Cet article date de plus d'un an.

RĂ©cit ''Il m’aurait demandĂ© n’importe quoi, je l’aurais fait'' : sous l'emprise d'un entraĂźneur de tennis qui l'a violĂ©e de 12 Ă  14 ans, AngĂ©lique Cauchy raconte son calvaire

Article rédigé par Apolline Merle, Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 24min
Bayonne, le 25 avril 2023. Portrait d'Angélique, 36 ans, ancienne jeune espoir du tennis, qui a subi des viols par son entraßneur de tennis. Sept ans se sont écoulés entre la plainte et le jugement final. (VICTORINE ALISSE / COLLECTIF HORS FORMAT / FRANCEINFO)
Adolescente, Angélique Cauchy a subi des viols, des humiliations ainsi que des violences psychologiques de la part de son entraßneur de tennis. Plus de vingt ans aprÚs les faits, la jeune femme de 36 ans a accepté, pour franceinfo: sport, de se replonger dans son histoire.

''J'ai été violée prÚs de 400 fois par mon entraßneur de tennis, pendant deux ans.'' Cette phrase, Angélique Cauchy n'arrive à la prononcer que depuis quelques mois. En 1999, alors qu'elle n'a que 12 ans, elle tombe sous l'emprise de son entraßneur de tennis, Andrew Geddes. Victime de viols à répétition dans le cadre de son sport, cette native du Val-d'Oise, aujourd'hui ùgée de 36 ans, se confie pour la premiÚre fois publiquement, deux ans aprÚs la condamnation en appel de son agresseur à 18 ans de réclusion criminelle pour "viols, agressions sexuelles avec autorité et sur mineur de 15 ans'', avec interdiction d'entraßner à vie et obligation de soin, et pour "viols, agressions sexuelles avec acte d'autorité sur mineur de plus de 15 ans" sur trois autres filles, Astrid, Margaux et Mathilde. Contacté par franceinfo: sport, l'avocat d'Andrew Geddes lors du procÚs indique qu'il "ne souhaite pas faire de commentaires sur une procédure qui a été jugée définitivement."

Elle nous donne rendez-vous le 25 avril dernier dans un cinĂ©-bistrot de Bayonne (PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques), ville oĂč elle a dĂ©cidĂ© d'Ă©crire un nouveau chapitre de sa vie depuis 2019. Assise face Ă  la grande baie vitrĂ©e donnant sur l'Adour, fleuve qui coupe la ville en deux, AngĂ©lique Cauchy affiche un large sourire, avec des yeux clairs rayonnants et un sweat oĂč un surfeur brodĂ© fait un clin d'Ɠil Ă  sa rĂ©gion d'adoption. Rien qui ne laisse deviner l'Ă©preuve qu'elle a traversĂ©e et qu'elle s'apprĂȘte Ă  raconter. MĂȘme si son regard s'assombrit lĂ©gĂšrement au moment de dĂ©voiler son histoire, sa voix est posĂ©e, son discours fluide.

Angélique Cauchy a commencé le tennis à l'ùge de 6 ans, dans le petit club à cÎté de chez elle, à Domont (Val-d'Oise). TrÚs vite, elle démontre des prédispositions pour ce sport. Son talent est rapidement remarqué, et sa progression fulgurante. A 11 ans, Angélique rejoint le club de Sarcelles, le meilleur du département, et devient numéro 2 française chez les juniors. C'est là qu'elle rencontre son entraßneur et futur agresseur, Andrew Geddes, qui repÚre son talent sur les courts, mais aussi sa sensibilité et ses fragilités.

Un mode opératoire rodé

Cette rencontre est le dĂ©but d'un long et terrible chemin de croix. ''Assez rapidement, il a essayĂ© de me mettre en confiance en me disant que j'Ă©tais un diamant, que j'avais largement le potentiel pour ĂȘtre dans les dix meilleures mondiales, se souvient AngĂ©lique Cauchy. Et Ă  cĂŽtĂ© de cela, il dĂ©valorisait ma famille, en disant qu'elle n'Ă©tait pas assez bien pour moi, que j'Ă©tais plus intelligente qu'eux'', ajoute-t-elle.

