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"Sans vous, ma vie ne serait pas la même aujourd'hui" : des femmes et des hommes rendent hommage à Simone Veil

La loi sur la légalisation de l'avortement, portée par la ministre Simone Veil en 1974, a donné aux femmes le droit de disposer de leurs corps et a amélioré leur situation sanitaire en France. Un médecin, des infirmières et une jeune femme témoignent.

Article rédigé par Julie Rasplus - Louise Hemmerle
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Simone Veil, le 1er mai 1979 à Paris. (AFP)

Ils lui disent merci. Simone Veil s'est éteinte vendredi 30 juin. Une cérémonie d'obsèques officielles se déroule, mercredi 5 juillet, dans la Cour des Invalides, à Paris, en présence du président de la République, Emmanuel Macron. Depuis le décès de Simone Veil, ses proches, la classe politique et des anonymes rendent hommage à son parcours et à ses nombreux combats.

Ses accomplissements en tant que femme politique lui survivent, et continuent de jouer un rôle décisif dans la vie des Français. C'est elle qui, en tant que ministre de la Santé, en novembre 1974, s'est battue face à une Assemblée nationale en partie hostile pour dépénaliser l'avortement. La loi, votée à l'Assemblée le 26 novembre 1974, a été promulguée le 18 janvier 1975.

Appelés à témoigner sur franceinfo, des infirmières, des médecins et des femmes racontent aujourd'hui, par leur expériences particulières, l'impact que la légalisation de l'avortement a eu dans leurs vies, grâce à Simone Veil. 

Un médecin qui a vécu la dépénalisation de l'avortement comme "une délivrance" 

Jean-Paul Hamon est président de la Fédération des médecins de France. En janvier 1975, au moment de l'entrée en vigueur de la loi dépénalisant l’avortement, il était tout jeune médecin généraliste. Il venait de s'installer en 1973. Pour lui, en tant que médecin, la dépénalisation de l’avortement portée par Simone Veil a été "une véritable délivrance". A l’époque de ses études de médecine, on parle alors "d’avortements criminels". Et tous les médecins savent qu’ils risquent d’être radiés à vie s’ils pratiquent clandestinement des interruptions de grossesse.

Privées de suivi médical, les femmes se font tout de même avorter, de manière très violente, et dans des conditions sanitaires déplorables. "Il y avait même des femmes qui faisaient ça avec des aiguilles à tricoter, se rappelle le docteur Hamon, c’était vraiment rustique et extrêmement dangereux." Ces avortements clandestins ont ruiné la santé de nombreuses femmes.

Il y avait des hémorragies qu’on n’arrivait pas à arrêter, des infections graves, des trompes qui se bouchaient… Certaines en devenaient complètement stériles.

Jean-Paul Hamon

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Et après ces complications, les femmes n’étaient pas forcément bien traitées par les services hospitaliers, se souvient Jean-Paul Hamon : "Ce n’est pas pour rien que le 'Manifeste des 343 salopes' a été titré comme ça… Elles se faisaient traiter de 'salopes' à l’hôpital".

Pour éviter des drames sanitaires à leurs patientes, certains médecins, dont le docteur Hamon, essaient alors de s’organiser. "On se refilait les adresses, nous raconte-t-il. Quand je me suis installé, on savait qu'il y avait un bus qui partait assez régulièrement de porte de Clignancourt, à Paris, pour La Haye, aux Pays-Bas, où l’avortement était légal". Mais même avec cette solution à l’étranger, les conditions n’étaient pas idéales : "Le bus partait tôt le matin et rentrait le soir, un aller-retour dans la journée alors que ces femmes venaient de subir un avortement par aspiration." Et surtout, cette solution n’était pas accessible à toutes : "Tout cela avait un certain coût, ce n’était pas pour tout le monde", se souvient-il.

La solution sanitaire pérenne n’est venue qu’avec la légalisation de l’avortement, pour laquelle Simone Veil a mené un combat acharné. "Il lui a fallu un courage invraisemblable pour faire ça, raconte Jean-Paul Hamon. Ça a complètement changé la vie des femmes, et pour nous, médecins, cela a été un vrai soulagement."

Des infirmières qui se souviennent du drame sanitaire des avortements clandestins 

Les avortements clandestins et leur horreur sont un souvenir qui continue de hanter notre mémoire collective, mais surtout celle des femmes qui l’ont vécu et vu au plus près. Pour Framboiz (il s'agit d'un pseudonyme), qui a livré son témoignage dans les commentaires de notre direct, c’est un souvenir d’enfance : celui de sa mère, qu’elle voit faire une hémorragie. "J’étais trop jeune pour comprendre, mais je me rappelle bien de la peur terrible de voir ma maman mourir." C’est aussi un souvenir de jeune femme. En 1970, Framboiz débute ses études d’infirmières, dont elle sort diplômée en 1973. "Je touche alors du doigt, dans sa réalité la plus terrible et la plus cruelle, les conséquences d'un avortement clandestin", raconte-t-elle.

Un jour dans mon service, nous avons reçu une jeune femme qui avait un tétanos suite à des manœuvres faites avec des aiguilles à tricoter.

@framboiz

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Framboiz suit alors avec passion les débats à l’Assemblée nationale puis le vote pour la légalisation de l’avortement.

En 1974, une autre jeune femme, Anne-Marie, est étudiante pour devenir infirmière, et se passionne également pour ce combat. "J'ai plusieurs amies qui ont subi un avortement, et l’une d’elles a failli mourir d'une hémorragie en tentant de se poser une sonde toute seule, raconte-t-elle à franceinfo. C'était un vrai drame. "Grâce à Simone Veil (...), je savais qu’il n'y avait plus cette fatalité qui pesait sur les femmes", raconte Framboiz.

Anaïs, 26 ans, "née avec ce droit", qui a choisi d'avorter 

Anaïs, jeune femme de 26 ans, n’a pas connu ces récits d’horreur. Lorsqu’elle est elle-même tombée enceinte en 2010, à l’âge de 19 ans, elle a eu le choix. "Je n’étais pas du tout prête à assumer la charge d’un enfant. J’avais un job étudiant pour payer mon loyer en plus de mes études, alors que j’avais déjà des horaires de cours par-dessus la tête. Ce n’était vraiment pas le moment", se rappelle la jeune femme, qui décide finalement d’avorter.

"Je suis tombée sur un hôpital où le personnel était très avenant, et surtout où personne ne me jugeait, on ne m’a pas du tout culpabilisée, décrit Anaïs. Ce n’est jamais facile un avortement, c’est quelque chose de lourd psychologiquement, mais je pense que ça s’est passé de la meilleure manière possible."

Si Anaïs a pu avorter dans de bonnes conditions, c’est grâce à la loi défendue par Simone Veil, elle le sait. Sans cette liberté de disposer de son corps, sa vie aurait complètement changé. "Grâce à cet avortement, j’ai pu continuer mes études, j’ai pu déménager, partir à l’étranger, me séparer de mon compagnon… Ma vie ne serait pas la même aujourd’hui, j’aurais un enfant de presque 10 ans", poursuit-elle.

Avoir cette option, avoir le choix, c’est quelque chose de primordial pour Anaïs. "Je n’ai pas connu cette bataille pour le droit à l’avortement comme ma mère ou ma grand-mère, moi je suis née avec ce droit. Pour moi, il est d’autant plus inaliénable, je ne comprends même pas qu’on puisse encore en discuter et essayer de revenir dessus. On ne peut pas nous l’enlever."

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