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Enquête franceinfo Violences dans le sport : viols, emprise, harcèlement... Les mineurs en première ligne

France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 19 min
Un enfant sur sept est victime de violences dans le monde du sport, selon une étude européenne publiée en 2021. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO SPORT)
La libération de la parole s’étend dans le monde sportif, où les enfants sont particulièrement concernés par les violences. L'Etat et les fédérations ont commencé à agir et tentent d'y remédier. Etat des lieux.

Un sur sept. C’est le nombre d’enfants victimes de violences dans le monde du sport, selon une étude européenne publiée en 2021. Un chiffre glaçant, issu des données de six pays européens, qui ne prend pourtant pas en compte ceux de la France, dont la dernière étude sur le sujet remonte seulement à 2009. Mais, depuis la prise de parole de l’ancienne patineuse Sarah Abitbol en janvier 2020, qui avait dévoilé les violences sexuelles qu’elle avait subies dès l'âge de 15 ans de la part de son entraîneur, la question est désormais au centre de la table du monde sportif et les témoignages affluent.

Pourtant, ceux-ci furent très longtemps passés sous silence, comme le rappelle l'ancien judoka Patrick Roux, auteur du livre Le revers de nos médailles (éd. Dunod) : "En 2004-2005, j’avais reçu des informations de plusieurs personnes, dont des athlètes jeunes, qui évoquaient des violences, des maltraitances. A cette époque, j’avais essayé d’en parler à la fédération. Je suis allé naïvement dire ça, et on m'a dit : 'Passe ton chemin, arrête de fouiller la merde'", explique l'ancien champion d'Europe 1987. "Pendant longtemps, le monde, et le monde sportif, n'a pas voulu voir ou entendre et s'est tu", rappellait le 6 avril dernier la psychologue Meriem Salmi, aux premières Assises internationales de lutte contre les violences sexuelles dans le sport, organisées par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF).

Les mineurs, coeur du combat contre les violences

Désormais, au cœur de cette lutte globale, des victimes font l’objet d'une attention particulière : les mineurs. Pour eux, la pratique sportive est un des premiers moyens de socialisation et de réalisation, et les expose plus vite à tous les types de violences, qu’elles soient psychologiques, physiques, sexuelles ou liées au harcèlement. "Le sport favorise l'éloignement des familles à l'occasion des stages et compétitions, une relation asymétrique fréquente, l'influence du collectif. On ne veut pas mettre en cause l'équipe car on ne veut pas que la mauvaise réputation s'abatte sur elle. Il y a une relation au corps qui est également prétexte à une agression", expliquait la doctoresse en droit Catherine Le Magueresse lors de ces mêmes Assises.

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"Quand on a 5, 8 ou 15 ans, le sport est un terrain qui permet d'exister, ce n'est pas juste prendre du plaisir, c'est se mettre en valeur, en avant, être reconnu. Cela dépasse parfois la simple performance sportive, ce sont des enjeux narcissiques et donc existentiels. Il faut briller, sinon on n'est rien", complète Philippe Duverger, chef du service de Psychiatrie de l’Enfant et l’Adolescent au CHU d’Angers. "Malgré [les] violences, on ne pouvait pas en parler car on voulait tous être sélectionnés pour les compétitions. On voulait tous être numéro 1, devenir champion du monde ou champion olympique", se souvient Julie Labarrere, ancienne judokate, qui aurait subi des châtiments corporels lors d’un stage national de judo en 1999.

Pendant un entraînement, sur le tatami, elle raconte que son entraîneur lui aurait infligé ainsi qu'à une autre judoka des prises au sol. Selon elle, elles auraient été incapables de se défendre. La punition aurait duré plus de 2h. "Cela m’a paru une éternité", ajoute Julie Labarrère, qui serait sortie du tatami couverte de bleus ce jour-là. Contacté par franceinfo: sport, cet entraîneur mis en cause n'a pas répondu à nos sollicitations. 