''J'avais un déficit de reconnaissance de la part de ma famille et notamment de mon pÚre. Il a vu cette faille et s'y est engouffré.''

Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis

Ă  franceinfo: sport

Séduire, isoler et culpabiliser. Une fois la victime conditionnée, l'agresseur peut alors parvenir à ses fins. Ce mécanisme, bien rodé, le coach l'a utilisé pour chacune de ses autres "proies". C'est ce que confirme Astrid Mezmorian, victime, juste aprÚs Angélique (de 2001 à 2003) d'Andrew Geddes, et ùgée de 15 ans à l'époque des faits : ''Il avait un vrai mode opératoire : d'abord vous flatter en vous faisant sentir à part, puis vous dégrader en soufflant le chaud et le froid, pour ensuite se rendre totalement indispensable une fois qu'il vous a isolée. Cette personne devient tout pour vous car il ne vous reste plus rien par ailleurs''.

Traquer les failles et combler les vides affectifs. Rapidement, Andrew Geddes propose à Angélique, fan du PSG, de l'emmener voir des matchs du club de la capitale. ''On ne sortait pas beaucoup avec ma famille, et on ne partait pas en vacances ailleurs que dans la famille de ma mÚre en Espagne. Mais j'étais curieuse et j'avais envie de découvrir le monde. Mes parents n'ont pas vu le mal, ils voulaient me faire plaisir'', avance-t-elle. Au début, Andrew Geddes raccompagne Angélique chez elle aprÚs les matchs du PSG, puis propose de la garder à dormir, par commodité, raconte-t-elle.

''Il ne se passait rien d'anormal, si ce n'est que ce n'est pas normal d'aller dormir chez son entraĂźneur.''

Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis

Ă  franceinfo: sport

''J'ai donc commencé à le voir un peu en dehors du tennis, il m'écrivait et m'appelait. Il avait demandé à ce que j'ai un téléphone portable pour pouvoir me joindre directement en prétextant que c'était plus facile pour les entraßnements'', témoigne la jeune femme. Il lui propose ensuite de s'entraßner prÚs de chez lui dans les Yvelines.

''On n'avait pas Ă©normĂ©ment d'argent, cela soulageait mes parents que quelqu'un m'emmĂšne sur les tournois et gĂšre mes entraĂźnements. Ils m'ont laissĂ©e en toute confiance.'' Petit Ă  petit, il prend de plus en plus de place dans la vie de sa joueuse. "Je suis comme ton deuxiĂšme pĂšre, t’es comme ma fille", lui lançait-il, affirme AngĂ©lique. TantĂŽt guide, tantĂŽt confident, il acquiert progressivement la confiance de la jeune fille, faisant peser son autoritĂ© rassurante sur elle.

AngĂ©lique arrĂȘte dĂ©finitivement le tennis en 2017. Bayonne, le 25 avril 2023. (VICTORINE ALISSE / COLLECTIF HORS FORMAT / FRANCEINFO)

Les premiÚres nuits qu'elle passe chez lui, il lui laisse sa chambre et dort sur le canapé. Avant de dépasser les limites, chaque fois un peu plus. ''Cela s'est fait progressivement, de maniÚre insidieuse. Il a commencé par venir me border le soir, puis il est venu dans mon lit, m'a demandé s'il pouvait me serrer dans ses bras en me disant qu'il n'avait pas d'enfant, raconte Angélique sans marquer la moindre pause dans son récit. Puis, il y a eu les caresses sur le ventre, sur les fesses, et ensuite, il est venu se masturber à cÎté de moi.''

Les violences sexuelles arrivent en quelques semaines, le viol en à peine trois mois. L'engrenage est lancé. Nous sommes en 1999. Lors des six premiers mois, Angélique est sidérée par ce qu'elle vit. Comme anesthésiée, elle est incapable de la moindre réaction de défense : ''Mon cerveau était déconnecté quand ça arrivait'', témoigne-t-elle.

