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Pourquoi des rassemblements dans toute la France demandent la #JusticepourJulie

Une décision de la Cour de cassation doit être rendue, ce mercredi, dans cette affaire dans laquelle une jeune femme accuse 22 pompiers de l'avoir violée à de multiples reprises entre 2008 et 2010, alors qu'elle était âgée de 13 à 15 ans. Pour soutenir Julie, les organisations féministes sont descendues dans la rue. 

Article rédigé par franceinfo
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Des militantes manifestent pour demander que la justice requalifie en "viols" les faits subis par Julie, dimanche 7 février 2021.  (ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS / AFP)

"La honte." "Julie, on te croit." "Pas de justice, que des complices." "Stop à la culture du viol." Puisqu'il s'agit d'interpeller la justice sur le cas de Julie, une jeune femme qui accuse 20 pompiers de l'avoir violé alors qu'elle était âgée de 13 à 15 ans, entre 2008 et 2010, les manifestantes se sont notamment rassemblées devant des tribunaux, samedi 6 et dimanche 7 février. Emmenées par plusieurs organisations féministes ainsi que par la mère de la victime, Corinne Leriche, elles demandent #JusticepourJulie. 

C'est dans l'enceinte du palais de justice de Paris, à la Cour de cassation, que va se jouer le destin de la jeune femme, aujourd'hui âgée de 25 ans, et des hommes qu'elles accusent inlassablement depuis dix ans. Mercredi 10 février, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français doit en effet rendre sa décision sur la requalification ou non des faits "d'atteintes sexuelles" en "viols aggravés".

A l'approche de cette décision, franceinfo revient sur le combat judiciaire de Julie et de sa famille. 

Vingt-deux pompiers accusés, dont trois poursuivis pour "viol en réunion"

La vie de Julie – un prénom d'emprunt – bascule en 2008. Victime d'un malaise vagal en classe, l'adolescente de 13 ans est transportée à l'hôpital par les pompiers. A l'issue de cette intervention, l'un d'eux, âgé d'une vingtaine d'années et affecté à la station de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine), récupère les coordonnées de la jeune fille sur sa fiche d'intervention, laquelle fait par ailleurs également mention de son âge, précise Konbini dans un article qui retrace son calvaire. Il renoue contact avec l'adolescente. Citée par The Guardian (article en anglais), Julie évoque de très nombreux "messages affectueux" et enfin, un échange via webcam, au cours duquel il lui demande de se déshabiller, puis un premier viol. Dès lors, le numéro de l'adolescente passe de main en main. Dans un extrait de l'audition d'un des pompiers publié par la mère de Julie sur Twitter, l'un d'eux raconte qu'un collègue lui "a dit qu'il connaissait une 'coche'", un terme qui signifie "cochonne" : "Chaque caserne a ses histoires de filles faciles. Ça fait partie du métier de pompier", explique-t-il.  

En parallèle, l'état de santé de l'adolescente se dégrade. Les pompiers sont fréquemment appelés à intervenir auprès d'elle : plus de 130 fois entre 2008 et 2010, nouant ainsi une relation de confiance avec la famille de Julie. "Très vite, elle se met à faire des crises d'angoisse et de tétanie, son corps se crispait", raconte la mère de Julie à Konbini. "Il fallait l'emmener à l'hôpital où elle était perfusée sous Xanax. Elle voulait mourir et a fait plusieurs tentatives de suicide." Pendant ces années, l'adolescente suit un lourd traitement médicamenteux, rappelle sa mère. "À l'époque, elle était au plus bas, elle voulait mourir tout le temps et j'ai accepté qu'elle soit réhospitalisée en pédopsychiatrie. À ce moment-là, ils ont décidé de faire une fenêtre thérapeutique, c'est-à-dire d'arrêter tous les médicaments qu'elle prenait. Une fois sevrée, en sortant de l'hôpital, elle m'a enfin parlé."

