Témoignages Bénédiction des couples LGBT+ : entre "joie" et crainte qu'elle "ravive des blessures", des catholiques nous racontent pourquoi ils envisagent de la demander

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Dans un document publié le 18 décembre 2023 et approuvé par le pape François, le dicastère pour la Doctrine de la foi a autorisé la bénédiction des couples "irréguliers" aux yeux de l'Eglise. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Le Vatican a autorisé mi-décembre la bénédiction des couples "en situation irrégulière" pour l'Eglise, incluant les couples LGBT+. Un geste "fort" de reconnaissance, estiment certains d'entre eux, interrogés par franceinfo. Mais ils redoutent une application arbitraire, susceptible de raviver le traumatisme du mariage pour tous.

"J'ai toujours rêvé de me marier en robe blanche à l'Eglise." Le souhait d'Agathe, jeune catholique transgenre de 26 ans, lui a longtemps paru "inaccessible", en raison de "la relation compliquée entre l'Eglise catholique et les personnes trans". Si le Vatican ne reconnaît pas officiellement les transitions de genre, il a néanmoins fait un pas en direction des couples LGBT+, un mois après avoir ouvert le baptême aux personnes transgenres.

Dans un document publié le 18 décembre et approuvé par le pape François, le dicastère pour la Doctrine de la foi, sorte de ministère du Vatican, autorise la bénédiction des couples "en situation irrégulière" aux yeux de l'Eglise, incluant les couples remariés et les couples LGBT+. Dans la religion catholique, cette bénédiction prend la forme d'une "courte prière, souvent accompagnée d'un geste, ordinairement un signe de croix, par laquelle on invoque Dieu Père, Fils et Saint Esprit", détaille le glossaire de la Conférence des évêques de France.

Une "reconnaissance" accueillie avec "joie"

"C'est un geste qui peut être donné assez largement, qui est fait pour accompagner des personnes", mais qui se distingue des sacrements comme le baptême ou le mariage, relève Céline Béraud, sociologue, directrice de recherche à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste des questions de genre et de sexualité dans le catholicisme. "Ce texte tente d'accueillir au maximum les couples LGBT+ par un geste fort, assure-t-elle. C'est la première fois que quelque chose de positif leur est associé dans un texte de l'Eglise. Symboliquement, c'est une reconnaissance de leur état de vie (...) qui fait probablement du bien à des personnes qui subissent depuis longtemps de l'homophobie ecclésiale".

L'annonce est effectivement jugée "positive" par Agathe, qui réfléchit à sauter le pas avec son compagnon une fois que leur relation sera plus avancée. "Même si en soi, ça n'est pas un mariage ou une acceptation de l'homosexualité par la morale chrétienne, c'est quand même une voix de l'Eglise qui bénit un couple, réagit aussi Edouard. Ça signifie qu'il y a un écho divin qui vient accompagner l'union, et ça c'est très fort". Le trentenaire dit avoir "accueilli avec joie" la nouvelle du Vatican, alors qu'il a des projets de mariage civil avec son compagnon de 29 ans, Alexandre.

"Je perçois aussi cette annonce comme une forme de réparation, après les dégâts qu'ont pu avoir certains mots de l'Eglise dans les communautés LGBTQIA."

Edouard, catholique homosexuel

à franceinfo

"Moi qui me suis longtemps senti illégitime aux yeux de Dieu, qu'un homme d'Eglise accepte de me bénir, ça m'a réconforté", renchérit Guillaume, 35 ans, qui a été béni au cours de l'été avec son compagnon, Luca, 50 ans, à la veille de leur mariage civil. Une cérémonie pratiquée "en petit comité", alors que le Vatican n'autorisait pas encore cet acte.

L'officialisation d'une pratique existante

Comme Guillaume et Luca, les couples vus comme "irréguliers" par l'Eglise pouvaient déjà, dans les faits, "obtenir, de manière discrète, une bénédiction" auprès de certains prêtres et diacres volontaires, rapporte Céline Béraud. "Il y a plein de gens qui s'aiment et qui n'ont pas le droit de se marier ; et il y a plein de gens mariés, mais qui ne s'aiment pas vraiment. Pour moi, c'est l'amour qui passe en premier", justifie Jean-Paul*, prêtre dans l'ouest de la France, qui a béni tant de couples LGBT+ qu'il ne les compte plus. 