L’emprise, piège pernicieux qui exploite la vulnérabilité des enfants

Toutes les fédérations sont concernées, et les mineurs n'échappent à aucun type de violence : sexuelle, psychologique, physique, harcèlement et désormais cyber-harcèlement. Au cœur de ces violences, un processus frappe particulièrement les enfants : l’emprise, souvent exercée par l’entraîneur. Usant de sa position de référent et exploitant la fragilité et l’insouciance de sa victime, l’agresseur s’insère progressivement dans sa vie jusqu’à la couper du monde, comme l’explique Astrid Mezmorian, victime de viols et agressions sexuelles à l'adolescence de la part de son entraîneur de tennis, Andrew Geddes.

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Il avait un vrai mode opératoire avec toutes les victimes : d’abord flatter, vous faire vous sentir à part, vous survaloriser, puis vous dégrader et souffler le chaud et le froid. Ensuite, se rendre totalement indispensable une fois que vous êtes isolée : cette personne devient tout pour vous car il ne vous reste plus rien par ailleurs. Il vous a montée contre vos parents, vous a dit que personne ne vous arrivait à la cheville parmi les gens de votre âge", raconte-t-elle. 

"Même les choses les plus violentes qu’il était capable de faire ou dire devant tout le monde, étaient toujours banalisées, jamais jugées à leur juste gravité, parce qu'il avait de très bons résultats. C’était le terreau sur lequel il allait asseoir son emprise."

Astrid Mezmorian, ancienne joueuse de tennis

à franceinfo: sport

Cet entraîneur a été condamné en appel en 2021 à 18 ans de réclusion criminelle pour viols et agressions sexuelles avec circonstance aggravante d'acte d'autorité sur Astrid, Angélique Cauchy, Margaux et Mathilde. Pour Angélique Cauchy, âgée de moins de 15 ans au moment des faits, la circonstance aggravante supplémentaire de "mineur de 15 ans" a été retenue par la Cour d'assises. Contacté par franceinfo: sport, l'avocat d'Andrews Geddes lors du procès, indique qu'il "ne souhaite pas faire de commentaires sur une procédure qui a été jugée définitivement."

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Angélique, ancienne n°2 française chez les juniors, confirme le stratagème énoncé par Astrid. "Je n’avais que lui, c’était devenu 'mon meilleur ami', 'mon père', il avait tout pouvoir sur moi, et il disait que si je parlais, je ne pourrais plus m’entraîner, je deviendrais nulle." 

Le lien entre entraîneur et entraîné est parfois le terreau sur lequel repose des violences. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO SPORT)

Pour refermer le piège, l’agresseur se tourne souvent vers des enfants plus vulnérables, et donc plus susceptibles de tomber dans une relation de dépendance. Un phénomène accentué par le monde sportif, où la figure de l’entraîneur génère chez l’enfant une admiration. "Je répondais à tous ses critères car il cherchait à chaque fois des filles qui étaient 'plus intelligentes que la normale', des gens qui étaient un peu en manque d’affection et de reconnaissance dans leur famille, des gens hypersensibles avec un peu trop d’empathie", affirme Angélique Cauchy. Au-delà du profil de la victime, l’agresseur peut s'octroyer des gages de silence de l’entourage en gagnant la confiance des parents, en instillant la peur chez les témoins, ou en remportant des victoires pour le club.

Figure tutélaire et conflit de loyauté 

Une fois le processus en place, la victime se retrouve prisonnière entre son agresseur et son entourage. "Même dans les pires agissements, je pensais qu’il voulait mon bien, poursuit Astrid Mezmorian. Ça a abouti à trois viols par semaine pendant deux ans, des choses très violentes. A 15 ans, quand vous n’avez aucune expérience de la vie, c'est un tel rouleau compresseur qui s’abat sur vous. Ça vous tue votre psychisme." Une dualité qui prend la forme d’un conflit de loyauté pour la victime entre son agresseur et les tiers, et dont il est extrêmement difficile de s’extraire seul. "Tout comportement de violence est une tragédie à trois, particulièrement chez l'enfant : l'agresseur, la victime et le tiers [le parent, l'entourage, la société], développe le pédopsychiatre Philippe Duverger. L'enfant est souvent pris, contrairement aux adultes, dans une emprise psychique et notamment un conflit de loyauté. L’adulte fait ça a priori pour le bien de l'enfant, pour son épanouissement, les records. L'entraîneur, l'adulte, le parent est implicitement garant de quelque chose, donc on va le laisser faire."

