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Elle s'appelle Timothée, il s'appelle Céleste... Comment vivent-ils avec un prénom associé au sexe opposé ?

Le parquet de Lorient s'oppose à des parents qui ont voulu appeler leur fils Ambre et leur fille Liam, dénonçant un risque de "confusion de genre". Franceinfo a interrogé des hommes et des femmes qui portent des prénoms apparemment à contre-emploi : ils nous racontent ce que cette identité a changé pour eux.

Article rédigé par franceinfo - Céline Delbecque
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9 min
Des étiquettes de prénoms lors de la rentrée scolaire, le 3 septembre 2013, à Duisans (Hauts-de-France) (PASCAL BONNIERE / MAXPPP)

C'est une fille ! Il y a huit ans, lorsque Antoine et sa femme accueillent leur premier enfant, ils ont bien du mal à se mettre d'accord sur un prénom. "Nous voulions trouver quelque chose d'original", raconte le père de famille de 39 ans à franceinfo. Le couple hésite et opte finalement pour... Maxence. "Ça nous a plu tout de suite, explique Antoine. Ça faisait écho à la légende d'une princesse irlandaise, ça se démarquait." Le prénom a pourtant une connotation masculine : cette année-là, en 2010, 2 478 garçons ont été prénommés ainsi, contre seulement 21 filles, selon les statistiques de l'Insee.

Et le couple va vite s'en rendre compte. "Vous ne lui donnez pas toutes les chances pour bien partir dans la vie !" leur assène une pédiatre à la maternité, dès le lendemain de la naissance. "Là, c'est un peu la douche froide", témoigne Antoine, qui assure "n'avoir jamais regretté ce choix", mais admet que sa fille "se pose quelques questions". "Elle nous dit qu'elle n'aime pas trop son prénom, nous avoue qu'elle aurait préféré nos autres choix éventuels, comme Pia ou Iris..." Pour la rassurer, Antoine est même allé jusqu'à lui montrer l'existence d'autres filles prénommées Maxence, sur le réseau social Linkedin. "Je reste persuadé que ça lui donnera une grande force de caractère", conclut-il.

Malgré ce choix à contre-courant, le père de Maxence explique n'avoir jamais connu de problèmes administratifs, et avoir reçu, dans l'ensemble, des retours bienveillants sur ce prénom. Ce n'est pas le cas de tous les parents. Début novembre, la procureure de Lorient (Morbihan) a fait appel de deux décisions de justice, ayant autorisé des couples à appeler leur fils Ambre et leur fille Liam. Selon l'Insee, depuis 1900, 42 192 filles se sont par exemple prénommées Ambre pour... seulement 37 garçons. Pour Liam, le ratio est inverse : 27 452 garçons pour... 79 filles. Des choix de prénoms qui auraient pu prêter à une "confusion de genre", selon la procureure. Vraiment ? Après avoir publié un appel à témoignages, franceinfo a posé la question à Timothée, Stéphane, Maxime, Camille et Céleste. Des hommes et des femmes qui portent un prénom généralement associé au sexe opposé.

Un choix "évident" pour certains parents

Timothée "n'a jamais croisé une autre femme partageant [son] nom". Cette jeune infirmière est l'une des onze petites filles à avoir hérité de ce prénom en 1992, année de sa naissance. Amusée, elle se remémore les situations "parfois comiques" auxquelles elle a pu être confrontée, à cause de ce prénom dit "masculin" : ces soirées où elle doit décliner plusieurs fois son identité pour se voir répondre que "c'est un nom de garçon" ou ces courriers et ces e-mails qui commencent par Monsieur. "Et puis des situations plus inattendues, poursuit-elle. Comme quand mon mari et moi faisons une demande de logement et que la personne avec qui nous échangeons par mail pense que nous sommes un couple homosexuel." A l'oral de son baccalauréat, il y a quelques années, Timothée a même dû justifier son identité. 

Le jury du bac ne me croyait pas, il pensait que j'usurpais l'identité de quelqu'un pour passer l'oral à sa place !

