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Témoignage franceinfo "Je me sens constamment oppressé" : un jeune homosexuel qui vit à Gennevilliers raconte la violence qu'il subit

Article rédigé par franceinfo - Louise Hemmerlé
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Lyes Alouane à Paris, le 26 juin 2018. (ELODIE DROUARD / FRANCEINFO)

Victime d'agressions et de harcèlement homophobes, le jeune homme a beau avoir signalé les faits à la police à de nombreuses reprises, toutes ses plaintes ont été classées sans suite. "Gennevilliers, pour les LGBT, c'est une no go zone", constate-t-il. 

Lyes Alouane a 23 ans, et il a déjà déposé une quinzaine de plaintes pour insultes et agressions homophobes. Il fait partie des 53% de personnes LGBT qui déclarent avoir déjà subi au moins une agression homophobe dans leur vie, selon une étude de l'Ifop pour la Dilcrah et la fondation Jean-Jaurès, dévoilée mercredi 27 juin par franceinfo. 

"Au collège, on me faisait déjà des commentaires parce que j'étais efféminé", se souvient Lyes, rencontré par franceinfo. "Mais depuis que j'assume mon homosexualité, c'est-à-dire depuis un an et demi, c'est un cauchemar", lâche le jeune homme d'origine algérienne. Lyes, qui vit à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), ne compte plus les interpellations homophobes dont il fait l'objet depuis qu'il a rendu son homosexualité publique. "Les insultes homophobes, c'est minimum trois fois par semaine", estime-t-il. La dernière en date ? "Il y a deux jours." 

Un harcèlement quasi-quotidien 

Ces prises à partie, dès qu'il sort de chez lui, rendent son quotidien insoutenable. "C'est du harcèlement. Il y a un groupe de jeunes sur une place qui ne veulent plus que j'y passe alors que c'est le chemin pour rentrer chez moi", explique-t-il. "A chaque fois que je passe, ils m'insultent, ils me lancent des bouteilles de verre. Il y en a un, une fois, qui m'a suivi et qui m'a craché au visage", décrit le jeune homme. Dès que sa situation financière le lui permettra, il assure qu'il va déménager, pour échapper à un environnement où il se sent "constamment oppressé" : "Gennevilliers, pour les LGBT, c'est une 'no go zone'", une zone interdite, affirme-t-il. 

Parfois, j'ai l'impression de ne pas être en France. On se sent très, très seul.

Lyes Alouane

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Toutes les plaintes classées sans suite 

Ce n'est pas faute de faire appel aux autorités. Lyes se rend régulièrement au poste de police pour porter plainte, dès qu'il a des preuves ou que d'autres personnes peuvent témoigner en sa faveur. Face à la récurrence du problème, il a même pris l'habitude d'allumer la caméra de son téléphone lorsqu'il se fait insulter, voire poursuivre dans la rue, pour documenter ces incidents.

Mais lorsqu'il se rend au commissariat de police, Lyes n'a pas toujours l'impression d'être pris au sérieux. Terrence Katchadourian, de Stop Homophobie, raconte avoir accompagné Lyes pour porter plainte : "Les policiers lui ont dit : 'Vous en faites trop. Ce ne sont pas vos habits, par hasard ? Vous ne les provoquez pas ?'" 

Quand je vais porter plainte pour insulte homophobe, j'ai l'impression que c'est moi l'agresseur.

Lyes Alouane

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Toutes les plaintes déposées par Lyes ont été classées sans suite. "C'est systématique lorsqu'un individu porte plainte sans le soutien d'une association", regrette Terrence Katchadourian. Stop Homophobie a donc décidé de se porter partie civile auprès de Lyes, pour relancer les poursuites. "Si les plaintes sont abandonnées, les agresseurs prennent confiance en eux, se sentent intouchables, au point de courser les jeunes dans les rues", explique le responsable associatif.

Des points de suture après un guet-apens 

Et parfois, de s'en prendre physiquement à leurs victimes. "J'avais rendez-vous avec un garçon que j'avais rencontré sur Facebook. C'était un jeune Maghrébin, et en fait, c'était un guet-apens", se remémore Lyes. Quand il arrive sur place, un homme l'interpelle, et lui demande "'C'est toi qui veux voir mon ami ?' J'ai répondu 'non' parce que j'ai senti le danger, explique Lyes. Il a sorti une bombe lacrymogène et m'a aspergé. Vu que j'avais l'adrénaline, ça ne m'a même pas piqué les yeux. Mais il m'a écrasé la bonbonne de gaz d'un grand coup sur la tête. Lui s'est arrêté, moi j'ai continué à courir."

Il y avait du sang qui giclait de ma tête et je suis parti me réfugier dans une auto-école.

Lyes Alouane

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"L'auto-école était fermée mais j'ai mis ma main en sang sur leur vitrine, ils m'ont vu, m'ont ouvert et ont appelé les pompiers." Le certificat médical établi par l'hôpital où il a été conduit, que franceinfo a pu consulter, fait état d'une "plaie sur le scalp" et de la "pose de trois agrafes" pour la suturer. 

Un engagement contre l'homophobie

Ses certificats médicaux attestent aussi du stress post-traumatique dont souffre Lyes après ses agressions à répétition. "J'ai développé un TOC, je regarde tout le temps derrière moi quand je marche dans la rue. Et je suis sous anxiolytiques, pour calmer mes crises d'angoisse."

"Des gens comme Lyes, il y en a beaucoup, mais personne ne s'exprime", explique Terrence Katchadourian. Il en sait quelque chose, puisque Stop Homophobie a reçu plus de 1 500 appels à l'aide depuis le début de l'année, et a même dû ouvrir il y a un an une plateforme en ligne pour apporter une assistance juridique aux victimes d'agressions. 

Lyes, lui, ne veut plus se taire. Même s'il parvient à déménager, il veut œuvrer à Gennevilliers contre l'homophobie, et y ouvrir une antenne de l'association Stop Homophobie. "Il est extrêmement courageux", dit, admiratif, Terrence Katchadourian. Mais pour Lyes, c'est comme une évidence : "Je n'ai plus jamais envie de me cacher." 

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