Alors âgée de 15 ans, l'adolescente confie avoir eu des rapports sexuels avec environ vingt pompiers et dépose plainte en 2010. Elle a également entretenu une relation suivie avec l'un d'eux pendant près d'un an. Avec ce dernier, Julie a dénoncé des rapports non consentis, notamment un après-midi à son domicile, avec deux de ses collègues. Ces trois hommes sont d'abord poursuivis pour "viol en réunion". Quatre pompiers, mis en cause pour "non-assistance à personne en péril" et soupçonnés d'avoir abandonné l'adolescente en pleine crise de spasmophilie, après que deux d'entre eux ont eu une relation sexuelle simultanée avec elle sur un parking, ont fait l'objet d'un non-lieu. Les autres n'ont pas été inquiétés, l'enquête considérant que l'adolescente consentait aux rapports sexuels, en dépit de son âge et de son traitement. 

Des faits de "viols" requalifiés en "atteintes sexuelles"

Les trois hommes, d'abord poursuivis pour "viol en réunion", ne seront pourtant pas renvoyés devant les assises. En juillet 2019, à l'issue de dix ans d'enquête, le juge a requalifié les faits en "atteinte sexuelle" et a ordonné le renvoi de ces trois hommes en correctionnelle. Au cœur de cette requalification se trouve la question du consentement. "Mon client maintient avoir eu une relation suivie avec [la jeune femme] et donc qu'elle était consentante", a ainsi estimé l'avocate du principal suspect, Daphné Pugliesi. 

Cette décision a provoqué l'indignation de la famille et de ses soutiens, qui a aussitôt fait appel. Mais le 12 novembre 2020, ses espoirs sont à nouveau douchés quand la cour d'appel de Versailles valide ce jugement. La décision de la Cour de cassation attendue mercredi marque l'ultime recours pour obtenir la qualification en "viols", ce qui relèverait du crime et non plus du délit. Une différence de taille, puisqu'exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de 15 ans est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende, tandis que le viol sur mineur de 15 ans par une "personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait" est puni de vingt ans de réclusion criminelle. 

Cette décision "ne fait pas honneur à la justice française dans sa conception de ce qu'est un viol et démontre une fois encore que nous avons un retard énorme dans l'écoute des victimes en la matière et de ce qu'est un consentement à un acte sexuel", a réagi à l'époque l'avocat de la famille, Jean Tamalet. Corinne Leriche pointe quant à elle des dysfonctionnements dès le début de l'enquête et dénonce, dans Konbini, des interrogations "honteuses et inqualifiables" lors de l'enquête de la brigade des mineurs de Créteil"Pourquoi tu n'as pas essayé de le mordre pendant la fellation ?" demande-t-on à sa fille. "Une femme violée, elle crie", lui dit-on quand elle explique avoir "repoussé" son agresseur sans hurler. "Au départ, j'avais confiance en la justice. Je pensais que les pompiers seraient auditionnés dès le lendemain. Bah non, au bout de six mois, aucun n'avait été auditionné par la police", se souvient encore la mère de Julie. 

Un combat pour réformer la justice 

"On va continuer à se battre pour Julie, contre ce déni terrible de justice", a déclaré  Corinne Leriche à l'issue de l'audience de novembre. "Julie a besoin qu'on lui rende sa dignité, de reprendre sa vie, que ça s'arrête." Handicapée à 80% après s'être défenestrée du troisième étage, la jeune femme ne travaille pas et souffre de stress post-traumatique, rapporte sa mère. En juillet, elle a tenté à nouveau de mettre fin à ses jours. "A l'approche du jugement de la Cour de cassation, elle ne dort plus", a confié Corinne Leriche à Konbini. "Le tout sans parler de ses problèmes de concentration et d'estime d'elle-même énormes. (...) Heureusement, la mobilisation des femmes lui fait beaucoup de bien."

Dimanche, les manifestants ont demandé l'instauration d'un âge minimum légal en dessous duquel un rapport sexuel serait présumé non consenti. "On voudrait qu'à un âge donné, il soit impossible de se questionner sur le consentement", a expliqué à l'AFP Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes.

Osez le Féminisme!, NousToutes, Les effrontéesles Femen, la députée de La France insoumise Clémentine Autain, l'écologiste Sandrine Rousseau ou encore l'ancienne ministre socialiste de la famille Laurence Rossignol ont, entre autres, témoigné de leur soutien à Julie et à sa famille, partageant ces mêmes revendications. 

Une pétition en ligne lancée par Corinne Leriche pour demander la requalification des faits en "viols" avait rassemblé, dimanche, plus de 245 000 signatures. Soit autant de regards tournés vers la décision de la Cour de cassation. 

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