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Quatre questions autour de la traque des derniers criminels nazis

La police américaine a arrêté mercredi un homme qu'elle soupçonne d'avoir été l'un des gardiens du camp d'Auschwitz. Mais à 89 ans, Johann Breyer affirme n'avoir rien à se reprocher.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des membres de la Knesset, le Parlement israélien, devant l'entrée du camp d'Auschwitz-Birkenau, en Pologne, le 27 janvier 2014. (JANEK SKARZYNSKI / AFP)

Les Etats-Unis ont arrêté, mercredi 18 juin, un homme qu'ils soupçonnent d'avoir été l'un des gardiens du camp d'extermination d'Auschwitz. Johann Breyer, 89 ans, assure n'avoir "jamais été nazi", mais les autorités allemandes le suspectent pourtant d'avoir été complice de la mort de centaines de milliers de juifs en 1944. Francetv info s'interroge sur cette traque des nazis qui continue, soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale.

1Combien y a-t-il de criminels nazis encore en vie ?

"Il reste encore très peu de criminels nazis en vie et en fuite", estimait en 2012 sur Europe 1 l'historien Serge Klarsfeld, dont le père a été déporté à Auschwitz et qui a fait de la traque des nazis l'objectif de sa vie. "Nous n'avons plus beaucoup de temps. Deux ou trois ans au maximum", déclarait l'an dernier l'historien Efraim Zuroff, directeur du Centre Simon-Wiesenthal en Israël, dont le but est la préservation de la mémoire de la Shoah.

Pour le "chasseur de nazis", "il y a eu environ 6 000 personnes qui ont travaillé dans les camps ou les Einsatzgruppen [des escadrons d'extermination mobiles qui ont fait environ 1,5 million de victimes] (...). On estime que 2% d'entre elles sont encore en vie, soit 120 personnes, et la moitié ne peuvent pas être poursuivies pour des raisons médicales." Selon le site russe rt.com (en anglais), un membre du Centre Simon-Wiesenthal estime pour sa part que plusieurs centaines de nazis pourraient encore vivre aux Etats-Unis. Didier Epelbaum, journaliste et historien, contacté par francetv info, rappelle que "ceux qui avaient 20 ans en 1940 ont aujourd'hui 94 ans. Il n'en reste donc plus beaucoup."

2Comment la traque s'organise-t-elle ?

Le fait qu'il y ait peu de survivants ne signifie pas que la "chasse" s'arrête. Mais, concrètement, "seule la justice allemande continue à traquer des nazis", explique Didier Epelbaum. L'Allemagne a identifié en 2013 une quarantaine de gardiens du camp d'Auschwitz, dont 30 vivent encore outre-Rhin, comme le détaille Le Monde. La justice allemande tente aujourd'hui d'organiser des procès, mais le processus est long et compliqué, explique à L'Express Kurt Schrimm, de l'Office central pour l'élucidation des crimes du national-socialisme.

Pour obtenir les informations nécessaires à l'ouverture d'un procès, les "chasseurs" travaillent sur les archives, mais pas seulement. Le Centre Simon-Wiesenthal a mis en place en 2002 "l'Opération dernière chance", dont l'objectif est d'aider les gouvernements à remettre les criminels nazis entre les mains de la justice après les avoir localisés. Pour cela, le centre propose une récompense (jusqu'à 25 000 euros) à toute personne capable de fournir une information. La traque des derniers nazis s'appuie également sur un peu de hasard, comme lorsque l'Allemand Thomas Auburger découvre l'organigramme complet de la Gestapo de Nuremberg en 1945, en effectuant des recherches sur son grand-père gardien dans un camp de concentration la même année, raconte L'Express.  

3Comment ont-ils pu échapper à la justice si longtemps ?

"Beaucoup de nazis parmi les grands criminels ont pris l'identité de déportés juifs morts dans les camps, avant de partir pour les Etats-Unis ou l'Australie", raconte Didier Epelbaum. L'historien évoque également les filières "bien rodées" permettant aux nazis de passer en Afrique du Sud, par exemple. L'Argentine a également été réputée pour être une terre d'accueil des criminels de guerre nazis. "Ils étaient protégés par le général Juan Perón et pouvaient profiter tranquillement de la vie avec des lieux qui leur étaient dédiés", explique Didier Epelbaum. Par ailleurs, les Etats-Unis ont accueilli plusieurs scientifiques nazis après-guerre, en fermant les yeux sur leurs antécédents, rappelle Le Monde.

Pour expliquer comment certains ont pu passer à travers les mailles du filet, il faut aussi souligner le manque d'implication de certains Etats. "Dans la plupart des cas, un manque de volonté politique, plus que tout, anéantit les efforts réalisés pour traduire en justice les auteurs de l'Holocauste", souligne le Centre Simon-Wiesenthal dans un rapport annuel.

Il est nécessaire de distinguer les grands criminels des seconds couteaux du régime hitlérien. Parmi ces derniers, "beaucoup ont repris le cours de leur vie en Allemagne sans être vraiment inquiétés après-guerre, car la traque se concentrait sur les hauts dignitaires nazis, explique Didier Epelbaum. Israël a un peu levé le pied sur la traque des nazis après le procès Eichmann", en 1961. Ce sont bien ces nazis de second rang que l'Allemagne recherche aujourd'hui.

 

4Est-ce encore utile de les poursuivre ?

"Est-il pertinent de contraindre les anciens criminels nazis à purger une peine de prison presque sept décennies après les faits qui leur sont reprochés ?" s'interroge France 24 au moment de l'arrestation de l'ex-gardien d'Auschwitz Hans Lipschis, 93 ans, en mai 2013. Serge Klarsfeld exprime alors un regret : "La justice allemande aurait pu juger après la guerre des cadres supérieurs des camps d'extermination, mais elle ne l'a pas fait." Effectivement, il devient très difficile de condamner ces hommes, par manque de preuves, comme pour Johann Breyer. "Breyer joue sur la difficulté de l'identifier soixante-dix ans après les faits, et sur la confusion entre la SS générale et la Waffen SS, où l'adhésion était volontaire jusqu'en 1942, puis obligatoire pour les conscrits allemands", explique Didier Epelbaum.

Toutefois, "la vieillesse n'est pas une circonstance atténuante", lâche l'historien. Même son de cloche dans L'Express, pour l'historien Efraim Zuroff "Le temps qui passe et l'âge ne diminuent en rien leur culpabilité. Au nom de la mémoire des victimes, il est impensable de laisser en paix les auteurs de ces crimes imprescriptibles, même s'ils ne furent que des exécutants !" 

Didier Epelbaum ajoute : "C'est un principe de justice. Même avec peu de responsabilités, certains gardiens de camp pouvaient faire beaucoup de mal. Et puis, ils ont choisi de faire ce boulot." Et l'historien de conclure : "Cela peut paraître cruel de juger des gens si âgés, mais c'est un message pour les futurs génocidaires : il n'y a pas d'immunité, on peut vous poursuivre jusqu'à votre dernier souffle."

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