Lorsqu'ils sont victimes de violences, les enfants ont tendance à se replier sur eux-mêmes et garder le silence. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO SPORT)

Afin d’empêcher sa victime de parler et de dénoncer ses agissements, l’agresseur peut utiliser des stratagèmes malsains, comme la manipulation ou l'emprise, qui approfondissent le traumatisme de la victime. Dans ce système pernicieux, les faits de violence ne se déroulent quasiment jamais sur le lieu d’entraînement, mais dans des lieux périphériques comme les stages, les vestiaires, voire au domicile d’un entraîneur. "Le monde du sport est un environnement dans lequel on tolère certaines pratiques qu'on ne tolérerait pas dans d'autres champs de la vie sociale. C'est parce qu'il y a une confiance dans l'institution, que le débordement est possible et la régulation ne se fait pas", analyse Fabienne Bourdais, directrice des Sports et déléguée ministérielle à la lutte contre les violences dans le sport.

La reconstruction, processus essentiel et complexe

Si la libération de la parole dans le cadre du sport progresse, le traumatisme personnel laisse des traces indélébiles. "J’ai eu pendant des années des visions, des hallucinations, une incapacité à voir une personne chauve sans partir en courant, ou encore le bruit du moteur de sa Volkswagen, que je reconnais quand ce modèle arrive derrière moi dans la rue. Il y a aussi des odeurs qui peuvent me rappeler cette période", soupire Astrid Mezmorian, une vingtaine d’années après les faits. Margaux, victime du même entraîneur, abonde : "J’ai toujours une thérapie sous le coude, car j'ai toujours des moments où ça ne va pas fort. La clé est d'essayer de disjoindre les éléments traumatiques de sa vie et de se dire que tout n'est pas dû à ça."

L’enfant victime de violences, et a fortiori dans le cadre sportif, doit vivre avec un traumatisme et un statut de victime dont il est parfois extrêmement long de s’extraire, mais qui demeure un passage indispensable pour le développement vers l’âge adulte, selon Philippe Duverger. "L'adolescent est en construction, il ne faudrait pas qu'il se construise son identité et sa personnalité uniquement sur ce statut de victime, car sinon il sera une victime toute sa vie. Il faut l'aider dans la parole à peut-être prendre de la distance face à l'événement mais aussi à ce statut de victime". 

Se pose donc la quête de reconstruction, période particulièrement difficile pour les mineurs, dont la parole est souvent plus longue à venir, et les séquelles souvent irrémédiables. "C'est toute la question de la honte et du silence, qui est une véritable impasse. On a plus de silence chez les tout petits, qui sont dans des relations de dépendance", ajoute Philippe Duverger. "Ça crée le terreau de la culpabilité : on se dit ‘Je l’ai bien cherché’, ce qui est terrible pour une victime qui a déjà honte et culpabilise, d’autant plus par ceux dont elle attend le plus une main tendue."

"L'enfant ne va pas se plaindre, ce serait un signe de faiblesse, une incapacité à se défendre. Donc il va éviter d'en référer à l'adulte, et il va plutôt se taire, se replier sur soi, ce qui est pire que tout."

