: Témoignage Violences sexuelles : l'ex-joueuse de tennis Angélique Cauchy, violée par son entraîneur, raconte "l'emprise tentaculaire" de son agresseur
"Tout tournait autour de lui et c'était la personne la plus importante pour moi au monde." L'ancienne joueuse de tennis Angélique Cauchy, violée par son entraîneur pendant deux ans, témoigne dans un livre qui paraît mercredi 9 octobre de "l'emprise tentaculaire" de son agresseur, et de la "déflagration" qu'elle a ressentie quand elle comprend que les adultes ne seront pas toujours là pour la protéger. Son agresseur, Andrew Geddes, a été condamné à 18 ans de prison. Grâce à son association Rebond, créée en 2017, Angélique Cauchy lutte contre les abus et le harcèlement dans le milieu sportif. Elle espère que son livre, intitulé Si un jour quelqu'un te fait du mal, servira à ce que "la société se transforme".
franceinfo : Pouvez-vous nous décrire l'emprise progressive mise en place par votre agresseur
Angélique Cauchy : Il a une emprise tentaculaire sur moi, mais aussi finalement sur ma famille et plus largement sur le club et cette mini-société que représentait le club de tennis. Il a perçu tout de suite mes failles : cette faille paternelle de reconnaissance et d'affection qui me manquait, cette faille culturelle parce que j'avais soif d'apprendre et j'étais très curieuse, mais j'étais dans une famille où la culture n'était pas du tout présente. Il a pris une place en étant cette personne qui est devenue indispensable à ma vie. Il n'y avait plus que l'école et lui, il y avait le tennis et lui, il n'y avait finalement plus que lui et lui.
"Tout tournait autour de lui et c'était la personne la plus importante pour moi au monde. Évidemment, j'ai mis du temps à percevoir que finalement, c'était quelqu'un de mauvais et qui voulait me détruire et que ce n'était pas du tout ni de l'amour, ni de l'affection."
Angélique Cauchyà franceinfo
Ça a été la première personne à me dire que j'étais extraordinaire, que je pouvais devenir une joueuse de haut niveau alors que moi, ce n'était pas du tout mon objectif. Quand je suis arrivée dans ce club-là, je voulais faire Sciences-Po, l'ENA. Il a pris la place de mon père, il a pris la place de tout le monde et en fait, il m'a isolée. Il était à la fois celui qui me complimentait et celui qui m'humiliait. Et donc je cherchais toujours après les humiliations, à ce qu'il y ait de nouveau des compliments. Il pouvait aller finalement de plus en plus loin.
Il vous faisait culpabiliser aussi ?
Je me dis 'si jamais je parle, il ira en prison, je vais briser sa vie'. En fait, à ce moment-là, on n'existe plus du tout, nous en tant que victimes. On ne pense qu'aux autres, c'est ça qui paraît peut-être fou. Et c'est pour ça aussi qu'il y a du silence. C'est parce qu'on pense que nous, les victimes, on est perdues, et donc on se dit, qui est-ce qu'on peut sauver ? Et finalement, moi, c'était ma famille [que je voulais sauver] et quelque part, c'était lui aussi au début.
Il y a le passage à l'acte. Il commence à vous embrasser, puis il y aura les viols, près de 400 fois...
C'est très confus à ce moment-là. Quand ça arrive, je me dis, c'est mon père pour moi, c'est mon entraîneur, c'est mon confident. Je n'ai pas du tout envie qu'il ait cette place-là. Mais en même temps, tout de suite, il me fait culpabiliser en disant que ça arrive souvent dans les relations entraîneur-joueur, en me disant que ça arrive dans le tennis. Et c'est vrai. Je le vois et aucun adulte ne dit rien. Donc finalement, la norme étant posée par l'adulte, nous les enfants, on pense que ça peut être normal, même si on est mal à l'aise, même si on est choqué. Et donc à ce moment, quand ça arrive, j'ai une dissociation. Je l'écris avec des mots d'enfant, mais je quitte mon corps. Je mets très longtemps à chaque fois à revenir dans mon corps. Et en fait, quand je reviens dans mon corps, il est tellement sale que ce n'est plus vraiment mon corps. C'est un passage très difficile dans ma vie où j'ai l'impression que je ne contrôle plus rien, où j'ai plus aucun libre arbitre.
"Il y a deux périodes dans ces deux ans, il y a cette première année d'emprise totale où je suis son mini-lui, où je suis sa marionnette et son esclave sexuelle. Et cette deuxième année où je réalise et où finalement, c'est de la 'déprise'."
Angélique Cauchyà franceinfo
La "déprise" est un mot qui n'existe pas vraiment, mais c'est exactement ça et finalement, c'est là où je me rends compte de tout ce qui se passe. C'est presque plus violent parce qu'en fait, tout ce que j'imaginais de mon monde n'existe pas. Je ne sais pas ce que j'aime, je l'aime parce qu'il me l'a fait aimer ou parce que j'aime vraiment ? Je sais aujourd'hui à 13 ans que mes parents ne seront pas là pour me protéger. Et ça aussi, c'est une déflagration de se dire qu'on pense, enfant, que les adultes seront toujours là pour nous protéger. Et je prends en pleine face que non, les adultes ne seront pas là.
Une autre victime vous appelle et c’est là, dix ans après, que vous décidez d'aller à la brigade des mineurs ?
J'ai mis trois mois à aller dans cette fameuse brigade des mineurs. Mais je suis professeur d'EPS et tous les jours, j'ai des enfants de 12 ans devant moi, l'âge que j'avais. C'est tellement petit et c'est tellement facile de les manipuler que je me dis quel genre de professeur et quel genre de mère je vais être si je ne suis pas capable d'assumer ce que j'ai vécu et d'être là pour eux aujourd'hui.
J'écris pour que [les enfants] ne deviennent ni victimes ni agresseurs. C'est nous dire aussi, à nous les adultes, que nous nous devons de ne plus être des témoins aveugles, mais des témoins actifs. C'est dire que ça arrive à un enfant sur sept dans le milieu du sport, un enfant sur cinq dans la société en général, un sportif de haut niveau sur trois. Un sportif de haut niveau sur trois est victime de violences sexuelles avant sa majorité, ce sont des chiffres qu'on n'arrive même pas à percevoir. Donc ce livre, c'est aussi mon héritage des Jeux olympiques, pour que quelque chose reste, pour que la société se transforme.
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