Le stage Ă  La Baule, les ''15 pires jours de ma vie''

Outre ces menaces, Andrew Geddes utilise aussi des stages de tennis, et donc l'Ă©loignement de ses victimes, pour y perpĂ©trer des violences. A l'Ă©tĂ© 2000, un nouveau cap dans l'horreur est franchi. L'entraĂźneur propose aux parents d'AngĂ©lique de l'emmener gratuitement en stage Ă  La Baule (Loire-Atlantique). ''Ça a Ă©tĂ© terrible d'ĂȘtre loin de ma famille pendant quinze jours. Il y a eu trois viols par jour pendant deux semaines'', raconte-t-elle.

''Le premier soir, il m'a dit de venir dans sa chambre, affirme-t-elle. Comme j'ai refusĂ©, il est venu dans la mienne et cela a Ă©tĂ© pire. Je me suis sentie prisonniĂšre car aprĂšs les faits, j'ai dĂ» rester Ă  l'endroit oĂč ça s'Ă©tait passĂ©. Du coup, les autres soirs j'y suis allĂ©e de moi-mĂȘme, ce qui est terrible. J'ai passĂ© les 15 pires jours de ma vie.'' Il reproduira ce mĂȘme schĂ©ma lors d'autres stages Ă  La Baule, notamment avec Margaux, la derniĂšre de ses victimes, qu'il viole pour la premiĂšre fois Ă  17 ans en 2013.

>>TEMOIGNAGES. Violences sur les mineurs dans le sport : ils sont judokas, athlĂšte ou parent de victime et sortent du silence

Fort de son impunitĂ©, l'homme poursuit AngĂ©lique partout. Il ne lui laisse aucun rĂ©pit. Trois jours aprĂšs la fin du stage Ă  La Baule, alors qu'AngĂ©lique est en vacances en Espagne avec sa famille, il la rejoint avec sa compagne. ''MĂȘme lĂ , je me suis dit qu'il ne me laisserait pas tranquille'', confie-t-elle.

Alors qu'Angélique vient d'avoir ses premiÚres rÚgles, sa mÚre en informe l'entraßneur. ''Quelques heures plus tard, il m'a dit : 'Dis donc, t'es grande maintenant, on va pouvoir faire plus de choses, mais il va falloir que je fasse gaffe'. Je me suis dit : 'Qu'est-ce qu'il peut bien faire de plus ?''', se livre Angélique, encore secouée à la prononciation de cette phrase.

''Impunité totale''

Sur le court aussi, l'entraßneur exerce son double jeu. Il alterne moments d'encouragement et d'humiliation publique. ''Quand je jouais mal, il me mettait sous terre. En tournoi, il lui arrivait de me laisser seule sur le parking à l'autre bout de l'Ile-de-France ou de la France. Je pleurais, puis il revenait me chercher, c'était l'horreur'', confie Angélique, toujours traumatisée par cette peur de l'abandon dans sa vie de femme. 

Il boit et s'énerve aussi réguliÚrement lors des matchs, dit-elle. ''Il me demandait de tricher pour gagner, ce qui était contre mes valeurs et celles de mon pÚre. J'avais tellement peur de lui que je finissais parfois par le faire. J'ai commencé à me mettre à dos les autres joueuses, ce qui participait à mon isolement.'' Ces agissements, qui auraient pu alerter, sont toutefois restés dans l'ombre d'une ''impunité totale'', d'aprÚs les mots d'Angélique.

''Il se prenait pour Dieu et avait une omnipotence sur les enfants et les adultes. Personne ne disait rien, soit parce qu'ils avaient peur de lui, soit parce que, pour beaucoup, il était la raison des trÚs bons résultats du club, qui était numéro un du Val-d'Oise.''

Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis

Ă  franceinfo: sport

Pire, si aucune sanction n'a Ă©tĂ© prise, selon AngĂ©lique, aucun signalement n'aurait Ă©tĂ© formulĂ© au sein du club. ContactĂ©s par franceinfo: sport, les dirigeants actuels ne sont pas en mesure de "tĂ©moigner de cette Ă©poque" remontant Ă  plus de vingt ans. Les signaux d'alerte n'auraient pourtant pas manquĂ©. Comme lors de ce jour oĂč Andrew Geddes a demandĂ© Ă  AngĂ©lique de lui faire une fellation dans le local Ă  matĂ©riel : ''Nous Ă©tions seulement trois au club, lui, moi et un barman. A un moment, ce dernier est descendu et a essayĂ© d'ouvrir la porte, fermĂ©e Ă  clĂ© de l'intĂ©rieur. Il a appelĂ© pour voir si quelqu'un rĂ©pondait. Je ne pouvais pas parler car il m'avait mis sa main sur ma bouche'', raconte AngĂ©lique.

AprĂšs quelques minutes, AngĂ©lique remonte seule, en dernier. ''J'avais les yeux rouges tellement j'avais pleurĂ©. Pourtant, le barman ne m'a rien demandĂ©. J'ai 13 ans, il sait que nous sommes seulement trois dans le club Ă  ce moment-lĂ , que le local est fermĂ© Ă  clĂ© de l'intĂ©rieur et que je remonte en pleurant, mais il ne dit rien. Ça me paraĂźt dingue'', s'exclame-t-elle, rĂ©voltĂ©e. 

Le rĂšgne de l'omerta

Totalement sous le joug de son bourreau, AngĂ©lique se dĂ©crit alors comme le ''clone'' de son entraĂźneur, dont elle suit inconsciemment le modĂšle : ''Je suis devenue triste sur le terrain. Et puis, je m'habillais comme lui, je portais ma casquette Ă  l'envers comme lui, je mangeais la mĂȘme pizza que lui et de la mĂȘme maniĂšre que lui, en laissant les bords sur le cĂŽtĂ©, alors que j'adorais ça'', se souvient-elle.

Pourtant, lĂ  encore, personne ne rĂ©agit. ''Il y avait une espĂšce d'omerta oĂč tout le monde savait que ce qu'il se passait Ă©tait louche. Comme les gens n'Ă©taient pas sĂ»rs, ils se disaient que ce n'Ă©tait pas Ă  eux de gĂ©rer, mais aux parents. Mais c'est une faute de ne pas protĂ©ger les enfants'', dĂ©nonce AngĂ©lique, la voix lĂ©gĂšrement tremblante, ses yeux plongĂ©s droit dans les nĂŽtres.

Avec AngĂ©lique, elles sont trois autres femmes, Astrid, Margaux et Mathilde, Ă  dĂ©poser plainte contre ce mĂȘme entraĂźneur. (VICTORINE ALISSE / COLLECTIF HORS FORMAT / FRANCEINFO)

Un an aprÚs le début des violences, Angélique essaie de prendre ses distances avec son entraßneur. Pour tenter de desserrer l'étau, elle participe à davantage de tournois proches de chez elle afin de s'éloigner et de ne plus avoir à dormir chez lui. Si les violences s'espacent, elles continuent encore pendant un an.

Mais le véritable déclic a été son changement de téléphone pour son quatorziÚme anniversaire. ''Ma mÚre m'a offert un Nokia 3310 bleu ciel et je me suis toujours promis de ne jamais répondre à son numéro : 06 ********'', récite sans la moindre hésitation Angélique, HPI (haut potentiel intellectuel) et hypermnésique, un don naturel mais aussi une malédiction dans son cas. Elle dont le cerveau n'a pas pu effacer, ne serait-ce que partiellement, les atrocités qu'elle a subies.

''Encore aujourd'hui, il m'arrive de donner machinalement son numéro au lieu du mien. C'est un numéro que j'emmÚnerai avec moi dans la tombe. Je ne pourrai jamais l'oublier.''

Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis

Ă  franceinfo: sport

Elle ne lui répondra plus. A la rentrée 2001, elle s'arme de courage et réussit à vaincre la peur qui la tétanise : elle demande à changer d'entraßneur, avant de changer de club l'année suivante. ''Personne n'a vraiment posé de questions, se remémore-t-elle. On disait que je n'étais plus sa préférée. En réalité, il avait vu que je m'étais échappée et comme tout prédateur, il avait trouvé une autre proie.'' 