Pour ces prêtres "LGBT friendly", l'annonce romaine a été accueillie avec soulagement. "Je suis un peu plus serein : au moins, ça ne sera pas la chasse aux sorcières", lâche Emmanuel*, prêtre dans une paroisse de région parisienne qui a béni un couple gay en 2023 mais craignait "que ça se sache". Pour autant, il ne faut pas imaginer que l'annonce entraînera un afflux de demandes de la part de couples LGBT+. "Les personnes qui souhaitent une bénédiction sont très croyantes, elles ont déjà des contacts avec des prêtres. Elles l'obtiendront comme elles l'obtenaient déjà depuis des années", estime Céline Béraud.

Une bénédiction très encadrée

Pour beaucoup, cependant, l'annonce reste douce-amère. Dans le texte du Vatican, "les personnes LGBT+ sont toujours renvoyées à l'état de pêcheurs, c'est vachement violent", regrette Edouard, qui aurait aimé que l'Eglise aille "plus loin". Car l'ouverture de la bénédiction aux couples LGBT+ ne traduit pas une normalisation, pour le catholicisme, de l'homosexualité, de la bisexualité ou de la transidentité. "C'est la doctrine classique de l'Eglise : on condamne les actes mais on accueille les personnes", relève Céline Béraud. "Je pense que la société n'est pas capable d'accepter plus que ça aujourd'hui, et que c'est déjà énorme", estime Guillaume.

"Quand je pense à l'amour qu'on a l'un pour l'autre avec Alexandre, à la douceur qui accompagne notre couple, je n'ai pas l'impression qu'on fasse quelque chose de mal."

Edouard, catholique homosexuel

à franceinfo

De fait, les inégalités par rapport aux couples hétérosexuels persistent. "Le texte ne revient pas sur la doctrine du mariage catholique, perçu comme un sacrement qui unit un homme et une femme de manière indissoluble", rappelle Céline Béraud. Dans ce cadre, la bénédiction qui peut être accordée aux couples LGBT+ est en théorie "très restrictive" : elle "doit être dissociée du moment de l'union civile et ne ressembler en rien au mariage catholique, que ce soit dans les actes, les paroles ou les habits portés", détaille la sociologue. 

Des freins et des réticences

Plusieurs responsables religieux se sont d'ailleurs empressés de limiter le message du Vatican. Les évêques de l'ouest de la France ont ainsi prôné la bénédiction des personnes et non des couples, afin d'éviter tout "scandale" ou une "confusion" avec le mariage. La Conférence des évêques de France a appelé à "un accueil large et inconditionnel" des personnes, mais là aussi sans évoquer les couples. Les évêques africains ont aussi prévenu qu'ils ne béniraient pas les couples car cela "serait en contradiction directe avec l'ethos culturel des communautés africaines", rapporte La Croix.

Ces réticences, partagées par une partie des fidèles, s'accompagnent parfois de paroles clairement homophobes. "Chacun y va de son commentaire pour dire des choses horribles sur les homosexuels, ce à quoi ils ont droit ou pas, que leurs relations sont contre-nature, contre la volonté de Dieu...", regrette Emmanuel, qui craint de faire revivre aux premiers concernés le traumatisme du mariage pour tous.

"On parle de personnes, de chrétiens, et on les traite comme si elles n'existaient pas, comme une abstraction."

Emmanuel*, prêtre catholique

à franceinfo

Agathe devra-t-elle renoncer à ses rêves de robe blanche ? "Personne n'ira vérifier comment ces bénédictions sont faites", assure Céline Béraud. Il y a donc fort à parier, que, comme aujourd'hui, une multitude de formes de bénédictions coexisteront, en fonction des souhaits du couple et de la personne choisie pour les pratiquer – d'un bref temps de prière à une célébration en compagnie des proches se rapprochant d'un mariage.

Ce caractère arbitraire ne rassure pas les croyants LGBT+ interrogés. "Comme ces bénédictions ne sont pas uniformes sur le territoire, j'ai peur que les options du lieu et de la date" de cette cérémonie "soient limitées", confie Agathe, qui envisage ce moment comme une union religieuse. "Quelle démarche sera proposée aux couples qui veulent cette bénédiction ? Quels gestes, quels mots seront prononcés à cette occasion ?", s'inquiète aussi Edouard, qui redoute qu'une bénédiction donnée par un prêtre ou un diacre peu formé aux questions LGBT+ soit susceptible de "raviver des blessures". Et le trentenaire de conclure : "Beaucoup reste encore à faire."

* Les prénoms ont été modifiés.

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