Philippe Duverger, pédopsychiatre

à franceinfo: sport

Parmi les différentes étapes, le pardon fait partie des phases les plus complexes mais néanmoins essentielles pour vivre en paix avec soi-même. "Il faut pardonner, sinon on est enfermé à vie là dedans. J’ai même pardonné à mon agresseur, ça ne sert à rien d’avoir la haine toute la vie, c’est une horreur, je ne veux pas vivre comme ça. Si on pousse le raisonnement, quelqu’un qui fait autant de mal est lui aussi une victime, une victime du mal qu’il est capable de faire aux autres", analyse Astrid Mezmorian avec recul. 

Un sujet de moins en moins tabou dans le monde sportif

Longtemps sujet mis sous le tapis dans le monde sportif français, les violences dans le sport ont désormais voix au chapitre, grâce à la libération de la parole, lancée début 2020 par le témoignage de Sarah Abitbol, et par les actions entreprises à tous les niveaux du cadre sportif. Colosse aux Pieds d’Argile, fondée en 2013, fut la première association à alerter le gouvernement de la situation dès 2019. "Pendant le procès, j’ai fait quatre nuits blanches, c’est là où j’ai réfléchi à comment protéger les futures potentielles victimes que sont nos enfants", se souvient l'ancien rugbyman Sébastien Boueilh, fondateur de l’association qui compte aujourd’hui 40 salariés, et qui a subi des viols lorsqu'il était enfant.

Grand Format "Gym, la parole se libère"

Roxana Maracineanu s’était emparée du sujet lorsqu'elle était ministre des Sports de 2018 à 2022. L'ex-championne de natation avait impulsé des initiatives dans les Creps (Centre de ressources, d'expertise et de performance sportives) en lien avec l’association de Sébastien Boueilh, et observé l’ampleur des dégâts auprès des présidents de fédération. "J'ai constaté qu'il y avait un déni, pour eux c'était des non-sujets. Ils se positionnaient plutôt comme la justice avec la présomption d'innocence : toujours en défense, comme s'il y avait du passif à dissimuler. On a détecté très vite qu'il y avait ces violences sexuelles, pédophiles, viols et agressions, mais tout cela était caché par un continuum de la violence acceptée au nom de la performance, qui était répandu partout", souligne celle qui est, depuis mars 2023, secrétaire générale de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.

Un arsenal législatif et administratif renforcé

Depuis, la lutte s’est intensifiée. Dans le cadre législatif tout d’abord. En 2018, le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs est passé de 20 à 30 ans. Ensuite, depuis la loi du 21 avril 2021, le moindre contact sexuel avec un enfant de moins de 15 ans par un adulte est nécessairement un viol s'il y a pénétration, ou une agression sexuelle s'il y a un attouchement sexuel constitutif d'une agression. La peine encourue pour une main aux fesses est de cinq ans d'emprisonnement, sept ans s'il y a un acte d'autorité, sur un mineur, une personne vulnérable ou en situation de handicap. L’appareil législatif s’est également doté, avec la loi Sport de février 2022, d’un arsenal supplémentaire afin de réagir plus rapidement en cas d’agression sur enfant. Désormais, la mesure d’interdiction d’exercer de l’entraîneur, qui était jusqu’à alors de six mois, court désormais jusqu’au verdict du procès, en plus d’actionner de plus nombreuses sanctions disciplinaires.

Dans le cadre administratif ensuite, puisque le ministère des Sports a mis en place plusieurs garde-fous, comme le contrôle d’honorabilité, qui permet de filtrer les profils à proximité des enfants, et qui a été systématisé à tous les bénévoles licenciés, par la loi du 2 mars 2022. "Lorsqu’une personne a fait l’objet d’une condamnation définitive pour des faits de violences (notamment sexuelles) sur mineurs, elle ne peut plus exercer à titre rémunéré ou bénévole, des fonctions d’éducateur sportif, d’exploitant d’établissement d’activité physique et sportive, de juge, d’arbitre ou de surveillant de baignade et intervenir auprès de mineurs au sein d’un établissement d'activité physique et sportive", précise la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castera.

