemar, personne ne comprend, poursuit-il. Pour les allocations familiales, pour la Sécurité sociale, on dépend de ses parents, donc il faut pouvoir prouver le lien, sauf que nous n'avons pas de livret de famille." Et au-delà des problèmes administratifs, "ça tape sur le système, en terme d’identité". "Légalement, nos filles sont sans parents, ou avec des parents par intermittence, confirme Sylvie. Vous imaginez les dégâts que ça peut faire chez des enfants ?"

Sylvie, dont les gamètes n'ont pas servi dans la conception des jumelles, est considérée comme "parent d'intention". Interrogée sur cette expression, elle répond : "Je préférerais que l'on reconnaisse que nous sommes des parents tout court." "Si la parenté n'était que biologique, il n'y aurait pas d'adoption, ni de dons de gamètes", ajoute Sylvie. Dominique dénonce en outre la "formidable mauvaise foi", qui consiste à "croire que ne pas reconnaître les enfants nés par GPA à l'étranger va empêcher d'autres couples de le faire".

Nicolas et Alexandre : "On est tous les deux parents, on se lève tous les deux la nuit" 

Ils sont ensemble depuis une dizaine d'années et, après avoir vécu "un peu à l'étranger", ils sont désormais installés dans une commune rurale du Sud-Ouest. Nicolas et Alexandre*, infirmiers, mariés au Canada "à la fin des années 2000", puis rentrés en France, ont accueilli leur fils en 2016. C'est au Canada que leur bébé a été conçu, grâce à une mère porteuse et un don d'ovocyte, "et comme le droit du sol s'applique, sauf pour les diplomates, il est canadien, avec un acte de naissance et un passeport canadiens", détaille Nicolas, contacté par franceinfo. "De ce côté, ça a été easy, commente Nicolas, mais côté français, on ne peut pas en dire autant."

Dès la naissance, des difficultés sont apparues. Nicolas a voulu demander un congé de présence parentale, car le bébé est né prématuré. "Mon employeur a fait des difficultés en me demandant, pour m'accorder ce congé auquel j'avais droit, un acte de naissance transcrit dans l'état civil français, raconte-t-il. Pourtant, un simple certificat médical suffit." Pointilleux, cet employeur ? "Non, ils ont carrément inventé des documents à fournir, et j'ai fini par céder et présenter l’acte de naissance canadien, alors que je n’y étais pas obligé."

En tant que couple d'hommes, on n'a droit à aucun congé pour accueillir un enfant.

Nicolas

à franceinfo

Nicolas connaît bien son droit et rappelle que "quand vous adoptez, vous avez droit à dix semaines de congés d’adoption et quand une femme accouche, elle a droit à six semaines de congé prénatal et dix semaines de post-natal". Mais Nicolas et Alexandre n'entrent dans aucune de ces catégories. "Au Canada, vous avez cinquante-et-une semaines, pour le père comme la mère, et en France on a fêté les quinze ans du congé paternité, qui dure onze jours, super, bravo !", ironise-t-il. Militant, Nicolas demande tout de même "un congé postnatal, donc un congé maternité", à son employeur, qui refuse. "J'ai poursuivi au tribunal administratif, pour essayer de faire bouger les choses, ajoute-t-il en attendant toujours une décision. Car cela dépasse les couples homos, c'est une question d'égalité des sexes."

Pour obtenir des papiers d'identité en règle en France, "on savait que ce serait galère", reconnaît Nicolas, qui détaille : "Vous avez affaire au ministère de la Justice, au ministère des Affaires étrangères et au ministère de l’Intérieur." "Et je ne vous cache pas que dans un département rural, les couples d’hommes qui ont eu un enfant par GPA au Canada, ça n’arrive pas toutes les semaines", ajoute-t-il. Selon lui, "la loi n'est pas appliquée de la même manière sur tout le territoire", et tous les services ne considèrent pas sa famille de la même façon : "Du côté de la CAF, on n'a pas touché de prime de naissance, parce qu'elle est liée à l'état de grossesse, mais on touche les allocations familiales."

Nicolas ne souhaite pas dire à franceinfo qui est le père biologique et qui est le père d'intention. "On est tous les deux les parents", répond-il simplement. "Quand vous nous voyez, vous ne pouvez pas vraiment déterminer qui est le père biologique, et puis on se lève tous les deux la nuit, on lui donne tous les deux à manger, on partage les tâches de façon très équilibrée", assure-t-il. "Cette histoire de filiation biologique, c'est surtout la société qui nous la renvoie à la figure en permanence", analyse Nicolas.

Serge et Pierre : "L'un de nous est le géniteur mais ça n'a pas d'importance"

"Nous avions un désir d’enfants, comme souvent dans les familles recomposées." C’est avec des mots simples que Serge Falcou, marié à Pierre Rouff en 2010 au Canada, détaille à franceinfo les raisons de leur recours à la GPA. Serge, 49 ans, est professeur en classe préparatoire aux grandes écoles. Pierre, 58 ans, est financier. Serge et Pierre sont chacun également pères d'enfants nés de précédentes unions.

