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Cinq questions sur la théorie russe qui remet en cause l'âge record de Jeanne Calment

Des chercheurs russes pensent que Yvonne Calment, la fille de l'ancienne doyenne de l'humanité, aurait usurpé l'identité de sa mère. "Abracadabrantesque", juge Jean-Marie Robine, qui avait participé à la validation de la longévité de la Française.

Article rédigé par franceinfo
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Jeanne Calment, le 21 février 1995, lors de son 120e anniversaire, à Arles. (BORIS HORVAT / AFP)

Une vaste supercherie ? Des chercheurs russes affirment que le record de longévité de Jeanne Calment n'en est pas un. Leur théorie qui suscite l'intérêt et provoque la controverse au sein de la communauté scientifique soulève toutefois plusieurs questions.

Qui était Jeanne Calment ? 

Jeanne Calment aimait dire que "Dieu l'avait oubliée". Cette Française, née le 21 février 1875, plus d'une décennie avant la construction de la tour Eiffel ou l'invention du cinéma, est morte le 4 août 1997, dans une maison de retraite d'Arles (Bouches-du-Rhône). Elle avait alors officiellement 122 ans et 164 jours. Cet âge exceptionnel fait d'elle la détentrice du record mondial de longévité, tous sexes confondus, homologué par le Guinness Book.

Quelle est cette théorie russe ? 

Le mathématicien russe Nikolaï Zak, membre de la Société des naturalistes de l'université de Moscou, doute de l'authenticité du record de longévité de Jeanne Calment. Soutenu par le gérontologue russe Valeri Novosselov, il a pendant des mois analysé les biographies, interviews et photos de Jeanne Calment, ainsi que des témoignages de ceux qui l'avaient connue et les archives d'Arles.

Nikolaï Zak est arrivé à la conclusion que la fille de Jeanne Calment, Yvonne, avait pris l'identité de sa mère. Le chercheur estime qu'en 1934, ce n'est pas l'unique fille de Jeanne Calment, Yvonne, qui est morte d'une pleurésie, comme le dit la version officielle, mais Jeanne Calment elle-même. Yvonne aurait alors emprunté l'identité de sa mère, ce qui aurait permis d'éviter de payer les droits de succession. C'est donc elle qui serait morte en 1997, à l'âge de 99 ans. Un incroyable tour de passe-passe.

Parmi les 17 éléments que présente le chercheur figure une copie de la carte d'identité de Jeanne Calment datant des années 1930 où la couleur de ses yeux (noirs), sa taille (1m52) et la forme de son front (bas) ne correspondent pas à celles de la doyenne française au cours de ces dernières années de vie. Alimentant les doutes, Jeanne Calment avait ordonné de brûler une partie de ses archives photos quand elle est devenue célèbre, selon les chercheurs russes.

"En tant que médecin, j'ai toujours eu des doutes sur son âge", abonde le gérontologue russe Valeri Novosselov, qui dirige la section gérontologique au sein de la Société des naturalistes de Moscou. "L'état de ses muscles était différent de celui des autres doyens. Elle se tenait assise sans aucun soutien. Elle n'avait aucun signe de démence."

Nikolaï Zaka eu l'idée d'enquêter sur la vie de Jeanne Calment pendant la création d'un "modèle mathématique" de la durée de vie des supercentenaires. "Plus je fouillais, plus je découvrais de contradictions", souligne-t-il. Le mathématicien russe a publié récemment son étude sur le site ResearchGate, un réseau international pour chercheurs et scientifiques.

Existe-t-il d'autres soupçons ?