On compte également la présence d’un référent sur cette question dans chaque fédération. Pour les mineurs exclusivement, le ministère, en lien avec le service "119 Enfance en danger" (numéro d’assistance d’urgence gratuite pour l'enfance en danger), tente également d’investir le cadre de la prévention en plus de celui de la réaction. "On a fait une affiche des gestes barrières, avec les attitudes à proscrire, et une affiche pour inciter les enfants à parler, en indiquant le choix de la personne à qui se confier. Ce qu'il nous faut promouvoir, c'est la vigilance collective", ajoute la Directrice des Sports Fabienne Bourdais.

Une affiche de prévention du ministère des Sports à destination des mineurs sur les violences dans le sport. (MINISTERE DES SPORTS)


907 signalements au ministère depuis 2020

Mais le principal ajout réside dans la mise en place d’une cellule de signalements depuis février 2020, afin de faire remonter plus vite les violences dans le cadre sportif : au 31 décembre 2022, on comptait 907 signalements, majeurs et mineurs confondus, en moins de trois ans. "Les signalements le sont pour des faits de plus en plus récents, ce qui est un indicateur de la bonne connaissance de cette cellule, et de la crédibilité qu'elle a acquise. Mais elle n'est pas encore très connue non plus", observe Fabienne Bourdais, en charge de la cellule.

L’augmentation du nombre de signalements revêt une double lecture pour le monde du sport : une meilleure libération de la parole, notamment chez les mineurs, et donc une meilleure protection. Mais il indique aussi que le nombre de violences est toujours extrêmement élevé dans la pratique sportive. "Et on devrait sans doute multiplier ce chiffre par dix pour obtenir le vrai chiffre", estime Catherine Moyon de Baecque, ancienne athlète spécialiste du lancer de marteau qui fut parmi les premières à dénoncer des agressions sexuelles en 1991, et qui est aujourd'hui coprésidente de la Commission de Lutte contre les violences sexuelles et les discriminations dans le sport du Cnosf. 

Un processus de protection et de sanction encore à polir

D’autant que plusieurs angles morts subsistent. Sur ces signalements, "le principal frein relève du non-respect de l’obligation de signalement par les acteurs concernés (article 434-3 du code pénal). Il faut donc encore et toujours rappeler chacun à sa responsabilité et sanctionner lorsque des fautes ont été commises", précise la ministre des Sports.

Selon une étude du cabinet Mouvens auprès de 84% des fédérations impliquées dans la lutte contre les violences, une fédération sur deux déplore la crainte de répercussions pour les victimes qui dénoncent, et 41% souhaiteraient la mise en place d'un protocole de gestion de crise. La procédure disciplinaire demeure lacunaire : certaines commissions disciplinaires hésitent, voire refusent de sanctionner tant que le champ pénal ne s'est pas prononcé. La constitution du dossier est également parfois laborieuse.

En France, aucun sport n'est épargné par les violences, quelles soient sexuelle, psychologique ou physique. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO SPORT)

Toujours selon le cabinet, le champ des sanctions est restreint, avec un retrait de licence comme sanction la plus élevée. La crainte des fédérations est que, dès lors qu'on retire la licence, on perd de vue la personne mise en cause, ajouté au fait que les sanctions disciplinaires prononcées par les unes ne puissent pas être transférées aux autres. "Il y aurait une voie qui serait la création d'un organe disciplinaire transfédéral, qui permettrait de traiter les cas de l'ensemble des fédérations, de les dépayser, de les externaliser et éviter ainsi des conflits d'intérêt", expliquait Didier Chavrier, vice-président de la Fédération de canoë-kayak et des sports de pagaie, lors des Assises contre les violences dans le sport le 6 avril. 

