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L'Etat condamné pour des conditions de détention indignes, et après ?

FRANCE - Le tribunal administratif de Rouen a accordé jeudi des indemnisations à 77 détenus pour leurs conditions de détention. Les condamnations de l'Etat se sont multipliées ces dernières années.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une cellule non rénovée de la prison Bonne-Nouvelle à Rouen (Seine-Maritime), prise en photo le 6 janvier 2007. (STEPHANIE JAUME / PARIS NORMANDIE / MAXPPP)

Des sommes de 250 à 4 500 euros. Ce sont les indemnisations accordées, jeudi 26 juillet par le tribunal administratif de Rouen (Seine-Maritime), à 77 détenus ayant attaqué l'Etat pour leurs conditions de détention qu'ils jugent indignes. Une vingtaine de dossiers ont été déboutés pour des raisons procédurales, précise France 3 Haute-Normandie.

Ce n'est pas la première fois que l'Etat est condamné pour ce motif. Quels sont les précédents ? Que peuvent changer ces condamnations ? FTVi fait le point.

• Quelles condamnations ?

Avocat des 99 détenus qui avaient porté plainte, et dont 77 seront finalement indemnisés, Me Etienne Noël a obtenu la première condamnation de l'Etat pour des conditions de détention au printemps 2008. Le tribunal administratif de Rouen avait alors imputé l'insalubrité et le manque d'hygiène à l'administration pénitentiaire.

Depuis, l'avocat est devenu le cauchemar de l’Etat : il l'a fait régulièrement condamner pour les conditions de détention indignes dans les prisons françaises. Cette année, les décisions se sont succédé.

En février, le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser en moyenne 150 euros par mois, au titre du préjudice moral, à sept détenus de la maison d'arrêt de Dunkerque (Nord), soumis à des "traitements inhumains ou dégradants".

En mai, la cour administrative d'appel de Douai (Nord) a confirmé la condamnation de l'Etat dans 125 dossiers de détenus ou anciens détenus qui se plaignaient d'avoir été incarcérés à la maison d'arrêt de Rouen dans des conditions indignes.

En juin, c'est le tribunal administratif d'Orléans (Loiret) qui condamne en référé l'Etat à verser une provision de 3 500 euros à un détenu de 73 ans de la maison d'arrêt de Tours (Indre-et-Loire).

A chaque fois, les mêmes conditions sont dénoncées : deux détenus, parfois trois, cohabitent dans des cellules de 10 à 13 m2 dans lesquelles les toilettes ne sont pas équipées de "ventilation spécifique", ni de "cloisonnement véritable avec la pièce principale". Certains parlent aussi d'un air humide, propice à de graves troubles respiratoires.

Dans un des jugements rendus jeudi et consulté par FTVi, le tribunal administratif de Rouen précise que les conditions actuelles d'incarcération du détenu sont "une atteinte à la dignité humaine" : "Les toilettes laissent passer bruits et odeurs, contribuant à l'humiliation", "le risque de transmission de germes pathogènes d'origine humaine est toujours aussi important." "On fait la cuisine au même endroit qu’on défèque", racontait à Rue89 un détenu incarcéré deux ans et demi à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen, en juillet 2011.

La surpopulation carcérale est évidemment elle aussi mise en cause. Le nombre de détenus dans les prisons françaises a atteint au 1er juillet un nouveau record historique, avec 67 373 personnes incarcérées, selon les statistiques mensuelles de l'administration pénitentiaire (AP), publiées vendredi 13 juillet.

• Avec quelles conséquences ?

Les tout premiers résultats. Dans le cadre d'un vaste plan de modernisation des établissements pénitentiaires, le ministère de la Justice a annoncé, en mars 2010, la fermeture de la maison d'arrêt Bonne-Nouvelle de Rouen à l'horizon 2015, comme l'indiquait Le Point. "J'avais déposé une nouvelle requête pour mauvaises conditions de rétention quelques semaines auparavant. Je pense que cela a poussé le ministère à prendre une telle décision, estime Me Etienne Noël, contacté par FTVi. Pour moi, c'est un effet concret : l'Etat a compris qu'il fallait réagir, car il avait déjà été condamné."

Pour l'avocat, également secrétaire national de l'Observatoire international des prisons, ces condamnations récurrentes de l'Etat ont eu un autre effet positif non négligeable. "Les personnes détenues ont maintenant en tête le fait qu'elles ont des droits à faire valoir. Ce n'était pas forcément le cas, et ça change beaucoup de choses", explique-t-il.

L'avocat et secrétaire national de l'Observatoire international des prisons Etienne Noël, dans son étude à Rouen (Seine-Maritime), le 23 juillet 2012. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Les pistes avancées. Mais les condamnations de l'Etat n'ont pas encore produit tous les effets escomptés, loin de là. "Il est encore trop tôt pour faire un bilan : nous avons dénoncé des mauvaises conditions de détention, mais les problèmes ne se règlent pas en claquant des doigts", estime le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue, qui a dénoncé dans son dernier rapport annuel (PDF), publié en 2011, une "industrialisation" des prisons. "Les conditions matérielles sont meilleures dans les nouveaux bâtiments, beaucoup plus vastes, mais ne résolvent pas le problème de la déshumanisation des prisons, précise le CGLPL à FTVi. Laissons le temps au gouvernement de mettre en place une politique pénale."

C'est dans cette optique que la commission des lois de l'Assemblée nationale a lancé une mission d'information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, le 18 juillet. Diminuer le nombre de détenus est la principale réponse sur laquelle les députés vont travailler. "Nous n'avons pas le choix : ces décisions de justice nous poussent à trouver une solution. C'est sous la contrainte que l'Etat évolue", explique à FTVi Jean-Jacques Urvoas, député socialiste du Finistère. 

Un point de vue partagé par Me Etienne Noël. "Il faut prendre l'Etat au portefeuille !", s'exclame-t-il, avant de poursuivre : "Surtout, il faut mener une réflexion globale sur l'incarcération, sur les personnes qu'on met en prison." Selon l'avocat, un rétablissement de la loi d'amnistie (supprimée par Nicolas Sarkozy) pour les peines légères, permettrait de lutter contre la surpopulation carcérale. 

A cela s'ajoutent les peines planchers, introduites par le précédent gouvernement et qui n'ont fait qu'accélerer l'engorgement des prisons, d'après Etienne Noël. Christiane Taubira devrait s'attaquer rapidement à ce point clé. Selon Le Figarola ministre de la Justice rendra sa circulaire de politique pénale fin juillet ou début août.

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