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Procès Moitoiret : la folie a-t-elle tué Valentin ?

Cette question est de nouveau centrale au procès en appel de Stéphane Moitoiret et Noëlla Hego, devant les assises de Lyon. Le procureur a requis trente ans de réclusion contre le premier, mais les experts s'interrogent toujours : quand un malade mental doit-il être exclu du champ de l'irresponsabilité pénale ?
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La mère de Valentin Cremault (en blanc) participe à une marche silencieuse le 26 juillet 2009 à Lagnieu (Ain), à la mémoire de son fils. (JEFF PACHOUD / AFP)

"Seule la cour d'assises peut mettre une barrière contre les tueurs d'enfants." A ce titre, le procureur a requis, jeudi 21 novembre, trente ans de réclusion contre Stéphane Moitoiret, jugé en appel à Lyon (Rhône) pour l'assassinat du petit Valentin Crémault en juillet 2008 à Lagnieu (Ain). Il avait été condamné à perpétuité en première instance. Pour Noëlla Hego, poursuivie pour "complicité d'assassinat", l'avocat général réclame seize à dix-huit ans de prison, soit quasiment autant que la peine dont elle a écopé en 2011 (dix-huit ans).

"Cette affaire, c'est l'histoire d'une terrible emprise (...) Il (Moitoiret) est malade, mais il a gardé ce soir-là un contact avec la réalité, c'est ma conviction", a ajouté l'avocat général, alors que la question de l'état mental de l'accusé, et de son degré de lucidité au moment des faits, a tenu en haleine les assises pendant deux jours, mardi et mercredi. Neuf experts-psychiatres se sont succédé à la barre pour défendre leur analyse d'un dossier hors norme.

Une ligne de Magellan sépare toujours les deux camps : ceux qui bataillent pour l'abolition du discernement de l'accusé, au nom de l'article 122-1 du Code pénal, et ceux qui défendent la thèse de l'altération, rendant Stéphane Moitoiret accessible à une sanction pénale. Si ces derniers étaient plus nombreux en première instance (six sur dix experts-psychiatres), deux des "altérationnistes", moins catégoriques devant la cour, ont refusé cette fois-ci de se prononcer. 

Moitoiret, schizophrène "de compétition" pour les uns

Pour Paul Bensussan, Patrick Blachère et Daniel Zagury (le quatrième expert-psychiatre partisan de l'abolition est mort avant le premier procès) Stéphane Moitoiret, "fou comme une chèvre", n'a rien à faire devant une cour d'assises. Et sa place n'est pas en prison, mais dans un hôpital psychiatrique. Selon eux, cet homme âgé de 44 ans, devenu obèse et édenté depuis le premier procès, est un schizophrène "de compétition" qui délire depuis des décennies, avant même d'avoir rencontré Noëlla Hego, dans les années 1990.

(BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Accusée de l'avoir poussé au crime, Noëlla Hego lui aurait en réalité permis de tenir tout ce temps sans franchir la ligne rouge. Si les psychiatres ou la justice disposent de peu d'antécédents sur Stéphane Moitoiret, c'est justement parce qu'à 18 ans, ce jeune homme déjà un peu "bizarre", "qui prend des bains dans le noir et les laisse déborder chez le voisin", croise dans un café cette blonde décolorée, de dix ans son aînée.

Paul Bensussan parle d'un "coup de foudre psychotique". Ancienne experte comptable, Noëlla Hego ne divise pas les experts : elle est diagnostiquée comme "paraphrène", une affection psychiatrique très rare aujourd'hui. Ce délire chronique, marqué par une imagination débordante, mégalomaniaque et mythomaniaque, permet de maintenir chez le sujet un certain contact avec la réalité. Chez elle, ce délire est avant tout mystique. Une "illuminée", en quelque sorte. 

Paraphrène "adapté" pour les autres

Pour les tenants de l'abolition, Stéphane Moitoiret s'est approprié le délire "riche" et "poétique" de sa compagne, qui l'a embarqué sur les routes de France et de Navarre, faisant de lui le "roi d'Australie" au service de "Sa Majesté". Une aubaine pour ce jeune homme à l'intelligence moyenne, qui a arrêté sa scolarité en cinquième et "atteint d'une schizophrénie de forme déficitaire, avec un délire pauvre". Pour les tenants de l'altération, Stéphane Moitoiret est, au contraire, lui aussi paraphrène. Selon eux, il ne souffre pas de syndrome dissociatif (rupture complète avec la réalité), ni d'hallucinations. Et conserve des codes moraux et sociaux, qui lui ont permis de survivre dans des conditions précaires pendant une vingtaine d'années avec sa compagne, sans se faire remarquer.

La querelle des experts porte essentiellement sur cette épineuse question : un malade mental, psychotique en l'occurrence, capable d'avoir de temps à autre des comportements adaptés et de tenir un discours logique, doit-il être exclu du champ de l'irresponsabilité pénale ? Le fait, notamment, que Stéphane Moitoiret ait changé ses vêtements tachés de sang, jeté le couteau après le crime et tenté de fuir est la preuve, selon les "altérationnistes", qu'il a cherché à le dissimuler et qu'il avait alors parfaitement conscience de ce qu'il venait de faire. 