"Les sportifs de haut niveau sont aujourd'hui mieux protégés et préparés et plus enclins à libérer la parole, ce qui n'est pas le cas pour de potentielles victimes en loisirs"

Delphine Réau, membre de la commission du CNOSF

Enfin, certains pointent l’écart entre la prise en charge au sein des structures de haut niveau et celle du monde du loisir, où la pratique est parfois beaucoup plus opaque pour le monde extérieur. "C'est plus facile pour les sportifs de haut niveau car beaucoup de choses existent aujourd'hui, notamment ce qui est inscrit dans la politique des fédérations, c'est vraiment utile pour s'exprimer", expliquait aux Assises Delphine Réau, membre de la commission du CNOSF sur le sujet. "Là où j'ai plus de doutes, c'est sur l'aspect loisirs : on est beaucoup plus loin des fédérations, qui ne connaissent pas 1/10e de ce qui se passe sur le terrain, ça ne remonte pas."

Les associations, organe essentiel pour la protection

De leur côté, les associations agissent souvent en lien avec les fédérations afin de faire de la prévention auprès des plus jeunes, mais également lors de la prise en charge des victimes, parfois livrées à elles-mêmes dans leur processus de témoignage, comme l'association Rebond, cofondée par Angélique Cauchy à la sortie de son procès, en 2021. "On fait de la prévention à travers la sensibilisation et la formation, on fait de l’aide et du suivi de victimes. Quand on peut, on aide à payer les frais d’avocat. On a également une psychologue dont on offre le premier rendez-vous pour orienter les victimes vers les soins adaptés."

Avec Colosse Aux Pieds d’Argile, L’Enfant Bleu, Artémis Sport ou Fight for Dignity, de nombreuses associations interviennent aujourd’hui dans le secteur sportif afin d'aider à la reconstruction mentale et physique des victimes, ainsi qu'à leur évolution. "On ne peut pas être égoïste et se dire : 'C’est bon, je suis reconnue (en tant que victime), advienne que pourra, le reste on s’en fout.' Il faut qu’on soit utiles maintenant. Ça détruit des vies et des trajectoires. On ne peut pas autoriser ça, tout le monde a le droit d’essayer de se développer normalement. La jeunesse doit être un sanctuaire", ajoute Astrid Mezmorian, co-fondatrice de Rebond. "On travaille avec six ministères, 50 fédérations conventionnées, et ça fonctionne car on libère la parole tous les jours", ajoute Sébastien Boueilh de Colosse Aux Pieds d'Argile.

Tiraillé entre l'entraîneur et le tiers, souvent ses parents, l'enfant victime de violences peut être pris dans un conflit de loyauté dont il est difficile de s'extraire seul. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO SPORT)

De son côté, le ministère arrive à un moment charnière, alors que la quatrième Convention des Violences dans le sport va se tenir début juin pour faire un nouveau point d’étape. "On marque le pas désormais, car on a réussi à embarquer tous ceux qui sont déjà convaincus. Le cadre législatif est posé, ce n’est plus la loi ou le règlement qui permettra de progresser", constate Fabienne Bourdais.

A un peu plus d'un an d'un événement planétaire où la France sera extrêmement scrutée, comment concilier la protection des mineurs avec l'objectif assumé de médailles, et la pression inhérente sur les athlètes qui l'accompagne ? "Cet objectif n’est en aucun cas incompatible avec les objectifs de performance que nous nous sommes fixés en vue des JOP 2024, conclut Amélie Oudéa-Castera. La sécurité des sportifs est le premier vecteur de performance. Les médailles ne se gagnent pas à n’importe quel prix, elles se gagnent grâce des méthodes d’entraînement respectueuses du bien-être des sportifs."

Roxana Maracineanu pointe, elle, la question centrale du modèle d’entraînement et de la nuance parfois fine entre performance maximale et violence. "J'espère qu'après les Jeux 2024, nous allons réfléchir à quelle éducation par le sport et pour la performance on souhaite demain pour nos enfants : continuer à se prévaloir de la souffrance, du sacrifice au nom des résultats ou est-ce que l'on veut aborder les résultats autrement, par un épanouissement de l'individu, de l'enfant ?"

*Le prénom a été modifié. 

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