Quatre questions sur le débat européen autour de la redéfinition pénale du viol pour inclure la notion de consentement

Cette proposition de la Commission européenne suscite l'opposition de la France et de l'Allemagne. Elle bloque les discussions sur une directive contre les violences faites aux femmes.
Article rédigé par Catherine Fournier - avec AFP
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Une manifestation contre les violences faites aux femmes, à l'appel du collectif Nous toutes, le 25 novembre 2023 à Paris. (LAURE BOYER / HANS LUCAS / AFP)

La définition du viol doit-elle être harmonisée au niveau européen ? La proposition a de nouveau constitué un point de blocage, mercredi 13 décembre, des discussions sur une directive contre les violences faites aux femmes. Le projet prévoit, dans son article 5, une définition du viol fondée sur l'absence de consentement. Mais cette notion, tout comme une harmonisation des pays de l'Union européenne sur la question, fait débat.

En France, pays opposé à ce que le viol ne relève plus de la compétence des Etats, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer une évolution du droit national sur ce sujet. Franceinfo revient sur le sujet en répondant à quatre questions.

En quoi consiste ce projet européen ?

Cette directive européenne vise à rapprocher les législations et la réponse pénale des 27 pays membres sur les violences faites aux femmes et les violences domestiques. Le viol, les mutilations génitales, la divulgation de vidéos intimes ou encore le harcèlement en ligne font partie des principaux sujets au centre des débats.

Concernant le viol, la Commission européenne juge, dans le texte présenté le 8 mars 2022, que "l'absence de consentement devrait être un élément central et constitutif de la définition de viol, étant donné que fréquemment, le viol est perpétré sans violence physique ni usage de la force". "Un consentement initial devrait pouvoir être retiré à tout moment durant l'acte, dans le respect de l'autonomie sexuelle de la victime, et ne devrait pas signifier automatiquement le consentement à de futurs actes", poursuit le texte.  

Comme le rappelle la Commission, "de nombreux Etats membres exigent encore qu'il y ait usage de la force, de menaces ou une contrainte pour caractériser un crime de viol". "D'autres Etats membres s'appuient seulement sur la condition que la victime n'ait pas consenti à l'acte sexuel". "Seule cette dernière approche permet la protection complète de l'intégrité sexuelle des victimes", estime l'institution basée à Bruxelles.

Où en sont les discussions ? 

En juin, les Etats membres ont décidé d'exclure des négociations l'article 5 du projet de la Commission, concernant les "infractions de viol à l’encontre des femmes". Si le Parlement européen et plus d'une dizaine de pays (dont l'Espagne, la Belgique, la Grèce, la Suède et l'Italie) sont sur la même ligne, une dizaine d'autres, notamment la France et l'Allemagne, s'opposent à ce que le viol soit inclus dans la législation. 

A l'issue d'une quatrième séance de négociations entre les représentants du Parlement et des pays de l'UE, mercredi, les onze eurodéputées impliquées dans ce dossier, issues de divers bords politiques, ont exprimé leur "profonde déception et indignation" face à la "position intenable" du Conseil européen (soit les leaders des Etats membres).

L'eurodéputée suédoise Evin Incir (groupe Socialistes & démocrates), corapporteuse du texte, a accusé lors d'une conférence de presse ces pays de "trouver des excuses pour ne pas agir", insistant sur "l'impunité" dont bénéficient les auteurs de viols. L'Allemagne a par exemple changé en 2016 sa définition du viol, qui repose sur le principe de "non, c'est non". "Mais ne pas avoir été en mesure de dire non ne veut pas dire que vous avez dit oui", objecte Evin Incir.

Du côté du groupe PPE (droite), l'eurodéputée française Nathalie Colin-Oesterlé a fait part de son "ras-le-bol" après l'échec des discussions. "Depuis le début de ces négociations en juillet dernier, 33 000 femmes ont déjà été victimes de viol en Europe, a-t-elle déploré. Nous n'accepterons pas une loi au rabais." Les pourparlers doivent reprendre en janvier 2024.

Quels sont les arguments des détracteurs du texte ? 

Pour les pays opposés au texte, le viol n'a pas la dimension transfrontalière nécessaire pour être considéré comme un "eurocrime" susceptible de donner lieu à une harmonisation de la législation au niveau européen. Actuellement, seules les infractions mentionnées dans l'article 83 du traité sur le fonctionnement de l'UE sont concernées : le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. Paris et Berlin estiment aussi qu'il y a un risque que le texte soit retoqué en cas de recours devant la justice européenne. 

Par ailleurs, certains considèrent qu'inclure la notion de consentement dans la définition du viol serait contre-productive. En France, où le Code pénal définit les viols comme des actes commis par "violence, contrainte, menace, ou surprise", la philosophe Manon Garcia estime que "cette notion est traversée par des représentations hétérosexistes" : "On pense que le consentement est l'affaire des femmes, qui doivent choisir d'accepter ou de refuser les assauts sexuels des hommes", écrit-elle dans une tribune publiée mardi par Le Monde. "Si l'on définit légalement le viol par le non-consentement, on considère que c’est le comportement de la victime qui fait le viol et non celui du violeur", poursuit-elle. 

 Que répondent les partisans d'une modification de la loi ? 

Dans une autre tribune publiée le même jour par Le Monde, un collectif réunissant des avocates, des autrices et des magistrats opposent que c'est "la définition actuelle" du viol, présupposant "un consentement implicite à tout acte sexuel", qui "véhicule des stéréotypes tenaces. Le texte [de loi] nous dit en effet que seuls les actes commis par 'violence, contrainte, menace, ou surprise' sont des viols."

"Or, dans la majorité des situations, l'agresseur est connu de la victime, écrivent les signataires. Pour agresser, il s'appuiera plus souvent sur la sidération de la victime, sur sa vulnérabilité, sur sa précarité, sur des rapports de domination ou sur une contrainte morale... Mais notre droit n’oblige pas les magistrats à tirer les conséquences juridiques de ces éléments qui attestent de l’impossibilité d’une volonté libre de la victime". Pour le collectif, il n'existe "aucune raison juridique, morale, historique à" ce que la France s'oppose à ce que le viol soit visé dans cette directive européenne : "Nous demandons que cette obstruction cesse."

Des personnalités ne cessent d'interpeller Emmanuel Macron à ce sujet. L'eurodéputé français Raphaël Glucksmann (gauche) s'indigne que "14 Etats membres, dont la France, la Pologne et l'Autriche, utilisent encore des définitions dépassées reposant sur la violence physique, la menace ou la coercition". Les appels viennent désormais du sein même de la majorité présidentielle : les 23 parlementaires français membres du groupe Renew Europe estiment, également dans une tribune publiée mardi par Le Monde, que "les argumentaires juridiques byzantins opposés par les Etats membres donnent un sentiment de déconnexion totale avec la souffrance vécue par les victimes". 

Ainsi, l'explication de Paris et Berlin, selon qui le viol ne fait pas partie des "eurocrimes", ne convainc pas. Le Parlement et la Commission considèrent, pour leur part, que le viol peut entrer dans le cadre de l'"exploitation sexuelle des femmes".

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