Le silence pour protéger sa famille

Si Angélique a mis deux ans à se détacher de cette emprise, elle avait conscience, dÚs le départ, que ce qu'il se passait n'était pas normal. Pourtant, la petite fille d'alors 12 ans se mure dans le silence. ''Il disait que si je parlais, je ne pourrais plus m'entraßner avec lui et que je deviendrais nulle'', commence-t-elle. Mais c'est surtout pour préserver l'équilibre de sa famille qu'elle préfÚre se taire.

''Si je n'ai rien dit Ă  l'Ă©poque, c'est parce qu'un jour mon pĂšre nous avait dit, Ă  ma soeur et Ă  moi : 'Si quelqu'un vous fait du mal, je n'attendrai pas que justice soit faite, je lui mettrai une balle entre les deux yeux, quitte Ă  prendre vingt ans de taule.' Je ne voulais pas prendre le risque que mon pĂšre se fasse justice lui-mĂȘme et aille en prison", confie celle qui n'a ''jamais eu un rĂŽle d'enfant dans sa famille''.

Seule dans ce combat, elle mettra finalement deux ans, aprÚs les premiÚres violences, à se sortir de l'engrenage. ''J'étais complÚtement sous emprise, il m'aurait demandé n'importe quoi, je l'aurais fait'', souffle-t-elle. Aujourd'hui, Angélique regrette d'avoir gardé le silence. 

''Parce que j'ai fait le choix à 12 ans de ne pas parler pour protéger ma famille, j'ai aussi fait le choix de ne pas sauver les prochaines victimes.''

Angélique Cauchy, ancienne joueuse de tennis

Ă  franceinfo: sport

Elle n'en parlera en effet que des années plus tard lorsqu'un jour, l'une des victimes, Astrid, l'appelle et lui annonce qu'elle va porter plainte. La prescription des faits concernant cette derniÚre tombait quatre jours aprÚs. ''Elle m'a dit, se souvient Angélique, 'ça fait longtemps que je ne suis pas bien, et si je ne le fais pas maintenant, je m'en voudrai. Et j'ai des doutes pour toi.' C'est la premiÚre fois que j'ai répondu oui.''

Il faudra trois mois Ă  AngĂ©lique pour porter plainte Ă  son tour, en mars 2014, Ă  quelques jours de son 27e anniversaire, date Ă  laquelle elle lĂąche la raquette en tant que joueuse. AprĂšs quelques annĂ©es dans l'encadrement de jeunes, elle arrĂȘtera dĂ©finitivement le tennis en 2017. Depuis peu, elle retrouve du plaisir Ă  travers le padel.

Au total, elles sont quatre – AngĂ©lique, Astrid, Margaux et Mathilde – Ă  dĂ©poser plainte contre ce mĂȘme entraĂźneur. AngĂ©lique Cauchy a Ă©tĂ© la plus jeune de ses victimes au moment des faits. Lors du procĂšs, la FĂ©dĂ©ration française de tennis (FFT) se porte partie civile. 

Une ''diarrhée verbale''

Commence alors une procĂ©dure longue et complexe. Un ''cataclysme nĂ©cessaire'' pour digĂ©rer l'horreur. A la brigade des mineurs, AngĂ©lique, qui n'avait encore jamais parlĂ©, dĂ©balle tout. ''J'ai parlĂ© pendant sept heures sans m'arrĂȘter. Lors du procĂšs, la capitaine de police en charge de l'enquĂȘte a dit : 'Pour AngĂ©lique, ça a Ă©tĂ© une diarrhĂ©e verbale'. Je me souvenais de tout, des lieux, des couleurs des sols et des murs, des formes de lampe, de la mĂ©tĂ©o
'', Ă©numĂšre-t-elle, lĂ  encore grĂące Ă  son hypermnĂ©sie.

