Cet article date de plus d'un an.

Reportage "Innover et continuer d'innover" : en Seine-Saint-Denis, une institutrice mise sur les contes et les jeux pour faire progresser ses élèves

A l'école Marius-Morin de Gagny, Anaïs Galais a développé un projet autour des lettres pour capter l'attention de ses élèves de CM2. Au programme : ateliers de poésie, balades contées dans la nature ou "escape game" dans la cour de récré.
Article rédigé par Rachel Rodrigues
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Les élèves de CM2 de l'école Marius-Morin de Gagny (Seine-Saint-Denis) planchent sur un "escape game" réalisé par leur institutrice, mardi 21 mars 2023. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

"Est-ce qu'on pourra essayer votre instrument ?" Attroupés autour d'un bosquet d'aubépines, en plein cœur du sous-bois clairsemé du parc du Sausset, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), ce lundi 20 mars, Maya et ses camarades écoutent attentivement Laurent Azuelos. Au détour d'une balade dans la nature, le botaniste enchaîne les contes et les fables, kalimba – instrument à percussion originaire d'Afrique subsaharienne – à la main, sous le regard ébahi des enfants qui l'accompagnent en rythme en tapant dans leurs mains. 

>> REPORTAGE. "On est tous égaux face aux maths" : on est allé voir à Marseille à quoi ressemblait une "école du futur"

La sortie du jour s'inscrit dans le cadre d'un projet annuel de littérature que l'enseignante, Anaïs Galais, a décidé de mettre en place pour sa classe de l'école Marius-Morin de Gagny (Seine-Saint-Denis). Dans un contexte où la perte de concentration et la baisse de niveau des élèves sont régulièrement pointées du doigt, la jeune institutrice de 29 ans a choisi de multiplier les supports pour attiser leur curiosité et capter leur attention. "J'essaie toujours de chercher à innover, et continuer d'innover le plus possible", affirme-t-elle. Après avoir commencé en début d'année par le roman et la BD, l'enseignante raconte avoir organisé des ateliers de poésie, courant février. Désormais, place aux contes.

Les élèves "sont très impliqués" 

Quelques arbres plus loin, à l'occasion d'une nouvelle histoire, Luca, un des élèves de la classe, joue le rôle du héros. Avec l'aide du conteur, qui lui souffle discrètement les paroles dans l'oreille, il récite fidèlement son texte. "On disait autrefois : qui veut découvrir un trésor caché, cherchera avec la branche fourchue du noisetier", récite-t-il devant ses camarades. Pendant son périple dans la forêt, l'homme des bois qu'il interprète est amené à rencontrer un bestiaire varié : lézard, moustique, serpent, chouette… Tous les protagonistes sont interprétés par les élèves.

Au cours d'une balade contée organisée lundi 20 mars 2023 au parc du Sausset, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), l'intervenant botaniste Laurent Azuelos fait participer les élèves aux histoires. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

Au départ, Laurent Azuelos n’avait pas forcément prévu que les élèves interprètent les personnages des différentes histoires, mais il a été surpris par leur curiosité et leur participation. "Ils sont très impliqués, c'est venu assez naturellement", s'enthousiasme le botaniste-conteur face au dynamisme des enfants. Les deux mamans accompagnatrices partagent le même constat. "Les faire sortir de leur routine de classe, ça leur fait du bien et ça se voit", se réjouit Sophie, la mère de Louna. "Ici, ils ne font pas qu'écouter, ils peuvent aussi participer, c'est génial", abonde Murielle, la maman de Luca. 

L'éveil de la curiosité…

De son côté, Maya s'émerveille : "J'adore les contes. Les débuts sont bizarres, mais les fins sont toujours magnifiques", glisse-t-elle, en rang derrière le reste de ses camarades, rangés deux par deux pour suivre l'intervenant. La jeune fille de 11 ans explique être "contente" d'être dans la nature. "Ça me rappelle le potager de ma grand-mère, j'ai envie d'en apprendre plus", ajoute-t-elle. Comme Maya, les autres élèves du groupe n'hésitent pas à participer et lever la main à chaque question posée par l'intervenant au sujet des arbres rencontrés sur le chemin. 

Maya et sa copine Kahina suivent la balade contée organisée par Laurent Azuelos, lundi 20 mars 2023 au parc du Sausset, à Aulnay-sous-Bois. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

Avec de telles sorties, Anaïs Galais souhaite donner l'opportunité aux élèves "de voir ce qu'ils n'auraient pas eu la chance de découvrir" hors du contexte scolaire. "C'est le rôle de l'école", affirme l'enseignante d'un ton convaincu, avant d'ajouter : "certains d'entre eux viennent de quartiers populaires, ils n'ont pas forcément l'occasion de voir tout ça.

… à travers la littérature

La jeune institutrice a entrepris cette année de développer tout un projet autour des genres littéraires. L'objectif : proposer des exercices ludiques, tout en respectant le programme scolaire. "L'idée est de consacrer un genre par période et de les aborder de manière transversale", explique l'enseignante. Derrière cette initiative, la volonté de "rehausser certaines compétences en proposant des choses nouvelles", face au constat d'un niveau en baisse ces dernières années.

