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La suppression de l'ENA est "inopportune" alors qu'une "transformation considérable" est déjà en cours, estime le président de l’association des anciens élèves

Daniel Keller dénonce un "faux procès" fait à l'École nationale d'administration dont il est le président des anciens élèves. "On ne peut pas faire porter aux grandes écoles les échecs du système scolaire français depuis des décennies".

Article rédigé par franceinfo
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Daniel Keller, président de l’association des anciens élèves de l'ENA, le 2 septembre 2013. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

La suppression de l'ENA qui doit être annoncée jeudi 8 avril est une "mesure inopportune" alors qu'une "transformation considérable" de l'École est déjà en cours, a réagi sur franceinfo Daniel Keller, président de l’association des anciens élèves de l’École nationale d'administration. D’après lui, "la critique de l'entre-soi" à l'ENA est un faux procès, car "on ne peut pas faire porter aux grandes écoles les échecs du système scolaire français depuis des décennies". Il souligne le fait que l'ENA est déjà en train de se réformer, et estime que des "décisions intempestives" pourraient "perturber une transformation à l'œuvre".

La réputation élitiste de l'ENA, est-ce un faux procès qui est fait à cette école ?

Daniel Keller : L'élitisme des grandes écoles, c'est un élément essentiel de la méritocratie républicaine, donc on ne peut pas comme ça jeter aux orties cet élitisme. En ce qui concerne l'ENA, depuis les annonces du président de la République, toutes les transformations sont en cours pour démocratiser son accès, pour diversifier son recrutement. Ce n'est pas en rayant d'un trait de plume le nom de l'École d'administration que l'on agira plus efficacement et plus intelligemment. La critique de l'entre-soi est un faux procès. L'ENA n'est pas responsable de la manière dont la carrière du haut fonctionnaire se déroule. Si aujourd'hui il y a une interrogation sur la gestion des carrières, il faut que le problème soit pris à bras-le-corps par ceux qui nous gouvernent. Mais ce n'est pas en supprimant l'ENA qu'on améliorera la gestion des carrières.

A priori l'ENA doit être remplacée par une autre école sous un autre nom, il ne devrait donc pas y avoir de manque en termes de formation ?

Si cette mesure est confirmée, je trouve qu'elle est totalement inopportune parce que si on recrée une école de service public pour lui donner un autre nom, ça ne me paraît pas quelque chose de raisonnable.

"Verrait-on le Royaume-Uni rayer d'un trait de plume Oxford ? Verrait-on les États-Unis supprimer Harvard ?"

Daniel Keller, président de l’association des anciens élèves de l’École nationale de l'administration

à franceinfo

Je crois qu'on a besoin de noms, de marques qui sont porteurs d'une image de la France. N'oublions pas que l'ENA est à l'étranger un véritable objet de fierté.

Est-ce qu'aujourd'hui chez les élèves de l'ENA il y a un manque d'ancrage dans la réalité de la vie des Français ?

Depuis 2017, Patrick Gérard, directeur de l'ENA, a fait une transformation considérable de l'École qui est d'ailleurs toujours en cours. Il faut éviter que le politique, par des décisions qui me semblent intempestives, vienne perturber une transformation à l'œuvre organisée par l'École, par sa direction. Tout ceci vient semer un trouble inutile dans le moment que nous vivons.

Aujourd'hui y a-t-il des jeunes issus de quartiers défavorisés dans les promos de l'ENA ?

L'ENA est une école qui, dans la pratique, dans la réalité, recrute à bac +5. Donc, les jeunes des quartiers défavorisés qui continuent leurs études cinq ans après le bac sont très peu nombreux à l'ENA, à Normale Sup, à Polytechnique ou ailleurs. Donc, on ne peut pas faire porter aux grandes écoles les travers et les échecs du système scolaire français depuis des décennies, qui a conduit effectivement à une sélection à outrance qui fait que les jeunes des quartiers prioritaires ou des quartiers plus appauvris ne se retrouvent plus dans ces grandes écoles. Maintenant, l'ENA avec les classes préparatoires intégrées, avec justement une main tendue en direction des quartiers difficiles, j'observe d'ailleurs que l'ENA va créer une troisième classe préparatoire intégrée dans la région nantaise.

"En créant des classes préparatoires destinées aux jeunes des quartiers défavorisés, l'ENA a pris sa part et a pris sa charge du fardeau."

Daniel Keller

à franceinfo

Vous pensez que le projet de suppression de l'ENA ne se concrétisera pas ?

Pour reprendre un titre célèbre, je pense qu'on ne gouverne pas par décret et que ce n'est pas avec des annonces de cette nature que l'on mobilise, que l'on rassemble toutes les énergies au service de la formation des hauts fonctionnaires. Car, je le rappelle, la France a cette caractéristique d'avoir un corps de hauts fonctionnaires parmi les plus brillants du monde entier, quels que soient les critiques et les défauts qu'on peut observer.

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