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Enfants nés de mère porteuse à l'étranger : pourquoi la CEDH condamne la France

Deux couples français, qui se battent depuis des années pour faire transcrire dans l'état-civil les actes de naissance de leurs enfants nés par GPA aux Etats-Unis, avaient porté plainte devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Sylvie et Dominique Mennesson posent avec leurs jumelles nées en 2000 d'une mère porteuse, le 2 juillet 2009 à Maisons-Alfort (Val-de-Marne). (PIERRE VERDY / AFP)

La France condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Celle-ci a estimé, jeudi 26 juin, que le refus de reconnaître la filiation des enfants nés de mère porteuse à l'étranger était "contraire" à la Convention européenne des droits de l'homme et portait atteinte à l'identité des enfants.

Francetv info revient sur les motivations et les conséquences de cette décision historique.

Qui sont les plaignants ? 

La CEDH a été saisie par deux couples de parents, Dominique et Sylvie Mennesson ainsi que Monique et Francis Labassée. Ils se battent depuis plusieurs années devant les tribunaux pour transcrire dans l'état-civil français les actes de naissance de leurs enfants nés par gestation pour autrui (GPA) aux Etats-Unis.

Les filles du couple Mennesson, Valentina et Fiorella, sont nées en 2000, grâce au don d'ovocytes d'une amie du couple et à Mary, une mère porteuse californienne. Conçue de la même manière, la fille des Labassée, Juliette, a vu le jour un an plus tard, en 2001, dans le Minnesota.

Le 6 avril 2011, la Cour de cassation leur avait opposé une fin de non-recevoir. Elle avait jugé "contraire à l'ordre public (...) la décision étrangère [de reconnaissance de la filiation par GPA] qui comporte des dispositions heurtant des principes essentiels du droit français".

A la suite de cet échec, les deux familles avaient saisi la justice européenne, arguant d'une situation discriminatoire, d'une atteinte à leur vie privée ainsi qu'à leur droit de fonder une famille.

Pourquoi la CEDH leur donne-t-elle raison ?

La Cour ne se prononce pas en faveur d'une légalisation de la GPA en France. Son arrêt, qui constate une violation du droit à la vie privée (mais pas du droit au respect de la vie familiale), est motivé par deux éléments :

L'intérêt supérieur des enfants et leur identité. Elle estime que le refus des autorités de transcrire des actes de filiation porte atteinte à l'"identité d'être humain" des enfants, qui inclut la filiation et leur nationalité.

Si la cour dit comprendre la volonté de la France de "décourager ses ressortissants de recourir à l’étranger à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire", elle observe que ce choix a des conséquences sur les enfants, qui n'ont rien demandé. Leur droit au respect de la vie privée "se trouve significativement affecté". "Le respect [de l'intérêt supérieur des enfants] doit guider toute décision les concernant", martèle l'arrêt.

La CEDH constate par exemple que cette situation lèse les enfants à propos de l'héritage de leurs parents, "les droits successoraux étant alors calculés comme si [l'enfant] était un tiers, c'est-à-dire moins favorablement". Elle estime également que les enfants se trouvent de fait "dans une situation d'incertitude juridique".

Les droits du père biologique. L'arrêt est aussi motivé par le fait que le père de ces deux familles est bien le père biologique des enfants. La cour estime qu'"interdire totalement l'établissement d'un lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques" est "contraire" à la Convention européenne des droits de l'homme.

Quelles conséquences sur la loi française ?

La France a trois mois pour demander ou non le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre, qui peut accepter de réexaminer ce cas. Si personne ne saisit cette chambre, l'arrêt sera définitif. L'Etat devrait alors verser pour dommage moral 5 000 euros aux trois enfants des deux couples, 15 000 euros au couple Mennesson et 4 000 euros au couple Labassée.

Ensuite, explique le service communication de la cour (PDF), "il appartiendra à la France d'identifier les mesures à prendre" pour éviter d'être à nouveau condamnée sur ce point. S'il est trop tôt pour identifier ces mesures, cette décision ne remet pas en cause le choix de la France d'interdire la GPA. "La cour reconnaît aux Etats une ample marge d’appréciation dans leurs décisions relatives à la GPA, qui posent de délicates interrogations d’ordre éthique", précise le service communication.

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