Le déni, une preuve de lucidité ? 

"Faire du stop sur les routes avec un chat en laisse, ce n'est pas très élaboré comme plan", ironise Paul Bensussan. Et de poursuivre : "Un malade mental n'est pas un décérébré. Un fou criminel sait qu'il a tué." "Un schizophrène ne boit pas son Coca par l'oreille", reprend Daniel Zagury, pour étayer l'idée qu'un souci du réel ne signifie pas pour autant que Stéphane Moitoiret ait pu conserver "une once" ou un "gramme" de discernement au moment des faits. A titre d'exemple, la défense cite cette lettre de l'accusé à sa mère écrite en détention, où il lui demande combien de timbres il faut coller pour écrire à la Maison Blanche. Objectif : avertir Obama du retour des nazis en Allemagne.

Quid du déni de son crime ? De retour auprès de Noëlla Hego, Stéphane Moitoiret aurait reconnu "avoir tué un enfant". Mais devant les policiers ou les psychiatres, il n'a jamais réitéré ces aveux. Un signe de culpabilité et de honte pour les altérationnistes, qui le replace dans le cadre de la responsabilité pénale. "Un psychotique reconnaît toujours ses actes", affirme Agnès Peyramond. "Les plus grands malades mentaux criminels peuvent être dans le déni", contestent les tenants de l'abolition.  

Un contexte de crise avant le passage à l'acte

Les experts s'écharpent également sur le nœud de l'affaire : le "mobile du crime", s'il y en a un. Ils se montrent tous sceptiques, en revanche, sur la thèse du "retour en arrière". Dans le langage ésotérique du couple, cette expression implique la mort de quelqu'un et permettrait de remettre les compteurs de la "mission divine" des deux individus à zéro. Valentin aurait ainsi fait figure de victime sacrificielle, sous l'impulsion de Noëlla Hego, tête pensante du duo. C'est sur cette théorie que l'accusation a bâti son dossier en première instance.   

Les psychiatres envisagent une autre piste. Juste avant les faits, le couple est en crise. Proche de la cinquantaine, Noëlla est "fatiguée" et envisage de retourner chez elle. Elle trouve par ailleurs Stéphane Moitoiret de plus en plus agressif, irrespectueux (il la tutoie), violent (il lui aurait jeté une chaise à la figure). Les experts tombent d'accord sur l'importance du contexte avant le passage à l'acte. La perspective, pour Stéphane Moitoiret, d'une rupture avec cette mère de substitution (avec laquelle il a eu un enfant placé à la naissance) est un "effondrement", une "catastrophe imminente".

Mais sur la suite, les analyses divergent. Pour les tenants de l'altération, "cette crise conjugale" a poussé Stéphane Moitoiret à se venger de Noëlla Hego en tuant un enfant, par "jalousie". Celle-ci aurait en effet évoqué la volonté de "s'occuper d'enfants", qui représentent pour elle "le futur de l'humanité". Dans l'analyse d'Agnès Peyramond, le massacre de Valentin devient alors un crime passionnel par procuration, motivé par "la colère" – une "émotion" et non un "trouble mental""Il a passé ses nerfs sur l'enfant", abonde le docteur Jean Canterino, soulevant l'indignation de la défense.

Coupable mais irresponsable ? 

"Si c'est un crime passionnel, je suis le roi d'Australie", plaisante à moitié Daniel Zagury. Pour les pro-abolition, la violence désordonnée des 44 coups de couteau porte au contraire la signature d'un psychotique, en pleine bouffée délirante aiguë. D'autant que l'enfant lui était totalement inconnu. C'est le fameux "raptus", cette forte perturbation du champ de la conscience, cette pulsion puissante qui affecte brusquement le comportement. "Un crime immotivé", dans la mesure où motifs et mobile sont "délirants" et non accessibles à un esprit raisonnable. "Cela peut être le sursaut de survie d'un homme au bord du gouffre", explique Daniel Zagury, connu pour avoir expertisé Patrice Alègre, Michel Fourniret ou Guy Georges. "Il tue parce que c'est vital pour lui. Pour 1 001 raisons chaotiques, dont le 'retour en arrière' et la possible rupture avec Noëlla Hego peuvent faire partie."

"Dans les crimes odieux, on essaie de trouver une logique. Je ne suis pas sûr qu'on ait raison", suggère, avec beaucoup d'humilité, l'expert-psychiatre Patrick Blachère. Pour lui, cela ne fait pas de doute : "La folie de Moitoiret était présente au moment" des faits. Le flamboyant Frank Berton, avocat de Stéphane Moitoiret, lui répond : "Vous savez pourquoi on essaie de trouver un mobile? Parce qu'on est dans une cour d'assises !"

C'est toute la difficulté de ce procès en appel. Comment tenir en équilibre entre des explications rationnelles, propres aux débats d'une cour d'assises, et le salmigondis délirant des deux accusés ? La défense suggère aux jurés un compromis : reconnaître la culpabilité de Stéphane Moitoiret, tout en le déclarant irresponsable pénalement. Quant à Noëlla Hego, son avocate plaide purement et simplement l'acquittement. Le verdict est attendu vendredi.  

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