On vous explique ce qu'est "La Ligue du LOL", ce groupe de journalistes accusés de cyberharcèlement
"Libération" a publié un article sur ce groupe Facebook privé, regroupant une trentaine de journalistes parisiens, aujourd'hui pointés du doigt pour avoir pris pour cible de nombreuses personnes sur les réseaux sociaux.
Ils ne font plus rire personne. Ils étaient tous influents sur les réseaux sociaux et certains auraient profité de cette notoriété pour harceler des femmes. Checknews, le projet de vérification des faits de Libération, a publié un article, vendredi 8 février, ayant pour sujet "La Ligue du LOL", un groupe de journalistes accusés d'avoir moqué et insulté de nombreuses personnes sur les réseaux sociaux entre la fin des années 2000 et le début des années 2010. Cet article a été écrit après que plusieurs femmes ont raconté sur les réseaux sociaux avoir été victimes de "raids" de ces journalistes sur Twitter. De nombreuses autres personnes ont depuis témoigné.
Qu'est-ce que cette "Ligue du LOL" ?
La "Ligue du LOL" est le nom d'un groupe Facebook privé, créé par le journaliste Vincent Glad – qui écrit notamment pour Libération – à la fin des années 2000, explique le journal. Il a regroupé une trentaine de personnes, essentiellement des hommes, journalistes, blogueurs, ou issus du monde de la publicité ou de la communication. Tous étaient à l'époque identifiés comme des "influenceurs" sur Twitter – des "caïds", estime aujourd'hui Vincent Glad –, à un moment où le réseau social n'avait pas la popularité qu'il connaît à présent.
"Au début des années 2010, j'ai été invité dans un groupe privé comme il y en avait beaucoup à l'époque, dans lequel plein de twittos tenaient un véritable observatoire des trucs drôles de Twitter", raconte sur sa page Facebook Henry Michel, l'un de ses membres. D'après le podcaster, qui a aussi répondu aux questions de Libération, les membres de "La Ligue du LOL" faisaient "surtout des blagues, qu’on ne pouvait pas faire en public. C’était brillant, c’était bête, il y avait ce côté observatoire des personnages de Twitter, on s’échangeait des liens, des photos, on se moquait des gens."
Pourquoi cette histoire est-elle ressortie ?
Le Monde évoque un premier tweet évasif de Thomas Messias, journaliste à Slate. Mardi, sans mentionner spécifiquement "La Ligue du LOL", il évoque le cas d'un "journaliste modèle qui joue les exemples après s’être bien amusé au sein de meutes de harceleurs de féministes". En réponse, A. H., journaliste à Libération, voit dans ce message l'illustration de "l'aigreur paradoxale de certains militants zélés : ils veulent changer la société, mais ne digèrent pas qu'une personne en particulier puisse vraiment changer".
Dans la foulée, Iris KV, une journaliste spécialisée dans le suivi des séries télévisées, réplique à A. H. : "Changer c'est bien. S'excuser auprès des personnes que vous avez harcelées, ce serait mieux." Elle s'adresse ensuite à "tous les membres de 'La Ligue du LOL' de l'époque, qui s'en prenaient aux féministes, aux neuroatypiques, etc." "Vous avez peut-être oublié, mais les personnes à qui vous avez fait du mal ont une meilleure mémoire", écrit-elle.
De quoi sont accusés ses membres ?
Plusieurs femmes ont ensuite – comme Iris KV – témoigné sur les réseaux sociaux, affirmant avoir été harcelées par les membres de ce groupe Facebook. De nombreux autres messages suivent, comme celui de l'auteure Daria Marx, militante contre la grossophobie. "Pendant plusieurs années sur Twitter, moi et d’autres copines féministes, on a été la cible de ces petits mecs parisiens qui se foutaient de notre gueule, continue Daria Marx auprès de Libération. J’étais grosse, donc je n’avais pas le droit à la parole."
Un jour, l’un des membres de cette ligue a pris une image porno d’une nana grosse et blonde qui pouvait vaguement me ressembler et a commencé à faire tourner l’image sur Twitter en disant qu’il avait trouvé ma sextape.
Daria Marxà "Libération"
De nombreuses femmes décrivent les mêmes méthodes de cyberharcèlement. "Ils étaient absolument infâmes sur Twitter, raconte Nora Bouazzouni, ancienne journaliste de franceinfo.fr, qui collabore encore ponctuellement au site. C’était de l’acharnement, je me suis aussi faite harceler, avec des insultes, des photomontages, des gifs animés avec des trucs pornos avec ma tête dessus, des mails d’insulte anonyme", confie-t-elle à Libération.
Après la publication de l'article, d'autres femmes ont témoigné sur Twitter. "'La Ligue du LOL' m’a repérée et a commencé son travail de sape petit à petit : montages photos, vidéos visant à se moquer de moi (...), critiques récurrentes sur mon apparence..., raconte la journaliste Capucine Piot. Tout ça de façon régulière, gratuite, et entraînant tout un tas de twittos dans leur sillage malsain et dévastateur." D'après son témoignage, les faits dépassaient le cadre du harcèlement sur internet.
L’un des personnages qui, je l’ai su après, était dans leur entourage & les côtoyait avec qui j’avais eu une relation m’a même fait croire qu’il avait le SiDA pour me faire peur, et me laisser penser que je pourrais l’avoir. Des dingues.
— capucine piot (@capucinepiot2) 8 février 2019
Mélanie Wanga, cofondatrice du podcast Le Tchip sur Arte radio, reproche à certains membres de la "Ligue du LOL" de s'en être pris, outre à des féministes, à des "personnes LGBTQ" (lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queers) et "racisées".