Plus de vingt ans aprÚs les faits, Angélique Cauchy, 36 ans, a accepté, de raconter pour la premiÚre fois son histoire. (VICTORINE ALISSE / COLLECTIF HORS FORMAT / FRANCEINFO))

Mais le plus dur a Ă©tĂ© d'en parler Ă  ses proches, qui n'ont pas eu la rĂ©action qu'elle attendait. ''La premiĂšre rĂ©action de ma mĂšre a Ă©tĂ© de me dire : 'J'espĂšre qu‘il n'a pas touchĂ© ta sƓur'. Moi aussi je l'espĂ©rais, mais j'espĂ©rais aussi qu'elle pense Ă  moi'', explique-t-elle, la voix nouĂ©e. Elle affirme que ce manque d'empathie, voire d'affection de sa mĂšre, a fini par rompre leurs liens, deux ans plus tard.

Elle coupe aussi les ponts avec son pĂšre et sa sƓur. Selon elle, quand elle leur a racontĂ© ce qu’il s’était passĂ©, ils ne l’auraient pas soutenue et lui auraient fait porter le mal-ĂȘtre de sa famille
 ''Ça a Ă©tĂ© trĂšs dur'', confie AngĂ©lique, qui aujourd'hui ''n'attend rien d'eux''. Mettre des mots sur ses traumatismes a Ă©tĂ© une nouvelle Ă©tape pour elle, qui enchaĂźne alors dĂ©rĂšglements du cycle menstruel, crises de boulimie et d'anorexie pendant plusieurs annĂ©es. Entre perte et prise de poids excessives, AngĂ©lique est Ă  la recherche d'un Ă©quilibre qu'elle ne parvient pas encore Ă  retrouver. 

''Il passait d'une victime à l'autre, sur des cycles de deux ans''

Le procÚs se tient en 2020. Si les quatre victimes se connaissaient, elles découvrent à l'audience les détails des histoires et des violences subies par chacune d'entre elles. ''Tout est remonté et en écoutant les autres témoignages, je me suis rendu compte que je n'avais pas juste été violée, j'ai été violée avec violence'', affirme Angélique.

"Quand Margaux a dit à la barre : 'A la fin, je préférais qu'il me sodomise parce que j'avais trop mal à force, et je ne pouvais plus mettre de jeans', j'ai vrillé. Je me suis écroulée dans la salle des pas perdus, j'ai lùché un cri et je pense que ce jour-là, la petite fille de 12 ans est morte'', poursuit-elle. Une nouvelle blessure à surmonter, mais une étape essentielle dans sa reconstruction.

>>ENTRETIEN. "L'enfant ne va pas se plaindre, il va plutÎt se taire, ce qui est pire que tout", explique un pédopsychiatre

La feuille de motivation (énoncé des principaux éléments à charge pour chacun des faits reprochés) du verdict de la cour d'assises, que franceinfo: sport a pu consulter, dépeint "un homme charismatique et trÚs intimidant". Il plaçait ses victimes ''sous son emprise en jouant de l'autorité que lui conférait son statut d'entraßneur omnipotent, mais aussi de l'idéalisation que les adolescentes vouaient à l'homme mature, de 20 ou 30 ans leur aßné''.

''Il passait d'une victime Ă  l'autre, sur des cycles de deux ans, dĂ©veloppe AngĂ©lique. À chaque fois, il cherchait des filles plus intelligentes que la normale, en manque d'affection et de reconnaissance de leur famille, ou des gens trĂšs sensibles'', prĂ©cise l'ancienne espoir du tennis tricolore.

Des cicatrices physiques et psychologiques irrémédiables

Les sĂ©quelles de ces violences laissent des traces indĂ©lĂ©biles chez chacune des victimes. AngĂ©lique souffre aujourd'hui d'un vaginisme sĂ©vĂšre (peur de la pĂ©nĂ©tration) : ''MĂȘme chez le gynĂ©cologue, je ne peux pas faire de frottis'', confie-t-elle.