Les deux hommes ont envisagé, un temps, d’adopter. "Mais il ne faut pas se leurrer, c'est presque mission impossible", constate Serge, contacté par franceinfo. "Combatifs" et bien déterminés à devenir pères ensemble, Serge et Pierre se sont donc envolés vers l’Etat de l'Oregon, aux Etats-Unis, pour rencontrer une mère porteuse. Tous deux ont donné leurs gamètes pour concevoir l’enfant, et Adrien est né en 2014. Depuis, le couple a aussi célébré la naissance d’Ellen, 6 mois, conçue avec une autre mère porteuse américaine. "L'un de nous deux est géniteur mais on ne sait pas lequel, on n'a pas souhaité savoir, précise Serge. Pour nous, ça n'a pas d'importance."

Il n’est pas nécessaire de créer la vie pour pouvoir être parent.

Serge Falcou

à franceinfo

Comme les autres couples contactés par franceinfo, Serge et Pierre bataillent pour qu'Adrien et Ellen soient en règle en France. Accusé par l'administration d’avoir fourni un faux certificat de nationalité française pour leur fille, le couple a obtenu gain de cause au bout de "cinq mois en tout". Et alors que le certificat de nationalité française d'Ellen porte le nom des deux pères, celui d'Adrien n'en mentionne qu’un seul. Cependant, pas question, pour le père non inscrit, d’adopter Adrien pour faire valoir ses droits. "Je ne vois pas comment on pourrait adopter un enfant dont on est déjà le père sur un certificat de nationalité étranger", fait mine de s'interroger Serge.

Autre source de "colère" et d’"incompréhension" pour le couple : leurs enfants nés par GPA ne sont pas inscrits sur leur livret de famille, contrairement à leurs autres enfants. Une question taraude encore Serge : à quel héritage ses enfants auront-ils droit ? "On ne voudrait pas qu’il y ait une différence de traitement entre nos enfants nés par GPA et nos enfants qui sont reconnus par l’Etat français", s’inquiète-t-il.

François et Nathalie : "Aux Etats-Unis, ce sont nos enfants, il n’y a pas débat"

"Ma compagne est ce qu’on appelle une 'fille Distilbène'", raconte François à franceinfo. La raison du recours à la GPA de François et Nathalie tient dans le nom de cet œstrogène de synthèse, interdit en France depuis 1977. Utilisé dans le monde entier entre les années 1950 et les années 1970, le Distilbène a provoqué de graves effets secondaires aux enfants des femmes qui prenaient ce traitement, comme la mère de Nathalie. 

Après de multiples tentatives infructueuses pour concevoir un enfant en France, François et Nathalie, qui sont allés "jusqu’à la FIV (fécondation in vitro)", se sont rendus en Espagne pour un don d’ovocytes. Mais l’utérus de Nathalie "ne portait pas", explique François. La GPA, plus rapide que l’adoption, était donc pour eux "la seule solution", estime François : "A la fois pour avoir les ovocytes d’une donneuse et pour trouver une personne qui porterait les embryons issus de ces ovocytes et de mes spermatozoïdes."

Nés en Floride (Etats-Unis), les jumeaux du couple, Mathilde et Matteo, ont la nationalité américaine. Ils ont aussi la nationalité française, puisque François et Nathalie, inscrits sur le certificat de naissance américain des deux enfants, sont français. Cependant, ni Mathilde ni Matteo ne figurent sur le livret de famille du couple. "Aux Etats-Unis, ce sont nos enfants, il n’y a pas débat", explique François. Mais en France, "ce sont des enfants fantômes, comme on dit dans les médias", regrette-t-il.

Moi, je ne suis pas hors-la-loi.

François

à franceinfo

"En colère", François dénonce "l'hypocrisie" des autorités françaises, qui refusent de reconnaître ses enfants "en tant qu'enfants légitimes". Même s’il a pu inscrire "tout de suite" Matteo et Mathilde à la Sécurité sociale, son dossier a par la suite été considéré comme incomplet, et François a dû fournir de nombreux documents, jamais suffisants. "Ça a duré pendant un an, relate-t-il. A la CAF, ils ont été beaucoup plus ennuyeux parce qu’ils m’ont demandé plein de papiers, les mêmes, mais ils n’ont pas inscrits les enfants tant qu’ils n’avaient pas tout."

Nathalie et François attendent donc beaucoup de la décision de la Cour de cassation du 5 juillet. Si elle s’avère favorable aux parents d’intention, "évidemment que j’entamerai les démarches [concernant la filiation] tout de suite", assure-t-il. La décision sera "aussi symbolique", estime François. Pour son couple, ce serait également "une réparation d’une autre chose qui a été faite il y a quelques années", confie-t-il, en référence au Distilbène.

"Optimiste", François espère par ailleurs que l’élection d’Emmanuel Macron changera la donne. "Macron a dit qu'il allait régler le problème des enfants nés de GPA et il a l'air de vouloir tenir ses engagements", observe François. La France est hors-la-loi vis-à-vis de la CEDH et monsieur Macron semblant très pro-européen, je me dis qu'il ne va pas aller contre la décision de l’Europe."

* Les prénoms ont été changés

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