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Elles soutiennent Jacqueline Sauvage : "Elle a eu le courage de le tuer, moi je ne l'ai pas eu"

Jacqueline Sauvage a été condamnée à dix ans de prison pour avoir tué son mari qui la battait et la violait pendant 47 ans. Une manifestation de soutien a lieu à Paris, samedi 12 décembre.

Article rédigé par Carole Bélingard - propos recueillis par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Jacqueline Sauvage devant la cour d'assises de Blois (Loir-et-Cher), le 1er décembre 2015. (MAXPPP)

"Elle a eu le courage de le tuer, moi je ne l'ai pas eu", s'exclame Carole, 39 ans, victime de violences conjugales. Elle se bat pour la libération de Jacqueline Sauvage, condamnée en appel par la cour d'assises de Blois (Loir-et-Cher), jeudi 3 décembre, à dix ans de réclusion pour avoir tué son époux de trois balles dans le dos. Jacqueline Sauvage a été violée, battue par son mari pendant 47 ans. Un homme violent et un père incestueux : les trois filles du couple l'accusent de viols et d'attouchements.

Cette condamnation a soulevé une vague d'émotion. Une pétition a été lancée, par Carole et une militante d'Osez le féminisme, pour réclamer une grâce présidentielle. Elle a récolté, vendredi 11 décembre, plus de 75 000 signatures. Samedi 12 décembre, une manifestation est prévue à 13 heures à Paris, place du Châtelet. Francetv info a interrogé des femmes, elles-mêmes victimes de violences conjugales.

Une condamnation qui sonne comme une injustice

Une fille en pleurs accrochant les mains de sa mère à travers le box des accusés. L'image est forte. Fabienne, une des filles de Jacqueline Sauvage, est effondrée par le verdict des jurés. Un verdict que beaucoup d'anciennes victimes ne comprennent pas. "Elle a déjà vécu 47 ans emprisonnée au sein de son couple. Je crois qu'elle a déjà payé assez cher", affirme Gabrielle, âgée de 55 ans.

"Je suis choquée. Cela me met en colère", assure Sylvie, 38 ans, qui a vécu sept ans sous les coups de son compagnon. "Cette femme a besoin qu'on la soutienne, qu'on l'aide à reconstruire sa vie. Ce serait ça, la justice. Je ne comprends même pas que l'on ne se mette pas cinq minutes dans la peau d'une femme qui subit de telles violences", s'indigne-t-elle.

"Je crie pour sa libération car cela aurait pu être moi"

"Moi-même victime de violences conjugales pendant six années, j'ai souhaité la mort de mon ex-compagnon du plus profond de mon cœur. Pour moi, ce n'est pas un crime, c'était la seule solution de Jacqueline Sauvage pour vivre", déclare Carole. L'épreuve traversée par Jacqueline Sauvage fait écho à ce qu'elle a vécu. "Je n'ai pas honte de dire que j'ai déjà pris un couteau pour le planter, qu'il arrête de me tuer avec ses mains, avec ses mots. Mais à chaque fois, le couteau est devenu l'arme qui se retournait contre moi", confie Carole. Pour elle, soutenir Jacqueline Sauvage est une évidence : "Je crie haut et fort pour sa libération car cela aurait pu être moi ou une autre."

D'après Gaëlle, âgée de 43 ans, la libération de Jacqueline Sauvage est "un combat très important pour les femmes battues". "Si on la laisse en prison cela voudra dire que, nous en tant que femmes, si nous osons nous rebeller à la maison avec le risque que ça tourne mal, et bien la justice n'aura aucune compassion", détaille-t-elle. 

De la difficulté d'en parler

Lors du procès de Jacqueline Sauvage, son silence pendant toutes ses années lui a été reproché. "Mais qui ose aller dire 'mon mari me bat, viole mes filles' qui va la croire ?", déplore Gabrielle, 55 ans, qui s'est séparée de son mari après dix ans de violences psychologiques. Sylvie raconte l'isolement des victimes : "On est seul. Moi je n'avais plus le droit de sortir. On est sous une telle emprise qu'il m'a coupé de mes amis, de ma famille, je ne travaillais plus. Un jour, il m'a dit 'rien ne m'empêche de te découper là, ici, et de t'enterrer dans la forêt, qui va venir te chercher ? T'as personne'."

Les proches n'ont souvent pas conscience de ce qui se passe dans l'intimité du couple, comme dans le cas de Carole. "Ma famille n'est au courant que depuis quelques semaines alors que j'ai quitté cet homme il y a plus d'un an. La honte est la première raison de ce silence", explique-t-elle.

Au sentiment de honte s'ajoute une peur immense. "Il y a un tel climat de terreur que vous ne pouvez même plus penser ou avoir l'idée de réagir. Votre compagnon de vie est un compagnon de l'enfer. Mais on est si fatiguée, épuisée", raconte Gaëlle. "Lorsqu'il m'a cassé deux côtes, j'ai dit avoir glissé dans l'escalier. Pourquoi ai-je dis cela ? Je ne sais pas. On n'agit pas par conscience, on agit par peur des représailles. Même lorsqu'on l'a quitté, on vit dans la peur", confie Carole, qui a aujourd'hui créé une page Facebook pour aider d'autres femmes.

La justice à la peine face aux femmes battues

Jacqueline Sauvage n'a jamais porté plainte. Carole témoigne de la difficulté d'une telle démarche : "Lorsque nous sommes victimes de violences, notre cerveau disjoncte comme un compteur électrique afin d'éviter la surchauffe. C'est un mécanisme physiologique de survie. Parler est difficile, dater les événements est impossible, la multiplication des agressions rend impossible une datation, on préfère se taire car on n'est pas capable de relater en détails ce qui s'est passé."

Gabrielle fait part de son désarroi lorsqu'elle s'est rendue au commissariat. "Moi, quand j'allais déposer plainte, ça embêtait l'agent de police en face de moi et j'étais en pleurs car on me culpabilisait. On nous dit souvent 'partez pourquoi rester ?' OK mais où aller sans rien ?" Pour Carole, les plaintes n'ont pas abouti : "Malgré des ITT [interruption totale de travail] supérieures à 45 jours, malgré des viols, des menaces de morts, les plaintes que j'ai déposées sont sans suite pour le moment", rapporte-t-elle.

De son côté, Sylvie explique qu'elle a dû relancer la "machine judiciaire", car ses trois plaintes "dormaient au commissariat". Son ex-compagnon continue aujourd'hui de la menacer. Une audience pour une plainte pour harcèlement est prévue en janvier devant un tribunal civil. Sylvie est désormais déterminée à parler : "Je n'ai plus rien à perdre, je vais dire que ce que j'ai à dire parce que je n'ai rien fait pour mériter ça."

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