Nikolaï Zak mentionne un livre datant de 1997, L'Assurance et ses secrets, contenant un court passage consacré à Jeanne Calment, qui soulève l'hypothèse d'un échange d'identités entre la mère et la fille. L'auteur du livre, Jean-Pierre Daniel, raconte qu'un contrôleur des sociétés d'assurance, se penchant sur le viager signé par la centenaire, avait déjà conclu à une fraude. "Mais à l'époque, Jeanne Calment était déjà considérée comme une idole nationale. Ce fonctionnaire a interrogé son administration, qui a répondu qu'il fallait continuer à payer la rente. Il n'était pas question de faire un scandale avec la doyenne des Français", explique-t-il à l'AFP.

Les travaux du mathématicien russe sont jugés crédibles par certains scientifiques qui relèvent les limites des validations des records de longévité. "L'idée d'usurpation d'identité [de Jeanne Calment par sa fille] avait déjà été envisagée par les validateurs et j'invitais régulièrement les démographes à conserver cette hypothèse", confirme à l'AFP Nicolas Brouard, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques (Ined). "C'est bien que Nikolaï Zak ait mené une recherche indépendante et sur le même terrain d'investigation. C'est un très bon travail", assure-t-il.

Quant au démographe belge Michel Poulain, professeur à l'université de Louvain, il salue une "investigation aussi détaillée" qui montre pour lui la nécessité de "réinvestir scientifiquement pour valider l'âge exceptionnel de ces supercentenaires". "La probabilité d'un âge erroné augmente de façon exponentielle avec l'âge présumé", explique-t-il à l'AFP.

Pourquoi cette théorie est-elle contestée ? 

Le démographe et gérontologue français Jean-Marie Robine, qui avait participé à la validation par le Guinness des records de l'âge de Jeanne Calment, assure n'avoir "jamais eu aucun doute sur l'authenticité des documents" de cette dernière. Il dénonce "un texte à charge, qui n'examine jamais les faits en faveur de l'authenticité de la longévité de Madame Calment".

"Vous imaginez le nombre de personnes qui auraient menti", fait valoir l'expert dans Le Parisien. "Du jour au lendemain, Fernand Calment [le mari de Jeanne Calment mort en 1942] aurait fait passer sa fille pour son épouse et tout le monde aurait gardé le silence", pointe le spécialiste. Et de conclure : "C’est abracadabrantesque."

"On n’a jamais autant fait pour prouver l’âge d’une personne", assure Jean-Marie Robine. "On n’a jamais rien trouvé qui nous permettait d’émettre le moindre soupçon sur son âge. On a eu accès à des informations qu’elle seule pouvait connaître, comme le nom de ses professeurs de mathématiques ou de bonnes passées par l’immeuble. On lui a posé des questions sur ces sujets. Soit elle ne se souvenait plus, soit elle a répondu juste. Sa fille n’aurait pas pu savoir ça."

Le maire d'Arles à l'époque de la mort de Jeanne Calment, Michel Vauzelle, juge lui aussi que cette théorie est "complètement impossible et invraisemblable", parce que Jeanne Calment était suivie selon lui par de nombreux médecins.

Comment mettre fin au doute ? 

"On pourrait procéder à une exhumation des cadavres", suggère à franceinfo Michel Allard, gérontologue qui a participé à la validation de l’âge de Jeanne Calment. Dans Le Parisien, Nicolas Brouard, l'expert de l'Ined, estime lui aussi que l'étude russe est "un argument en faveur de l’exhumation des corps de Jeanne et Yvonne Calment". Une fois les corps exhumés, des prélèvements permettraient leur datation avec certitude.

Mais l'éventualité d'une exhumation est cependant très improbable, selon Michel Allard. D'abord, "il faudrait qu’un procureur de la République l’autorise ou le prescrive". Ensuite, il faudrait que la famille de Jeanne Calment le demande, note le spécialiste. Or, pointe-t-il, "soit elle est au courant de la supercherie et donc ils ne vont pas demander l’exhumation, soit ils sont convaincus que c’est impossible, que c’est un scénario loufoque, donc ils ne vont pas demander non plus l’exhumation, en sachant que cette histoire a été montée de toutes pièces".

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