Timothée, 26 ans, infirmière

à franceinfo

Pour Florence, sa mère, ce choix de prénom était pourtant évident. "Je suis enseignante et j'ai croisé des centaines de gamins dans ma vie. Je ne voulais pas donner à ma fille un prénom qui soit associé à l'un de leur visage." Avec son mari, elle s'arrête donc sur Timothée, "sans réagir" aux quelques réactions négatives de son entourage. "Quand nous l'inscrivions sur des papiers administratifs ou ce genre de choses, on rajoutait un petit F, pour signifier que c'était une fille. Et c'est tout." 

Peu de prénoms sont 100% masculins ou féminins

Comme elle, des centaines de parents choisissent de baptiser, chaque année, leur enfant par un prénom mixte ou épicène – dont la forme ne varie pas selon le genre. Ainsi, Maxence ou Gaël peuvent être des femmes et Camille ou Marion des hommes.

En fait, il est très rare qu'un prénom soit exclusivement féminin ou masculin : la plupart du temps, il a un jour été donné aux deux sexes.

Baptiste Coulmont, sociologue

à franceinfo

"La perception d'un prénom plutôt masculin ou féminin dépend de facteurs comme la génération, l'origine sociale, les habitudes... détaille Baptiste Coulmont, auteur de Sociologie des prénoms (éd. La Découverte) et maître de conférences à l'université Paris 8. Alix, par exemple, sonnera pour les anciennes générations comme un prénom de garçon, alors qu'il est totalement féminin pour les plus jeunes."

Pour lui, certains prénoms font sans arrêt des "allers-retours entre les deux genres", comme Camille, prénom étymologiquement masculin, mais très populaire chez les petites filles des années 1990. "D'autres ont définitivement basculé, comme Anne ou Tiphaine, originellement masculins, mais désormais passés du côté féminin."

Une particularité à noter, selon Baptiste Coulmont : il est plus courant qu'un prénom masculin soit donné à une femme que le processus inverse. Selon le spécialiste, cela s'explique surtout par un attachement aux consonances. "Aujourd'hui, beaucoup de prénoms de filles se terminent en 'a' : Victoria, Vanessa, Léa, Julia, Clara... Les prénoms finissant par cette voyelle auront donc une consonance féminine, même s'ils sont à la base masculins. C'est le cas de Sacha, ou Andrea, qui finissent par être donnés à des femmes." Autres exemples : les prénoms masculins comme Louison ou Suzon.

"Mais... T'as un vagin ?!"

Mais ces prénoms sont-ils toujours faciles à porter ? "En tout cas, ça ne m'a jamais vraiment causé de problèmes !" répond Maxance, jeune étudiante de 18 ans. "Évidemment, ce n'est pas anodin de s'appeler Maxance et d'être une fille. J'ai tout le temps des réflexions : 'Ah, c'est pas commun', 'J'ai jamais entendu'... Mais au pire, ça m'a gênée quelques secondes, ça s'arrête là." Maxance estime même que son prénom lui a même, parfois, permis de faciliter le contact avec les autres.

Quand je rencontre quelqu'un, j'enchaîne sur la particularité de mon prénom, c'est plus facile. Au final, ça créé du lien.

Maxance, 18 ans, étudiante

à franceinfo

Maxance se souvient tout de même de ce jour où un garçon lui a lancé, après avoir entendu son prénom : "Mais... t'as un vagin ?!" "Au mieux, je me dis qu'il rigole, au pire, je me dis qu'il est un peu débile", sourit Maxance. Sa cousine, Maxime, a elle aussi eu droit à quelques perles : "T'étais un garçon et t'as changé de prénom ?" ; "Tu mets combien de 'e' à la fin ?" ; "Mais, tes parents attendaient un garçon ?"

Mon prénom est cool, c'est un peu un détecteur à idiots.