Dans un long article publié sur Medium, Benjamin LeReilly évoque spécifiquement la question de "l'homophobie" et affirme avoir été, "pendant plusieurs années", "harcelé par 'La Ligue du LOL'". Parmi les différents épisodes listés, il raconte notamment qu'un photomontage de lui pratiquant une fellation a été "envoyé en masse à des mineurs, jusqu'à 12-14 ans". Il recevait en retour des notifications de ces derniers, "choqués d’être exposés à de la pornographie et me disant d’aller crever (pour rester poli)".
Imaginez être une jeune journaliste noire, parler de blackface, d'apartheid et se prendre ce genre de trucs x20 par des "confrères" pendant plusieurs jours. pic.twitter.com/LJmaT9FHpu
— Melanie Wanga (@babymelaw) 8 février 2019
Que répondent les mis en cause ?
De nombreux membres de ce groupe sont restés silencieux après la publication de l'article de Libération. Le journaliste de Libération A. H. est l'un des premiers à avoir répondu publiquement. "Mes conneries, je les assume. Celles des autres, non merci", a-t-il expliqué, avant de finalement s'excuser sur Twitter. Dans un nouveau message publié dimanche, il évoque les "horreurs" publiées par ses soins, mais prend ses distances avec les "faits graves évoqués par certains" (usurpation d'identité, canulars, menaces...) et déplore "les actions de certains (...) membres plus borderline" du groupe.
D'autres membres ont par la suite publié des messages similaires. Henry Michel, sur Facebook, a demandé "pardon à toutes celles et tous ceux que j'ai pu blesser directement ou indirectement en ayant contribué à la culture de ce groupe". Mais selon lui, au sein de "La Ligue du LOL", "il y avait de tout" : "des gens incapables d'être antiféministes", "des connards", "des gens drôles et des gens pas drôles ou qui essayaient de l'être".
Le podcasteur Sylvain Paley dit avoir "découvert des choses abominables" dont il n'avait "aucune idée" et évoque la présence de "membres toxiques" au sein du groupe. Olivier Tesquet, journaliste à Télérama, assure n'avoir "jamais harcelé quiconque" et se décrit comme un "témoin passif" de ces agissements, à une époque où "le clash était le régime en vigueur pour les échanges en ligne". "Il était de bon ton sur Twitter de faire de l’humour noir, a expliqué le podcasteur Guilhem Malissen. J’adorais le stand-up et frustré de ne pas le pratiquer, je tuais mon envie de blagues sur les réseaux. Sans réaliser que ce que j’écrivais pouvait être sexiste, grossophobe, homophobe et constituer du harcèlement."
D. D., actuel rédacteur en chef web des Inrocks, a reconnu avoir "réalisé deux canulars téléphoniques", dont l'un a visé la youtubeuse Florence Porcel. "Je mesure aujourd'hui la déguelasserie de ces actes", écrit-il, tout en niant avoir jamais "réalisé de photomontages" ou "pratiqué de raids".
À propos de la #ligueduLOL pic.twitter.com/Qzk2aKIGcG
— David Doucet (@Mancioday) 10 février 2019
Quant au créateur de "La Ligue du LOL", Vincent Glad, il a de son côté nié avoir été à l’origine de ces actes de harcèlement, ou même en avoir eu connaissance. "Nous étions influents, et c’est vrai que si on critiquait quelqu’un, ça pouvait prendre beaucoup d’ampleur, affirme-t-il. Il y a une part de vrai là-dedans, une part de gens qui ont pu se sentir légitimement harcelés. Mais il y a aussi une grosse part de fantasme."
On nous a un peu attribué tous les malheurs d’Internet. (...) A l’époque, j’en prenais plein la gueule aussi. On se disait que c’était un grand jeu. C’était une grande cour de récré, un grand bac à sable. C’était du trolling, on trouvait ça cool. Aujourd’hui, on considérerait ça comme du harcèlement.
Vincent Gladà Libération
Le créateur de "La Ligue du LOL" s'est excusé dimanche dans un long message publié sur Twitter.
Je vous dois des explications. Et surtout des excuses. pic.twitter.com/UajOC0bi0h
— Vincent Glad (@vincentglad) 10 février 2019
Que risquent-ils ?
"Etre harcelée en 2012 ou en 2018, c'est PAREIL", a rétorqué la journaliste Nadia Daam sur Twitter. Juridiquement, le harcèlement moral est défini à l'article 222-33-2-2 du Code pénal. Ce texte prévoit que le harcèlement en ligne est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, peine portée à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende si la victime est mineure ou vulnérable, ou si les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.
Reste que les faits allégués aux membres de "La Ligue du LOL", pour la plupart commis avant 2013, sont prescrits puisque le délai en matière de cyberharcèlement est actuellement de six ans. Interpellée sur ce point, la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa a indiqué sur Twitter qu'elle comptait évoquer le sujet avec son homologue de la Justice, Nicole Belloubet, sur un possible un allongement de ce délai.
Si la justice ne peut intervenir, l'affaire a revanche eu des conséquences professionnelles directes pour plusieurs des personnes mis en cause. La direction de Libération a mis à pied A. H. et Vincent Glad. Ce dernier a également vu sa collaboration avec Brain Magazine suspendue. Christophe Carron, rédacteur en chef de Slate, après avoir à son tour présenté des excuses sur Twitter, a été écarté du traitement de ce sujet par la rédaction du site. Le studio de podcast Nouvelles Ecoutes a de son côté mis fin à sa collaboration avec Guilhem Malissen.
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