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Reportage "C'est dur au quotidien" : au tribunal de Nanterre, les magistrats sont débordés et endeuillés après la mort d'une juge il y a un mois

Il y a un mois, une juge du tribunal de Nanterre, âgée de 44 ans, est morte d’un accident vasculaire cérébral. D'après son autopsie, elle souffrait d'une grave pathologie mais ses collègues pensent que le rythme imposé et l'absence de suivi médical de la profession ne sont pas pour rien dans son décès.

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le tribunal de Nanterre (Hauts-de-Seine), le 8 janvier 2020. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Des grèves des audiences, des rassemblements un peu partout en région et à Paris, la mobilisation des magistrats et autres fonctionnaires de Justice a lieu mardi 22 novembre. Une mobilisation, un an après la publication dans le journal Le Monde de la tribune des 3 000, finalement signée par les deux tiers des magistrats et greffiers de France. Ils y dénonçaient "une justice au rabais qui n'écoute pas et chronomètre tout".

>> Menaces, intimidations, violences : les magistrats en première ligne

Les syndicats qui appellent à la mobilisation, le syndicat de la magistrature et l'Union syndicale des magistrats, déplorent que la situation quotidienne pour les professionnels comme pour les justiciables n'ait pas changé. Comme à Nanterre, où les juges sont particulièrement débordés et endeuillés.

"Des défis organisationnelles et logistiques immenses"

Le tribunal de Nanterre est à deux pas du quartier d'affaires de la Défense. Par cette proximité, le tribunal croule notamment sous le contentieux économique et financier. Le bâtiment est en travaux et exposé aux courants d'air. Il y a un mois, dans l'une de salles de comparutions immédiates, la juge Marie Truchet est morte d’un accident vasculaire cérébral. Elle était âgée de 44 ans. D'après son autopsie, elle souffrait d'une grave pathologie avec des risques cardiaques mais ses collègues pensent que le rythme harassant qui leur est imposé et l'absence de suivi médical de la profession ne sont pas pour rien dans son décès. "C'est dur au quotidien", confie Mariannig Imbert. Cette juge au pôle correctionnelle, 44 ans aussi, était une des amies de Marie Truchet : "C'était quelqu'un avec qui on partageait nos journées. Ce n'était pas juste qu'une collègue. Au-delà du chagrin, de la peine, vous vous retrouvez à faire face à des défis organisationnelles et logistiques immenses."

"Avant le décès de Marie, il manquait déjà deux personnes. Donc avec son décès, on n'y arrive plus du tout. On a souvent des choix qui sont mauvais, c'est-à-dire juger vite, abattre des piles et des piles, laisser peu la parole aux gens. Et ce temps qu'on prend c'est aussi au détriment de nos vies personnelles."

Mariannig Imbert, juge au tribunal de Nanterre

à franceinfo

Au tribunal de Nanterre, on devine une vraie douleur de vrais questionnements. Pour autant, ces juges des Hauts-de-Seine ne seront pas en première ligne du rassemblement ce midi à Paris. Certes, ils s'associent à la mobilisation nationale mais ne feront pas de grève d'audience, n'iront pas au rassemblement parisien. "Pas le cœur, pas le temps, trop d'audiences annulées ces dernières semaines", expliquent-ils. Cela, malgré les vacations que sont venus faire en renfort des juges d'autres juridictions par pure solidarité ces derniers jours. Les juges disent travailler 60 à 70 heures par semaine, avoir renoncé à leurs vacances de Toussaint, en attendant des renforts promis en janvier.

Le registre de condolèances après le décès de la magistrate Marie Truchet au tribunal de Nanterre, novembre 2022. (MATHILDE LEMAIRE / RADIO FRANCE)

"Les gens ont des délais de plusieurs années!"

Dominique Marcilhacy, vice-présidente du tribunal, pense à sa collègue décédée : "C'est vrai que Marie avait une santé fragile mais il y a longtemps qu'elle aurait dû être arrêtée par un médecin du travail. On ne voit pas de médecin du travail. Moi ça fait 20 ans, j'en ai vu une fois. Et je la connaissais elle était extrêmement sérieuse. Elle s'est dit je ne peux pas m'arrêter parce que ça va tomber sur les collègues, ça n'a rien d'étonnant qu'ils se soient passé ce qu'il s'est passé. Donc, colère, colère, colère !"

"L'atmosphère est un peu funèbre on est tous un peu sous le choc de ce qui s'est passé."

Dominique Marcilhacy, vice-présidente au tribunal de Nanterre

à franceinfo

La vice-présidente du tribunal pense aussi aux justiciables qu'elle a honte dites elle de parfois maltraiter. "Quand vous voulez divorcer, vous aurez une date pour le divorce dans un an, raconte Dominique Marcilhacy. Vous avez un problème de pension alimentaire vous aurez la réponse dans vingt mois. Alors évidemment les gens se disputent, c'est normal. Quelques fois ils se tapent dessus et ça atterrit dans les chambres correctionnelles ou bien chez les juges des enfants, eux aussi complètement débordés. Les pauvres gens qui ont des problèmes avec leurs allocations sociales, ils ont des délais de plusieurs années !"

"Il nous faut des bras"

Du côté de la chancellerie, on explique que les efforts financiers depuis 2020 sont inédits, et c'est vrai : 8% de budget de plus chaque année. Mais les magistrats précisent qu'une part de cette hausse va à l'administration pénitentiaire, pas aux tribunaux. À propos des 1 500 postes de magistrats promis par Éric Dupond-Moretti d'ici 2027, les syndicats répliquent qu'il faudrait au minimum le double, pour pallier des décennies d'abandon de la Justice. "Dans ma chambre qui s'occupe des violences conjugales, je suis obligée de renvoyer 30 % des affaires, explique Dominique Marcilhacy. C'est des gens qui arrivent à l'audience et tripes en Z. Derrière mes décisions qu'ils n'auront pas, il y a la garde des enfants, des histoires d'argent, des histoires de violence. Ils pleurent à l'audience."

"On a en France à peu près autant de juges qu'à l'époque de Napoléon ou il y avait 25 millions d'habitants et on est aujourd'hui à 60 millions. Il nous faut au moins 3 000 juges de plus. Il nous faut des bras."

Dominique Marcilhacy, vice-présidente au tribunal de Nanterre

à franceinfo

Les juges de Nanterre déposeront dans huit jours une plainte, devant le conseil d'Etat, contre l’État français pour "erreur manifeste d’appréciation" dans la dotation des postes de magistrats.

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