"J'essaie d'innover pour rendre le cours plus vivant, plus accrocheur, et pour éviter que les élèves ne soient tous les jours plongés dans leur cahier."

Anaïs Galais, institutrice à l'école Marius-Morin de Gagny (Seine-Saint-Denis)

à franceinfo

Depuis le début de l'année, les élèves ont ainsi pu exploiter le roman en travaillant l'exercice du résumé, ou encore "plancher sur leur propre bande dessinée", détaille Anaïs Galais. Au mois de février, ils se sont également essayés à la poésie, en créant leurs propres vers grâce à l'intervention de la poétesse contemporaine Rim Battal. "Louna était tellement ravie qu'elle a continué le travail à la maison, en écrivant tout un carnet de poèmes", se souvient sa maman, Sophie. 

Un "escape game" autour des fables pour apprendre à travailler ensemble

Le lendemain de leur sortie en forêt, les élèves ont repris le chemin de la salle de classe. Mais ils n'étaient pas au bout de leurs surprises. Toujours dans la lignée des contes, leur maîtresse leur avait cette fois concocté un escape game (un jeu d'aventure grandeur nature). "Une catastrophe culturelle s'est produite dans la nuit, à la médiathèque de la ville... (...) Des héros de contes célèbres ont décidé de quitter les pages des livres pour s'enfuir de ce monde...", apprennent-ils dans une lettre signée par un mystérieux anonyme, et dont le contenu est projeté au tableau par Anaïs Galais. Leur mission, s'ils l'acceptent : sauver les personnages de leurs fables préférées.

Dans la cour de récréation de l'école Marius-Morin de Gagny (Seine-Saint-Denis), les élèves répartis en groupes tentent de résoudre les défis créés par leur institutrice, mardi 21 mars 2023. (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

Répartis en quatre groupes, les élèves partent à la recherche d'enveloppes, cachées un peu partout dans la cour de récré. Celles-ci contiennent des énigmes, qui, une fois résolues, leur permettront de reconstituer le puzzle final. Identifier les adjectifs à la page 21 du Petit Chaperon rouge, conjuguer des verbes à l'imparfait le temps du récit –, ou encore trouver la morale d'un texte donné… Les tâches sont multiples et entraînent vite l'agitation des élèves. Car à chaque défi résolu, les groupes doivent rejoindre le centre de la cour pour vérifier leur réponse auprès de l'institutrice. 

Anaïs Galais vérifie les réponses des différents groupes aux défis organisés dans le cadre de l'"escape game", mardi 21 mars 2023 à Gagny (Seine-Saint-Denis). (RACHEL RODRIGUES / FRANCEINFO)

"Maîtresse, est-ce qu'on est les premiers à avoir trouvé ?", interroge Kahina, après que son équipe a récolté une première bonne réponse. Avec l'excitation du jeu, un climat de concurrence s'installe rapidement entre les différents groupes. "Les élèves n'ont pas forcément compris que l'escape game était coopératif, et que les groupes n'étaient pas en compétition", sourit Anaïs Galais. Une fois l'activité terminée, l'enseignante fait le bilan avec ses élèves et en profite pour rappeler l'objectif de l'exercice. "Nous avons évoqué les petites tensions qu'il avait pu y avoir et proposé des solutions pour que la coopération se passe mieux la prochaine fois", détaille-t-elle. 

Un investissement qui demande un "travail supplémentaire"

En fin de compte, l'escape game, qu'Anaïs Galais raconte avoir élaboré sur le temps d'un week-end, a permis à l'enseignante "de mélanger un maximum de disciplines", en mêlant le français et la grammaire, mais aussi les mathématiques, ou l'éducation morale et civique à travers la coopération et des messages d'entraide mis en avant lors de l'exercice. "L'EPS aussi, ajoute l'institutrice. Ils se sont bien dépensés en recherchant les enveloppes"

Les parents d'élèves se réjouissent de ce genre d'initiatives. "Madame Galais a toujours des bonnes idées", affirme Sophie. Pourtant, l'institutrice le rappelle : l'organisation de projets comme ceux-ci demande toujours "un travail supplémentaire" de la part de l'enseignant. Pour la sortie de la veille au parc du Sausset, il a fallu demander qu'un car soit mis à disposition par la mairie. "Quelques semaines avant la date, je n'avais toujours pas de certitude, raconte l'enseignante. Le directeur m'a même dit qu'il faudrait plutôt prévoir une sortie à deux classes, ce qui est très difficile à mettre en place."

"Je comprends que les difficultés administratives et d'organisation démotivent parfois certains collègues."

Anaïs Galais, institutrice à l'école Marius-Morin de Gagny (Seine-Saint-Denis)

à franceinfo

L'institutrice fait preuve de modestie. "Tout cela peut bien évidemment être amélioré", admet-elle. Quel impact son projet aura-t-il sur les notes de ses élèves ? Il est encore trop tôt pour le dire. En attendant, les enfants expriment déjà leur reconnaissance. Pendant le rangement du matériel, à la fin de l'activité, une feuille a circulé dans la classe, à l'insu d'Anaïs Galais. L'enseignante a pu y lire les commentaires de tous les élèves de la classe. Deux mots revenaient souvent : "Merci maîtresse !"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.