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Mères porteuses : que dit vraiment la CEDH ?

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné, en juin, le refus de la France de reconnaître la filiation des enfants nés par mère porteuse à l'étranger. Mais tout le débat n'est pas tranché.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La CEDH a condamné la France, le 26 juin 2014, dans un dossier concernant deux jumelles nées d'une mère porteuse aux Etats-Unis. (NICOLAS MESSYASZ / SIPA)

Manuel Valls l'affirme, la France "exclut totalement" d'autoriser "la transcription automatique" des actes de filiation d'enfants nés par mère porteuse à l'étranger. Pour le Premier ministre, "cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA", une pratique contre laquelle la Manif pour tous se mobilise dimanche 5 octobre.

Derrière la déclaration de Manuel Valls, une bataille juridique stratégique : malgré l'interdiction de la gestation pour autrui en France, des nombreux couples, hétérosexuels infertiles ou homosexuels, se rendent à l'étranger pour y avoir recours. Jusqu'ici, la France refusait de retranscrire dans l'état civil français les actes de naissance de ces enfants. Mais en juin, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France pour cette politique, au nom de l'intérêt de l'enfant. Le délai pour contester cette décision a expiré le 26 septembre.

Quelque 2 000 enfants sont concernés, selon les estimations des associations. Publiée en plein débat parlementaire sur l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples homosexuels, la circulaire Taubira demandait déjà "de faire droit" aux demandes de certificats de nationalité pour des enfants nés à l'étranger de mère porteuse, "dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d'un acte d'état civil étranger probant au regard de l'article 47 du Code civil".

Et si la condamnation de la CEDH est claire, ses conséquences sont ambigües. La France doit-elle reconnaitre les deux "parents d'intention" ? Ou simplement le père, qui a un lien biologique avec l'enfant porté par une autre femme ? Explications.

 

Ce que dit l'arrêt : les enfants seuls victimes

En 2000, aux Etats-Unis, les jumelles Mennesson naissent grâce à une mère porteuse californienne rémunérée. Les embryons transplantés étaient issus d'un don d'ovocytes d'une tierce personne et du sperme du père, Dominique. C'est cette famille qu a saisi la CEDH pour que soit reconnue par la France la filiation des fillettes. Celle-ci a rendu son arrêt le 26 juin.

La Cour y écrit : "Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun, on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature. (...) La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des troisième et quatrième requérantes [les filles], qu’en faisant ainsi obstacle (...) à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation."

Concrètement, la CEDH estime que le refus de la France de transcrire dans l'état civil français les actes de naissance des jumelles Mennesson viole l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, si elle reconnaît cette violation vis-à-vis des enfants, privés d'un élément fondamental constitutif de leur identité, elle considère que les droits fondamentaux des parents ne sont pas atteints : "Il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale." 

En effet, la CEDH "constate qu’ils ont pu s’établir tous les quatre en France (...), qu’ils sont en mesure d’y vivre ensemble dans des conditions globalement comparables à celles dans lesquelles vivent les autres familles." 

Ce qui est sûr : le cas du père biologique

Dominique et Sylvie Mennesson, qui ont porté leur combat pour la transcription de leurs filles jumelles nées d'une GPA aux Etats-Unis dans l'état civil français, le 6 avril 2011, à Paris. (BERTRAND GUAY / AFP)

Alors qu'il est mention des "requérants" ou des "parents" tout du long du document, l'arrêt finit par se focaliser sur le père, qui est bien le père biologique des jumelles puisque c'est son sperme qui a servi à la conception des embryons implantés chez la mère porteuse américaine. "Bien que leur père biologique soit français, les troisième et quatrième requérantes sont confrontées à une troublante incertitude quant à la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française en application de l’article 18 du code civil", note la CEDH, qui affirme aussi : "Cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant."  

Ainsi, la Cour contraint la France à reconnaître, dans l'état civil des enfants, leur filiation à un père biologique français, et à leur accorder, de ce fait, la nationalité française. 

Ce qui sème le doute : le cas de la "mère d'intention"

Mais, alors qu'ils font prévaloir le droit supérieur de l'enfant et parlent du rôle des deux parents au quotidien, les juges européens ne tranchent pas la question de la reconnaissance du lien avec la "mère d'intention". "Il est regrettable que la CEDH n’ait pas d’emblée levé l’incertitude sur ce point pourtant crucial", abonde La Revue des droits de l’homme, citée par La Croix.

"La France, sans ignorer que [les jumelles Mennesson] ont été identifiées ailleurs [légalement, aux Etats-Unis] comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française", note-t-elle par exemple. A un autre moment, la CEDH écrit "qu’en l’absence de reconnaissance en France de la filiation établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, l’enfant né à l’étranger par gestation pour autrui ne peut hériter d’elle". 

Ou encore : "À cela s’ajoutent des inquiétudes fort compréhensibles quant au maintien de la vie familiale entre la deuxième requérante et les troisième et quatrième requérantes en cas de décès du premier requérant ou de séparation du couple."

Mais la "mère d'intention" ou "deuxième requérante" disparaît totalement des conclusions. Ainsi, deux options s'offrent à la France : suivre la lettre du texte, et ne considérer que la filiation biologique liée au père - dans le cas où ce ne sont pas les ovocytes de la mère qui sont utilisés pour la grossesse. Ou bien suivre l'esprit du texte, centré sur les droits et l'intérêt supérieur des enfants, et prendre en compte les deux parents, ce qui reviendrait à reconnaître le recours à ce parcours de procréation, tout en l'interdisant sur son territoire.

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