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Les églises désaffectées pourraient-elles vraiment accueillir des mosquées ?

Le président du Conseil français du culte musulman a fait cette suggestion. Un souhait irréaliste ? 

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
L'église de Graulhet (Tarn) a été transformée en mosquée en 1981. (SYLVAIN DUCHAMPT / FRANCE 3)

Il a défendu l'idée du bout des lèvres, suscité la polémique, et fait marche arrière le soir-même. Le président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur, a suggéré, lundi 15 juin, d'installer des mosquées à la place d'églises abandonnées, voire de faire "coexister" catholiques et musulmans dans certains édifices peu fréquentés. Face aux critiques et aux interrogations, il a ensuite précisé dans un communiqué : "L’Église de France est la seule autorité habilitée à disposer des édifices religieux, de leur gestion et de leurs destinations."

La proposition de Dalil Boubakeur s'appuie pourtant sur un état de fait : le XXe siècle est synonyme de déchristianisation en France. En 1952, 27 % des catholiques se rendaient à la messe, contre 4,5% en 2010, selon l'Ifop. Cette perte de vitesse s'est-elle accompagnée d'une réduction du nombre d'églises en France ? La proposition de Dalil Boubakeur pourrait-elle être mise en pratique sur le terrain ? Eléments de réponse.

Combien y a-t-il d'églises inutilisées en France ?

La France compte près de 100 000 édifices religieux, dont 90 000 réservés au rite catholique, selon les chiffres officiels fournis par le ministère de l'Intérieur et la Conférence des évêques de France. Près de la moitié de ces bâtiments catholiques sont des églises ; l'autre moitié regroupe "monastères, associations diocésaines, chapelles, oratoires et sanctuaires". Les lieux de culte construits avant la loi de 1905 sont généralement la propriété de l'Etat et des communes, ceux construits après appartiennent aux diocèses. 

Le nombre d'édifices catholiques qui ne servent plus pour l'office n'est pas connu à l'unité près. "Un recensement global est en cours", explique à francetv info Vincent Fauvel, de la Conférence des évêques de France. Un rapport de cette instance, datant de 2009, avance que "depuis 1905, 144 églises communales ont été désaffectées. Trente d’entre elles ont été détruites, 44 transformées pour un autre usage et 5 vendues pour en faire des habitations." Un chiffre qui est susceptible d'avoir évolué en six ans. 

Selon l'Observatoire du patrimoine religieux, association qui milite pour la préservation de ce patrimoine, une dizaine d'églises désaffectées a été vendue à des particuliers ou des promoteurs en 2011. Par ailleurs, l'Observatoire estime que plus de 200 églises, désaffectées ou non, étaient "immédiatement menacées [en très mauvais état] en France métropolitaine" en 2011. 

Benoît de Sagazan, journaliste spécialisé à Pèlerin Magazine, recense de son côté 308 églises "menacées" en France. "Nombre d'entre elles accueillent encore des offices religieux", souligne-t-il. Une vingtaine d'édifices catholiques ont été mis en vente, l'an dernier. Enfin, deux églises ont été "rasées" depuis janvier 2015 : l'une à Paris et l'autre à Vagney (Vosges). Elles sont 25 à avoir connu le même sort depuis 2000, selon ce journaliste.

Désaffecter une église, comment cela marche ?

Pour qu'une église soit vendue par l'Etat ou le diocèse, certaines procédures doivent être respectées. Dans le cas où la puissance publique est propriétaire, "si le bâtiment n'abrite pas plus de deux événements par an (mariage, baptême, messe, enterrement...), le maire a le droit de demander sa désaffectation", détaille Maxime Cumunel, délégué général de l'Observatoire du patrimoine religieux, qui rappelle qu'en France, "la moyenne nationale, c'est un curé pour 21 églises".

Une fois la vente actée, le diocèse organise une petite cérémonie pour "désacraliser" les lieux (enlever les reliques et le mobilier, etc). Dès lors, le bâtiment peut bien devenir un sex shop, le diocèse n'a plus aucun droit de regard sur sa nouvelle vie.

Une mosquée dans une église, cela existe déjà en France ?

Comme Dalil Boubakeur le soulignait lui-même, le transfert d'un édifice catholique en lieu de culte musulman a déjà été fait en France. C'est par exemple le cas de la chapelle Saint-Christophe, à Nantes (Loire-Atlantique), ou de l'église Saint-Jean de la Rive, à Graulhet (Tarn), devenue la mosquée Ennour al-Mohammadi il y a une trentaine d'années. France 3 Midi-Pyrénées lui consacrait un reportage, le 17 juin.

Une ancienne église fait-elle une bonne mosquée ?

Transformer une église en mosquée ne se fait pas en claquant des doigts. D'un côté, il faut adapter le bâtiment aux codes esthétiques de l'islam (destruction des vitraux, des croix, etc). De l'autre, il faut que les musulmans acceptent le fait que la bâtisse ne soit pas orientée vers la Mecque, et que les installations pour les ablutions soient malcommodes - quant elles ne sont pas inexistantes. 

Toutes ces contraintes rendent techniquement complexe une éventuelle "coexistence" entre deux rites dans un même bâtiment, selon Maxime Cumunel. "A chaque fois, le vendredi et le dimanche, il faudrait aménager la salle pour accueillir les fidèles, relève-t-il. Et puis, les lieux où les églises sont désaffectées, dans la ruralité, sont rarement ceux où la concentration de musulmans est forte. On ne va pas demander aux fidèles musulmans de faire quarante kilomètres pour aller prier dans une ancienne église... Ils ont aussi le droit d'avoir leur bâtiment propre pour pratiquer leur foi."

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