Plus que les sĂ©quelles physiques, il y a aussi les consĂ©quences psychologiques, ''encore plus destructrices''. ''Ça m'a dĂ©molie, lĂąche AngĂ©lique. Encore aujourd'hui, j'ai peur de l'abandon, de l'autoritĂ©.'' Mais surtout, ''ce qui m'a le plus marquĂ©e, c'est lorsqu'il est venu me dire un jour : 'J'ai le sida, c'est sĂ»r, je te l'ai donnĂ©.' A la fin des annĂ©es 1990, c'est quelque chose qui faisait beaucoup plus peur que maintenant, ça m'a tĂ©tanisĂ©e. J'ai vĂ©cu de 13 Ă  18 ans en pensant que j'avais le sida. Mais il m'avait menti, juste pour me dĂ©truire. C'Ă©tait peut-ĂȘtre encore plus destructeur que le viol", juge AngĂ©lique.

Angélique Cauchy sur un terrain de padel à Bayonne, le 25 avril 2023. (VICTORINE ALISSE / COLLECTIF HORS FORMAT / FRANCEINFO))

Andrew Geddes utilisera ce mensonge macabre avec ses autres victimes, causant, là encore, des dommages psychiques aux conséquences trÚs lourdes. Astrid, qui évoque "des viols sur des parkings, dans la voiture, trois fois par semaine pendant deux ans'', souffre d'un syndrome de stress post-traumatique et vit dans ''une forme d'hypervigilance et d'hyperanxiété''. ''La perversion tue votre développement intérieur, on ne peut pas se construire en tant qu'adulte. Je me sens coincée à l'ùge de mon traumatisme'', témoigne la jeune femme, aujourd'hui journaliste.

Pour Margaux, Ă©tudiante de 27 ans, les sĂ©quelles sont Ă©galement nombreuses : ''J'alterne les pĂ©riodes oĂč je vais trĂšs bien et celles oĂč je vais trĂšs mal. Je ne sais pas si on peut en guĂ©rir, ou si ce n'est pas un fardeau que je vais devoir porter toute ma vie'', s'interroge la jeune femme, qui a ''toujours une thĂ©rapie sous le coude''.

S'oublier en tant que victime et agir

AngĂ©lique ne veut ''plus ĂȘtre la victime'' mais plutĂŽt ''tirer quelque chose de positif'' de son passĂ©. C'est pourquoi elle a crĂ©Ă©, avec Margaux et Astrid notamment, l'association Rebond, pour "aider les jeunes Ă  grandir et Ă  s'Ă©panouir dans un cadre bienveillant. Je veux essayer de les protĂ©ger car on ne m'a pas protĂ©gĂ©e", souligne AngĂ©lique, pendant que Margaux pointe du doigt "cette grande permissivitĂ©, ainsi que la responsabilitĂ© des tĂ©moins". Depuis 2021, l'association organise, en lien avec la FĂ©dĂ©ration française de tennis, des interventions de prĂ©vention et de sensibilisation auprĂšs de clubs et de ligues, ainsi que de la formation et de l'aide aux victimes.

Aujourd'hui professeure d'éducation physique et sportive, Angélique a gagné le combat qu'elle portait en elle depuis plus de la moitié de son existence, pouvoir raconter ce qu'elle avait vécu et entamer sa reconstruction. A présent, son objectif est de profiter de la vie. ''Je remercie aujourd'hui la petite fille de 12 ans que j'étais d'avoir choisi la vie et de m'avoir permis de rencontrer ma femme et mon fils'', glisse-t-elle, émue, fixant l'Adour, et marquant une pause, la premiÚre aprÚs deux heures de discussion.

Une ultime épreuve reste toutefois encore à franchir : la sortie de détention de son agresseur, condamné à 18 ans de réclusion criminelle en appel par le tribunal de Nanterre en 2021. Angélique s'interroge. ''Il est probable qu'il sorte de prison dans moins de 10 ans. Est-ce que tout ce temps lui aura été utile pour qu'il ne recommence pas ?''

Commentaires

Connectez-vous Ă  votre compte franceinfo pour participer Ă  la conversation.