Maxime, 31 ans, maquilleuse

à franceinfo

La jeune femme a quand même décidé d'utiliser "Juliette", son deuxième prénom, pour commander des cafés à emporter. "Ça m'évite les éternelles blagues ridicules sur l'orthographe de mon prénom", justifie-t-elle.

Une source de souffrance ? 

Parfois, le choix d'un prénom épicène peut être perçu comme la source de nombreux problèmes pour ceux qui les portent. C'est le cas de Stéphane. A 45 ans, elle déclare "en vouloir" encore à ses parents pour le choix de ce prénom mixte. En 1973, son année de naissance, seules 45 petites filles se sont prénommées ainsi... pour plus de 19 000 garçons. "J'en ai énormément souffert", témoigne-t-elle. "Aux yeux des autres, mon prénom me rendait bizarre, pas normale. Et il y a eu tous ces 'pourquoi'. 'Pourquoi t'as un nom de garçon ?' 'Pourquoi tu mens sur ton prénom ?' 'Pourquoi tu ne changes pas d'identité ?' A force, moi aussi je me demandais : "Pourquoi j'ai ce prénom-là ?""

A son entrée au collège, Stéphane porte les cheveux courts. Le principal fait l'appel, la petite fille répond : "Présente !" "Le directeur se reprend, prononce "Stéphanie". Je lui confirme que mon nom est bien Stéphane, et, devant tous les enfants, il me dit : 'Mais tu es une fille ou un garçon ?'", raconte-t-elle. Rire général de l'assemblée. "Ça m'a complètement déstabilisée", se souvient Stéphane.  "Et puis il y a eu ce prof d'anglais qui m'appelait Richard, les garçons à la fac qui me demandaient ma carte d'identité pour prouver que j'étais une fille, les professeurs qui ne me croyaient pas..."

Ce prénom est devenu un vrai poids, une marque au fer rouge dont je ne pouvais pas me débarrasser.

Stéphane, 45 ans, employée dans l'administration

à franceinfo

Stéphane affirme que son prénom a eu de "réelles conséquences psychologiques". "D'autant plus que mes parents ne m'aidaient pas : ils ne m'ont jamais dit que je le portais bien, que c'était mixte, ou joli", regrette-t-elle. "J'ai fini par me dire qu'il fallait toujours que je prouve que j'étais une fille. Je porte des jupes, je me maquille, je ne me couperai jamais les cheveux courts."

"C'est différent, ça me plaît"

Mais que les parents se rassurent : l'immense majorité des témoins interrogés par franceinfo estiment ne pas avoir souffert de leur prénom. "Une fois que tu assumes ton nom, toutes ces réflexions, tu les oublies", témoigne Camille. Fraîchement diplômé d'une école de communication, ce jeune homme de 24 ans a lui aussi son lot de souvenirs d'enfance : "Quand j'étais à l'école primaire, on m'appelait Camille la chenille, Camille la fille... C'était une vraie galère."

A un repas de famille, il évoque son désarroi auprès de sa mère, qui lui répond du tac au tac : "C'est simple, la prochaine fois qu'ils te posent la question, tu leur montres ton zizi !" "Et le pire, c'est que je l'ai fait ! raconte Camille en riant. J'étais petit, je me suis retrouvé chez la directrice, mais elle a bien compris la situation." Aujourd'hui, Camille aime son prénom et admet que c'est "une fierté" : "C'est différent des autres, ça me plaît."

Quand je rencontre un autre Camille, je suis même un peu déçu, j'ai l'impression qu'on me vole mon prénom !

Camille, 24 ans, diplômé en communication

à franceinfo

Céleste, père au foyer de 36 ans, renchérit : "J'ai toujours aimé mon prénom, je n'en ai jamais eu assez. Je pense même que je ne serai pas la même personne si j'avais été appelé différemment." Sa femme considère même son prénom comme "un atout", qui "lui a plu tout de suite". "Evidemment, quand j'étais petit, il y avait les blagues sur la femme de Babar, l'incontournable 'T'es une fille ?' ou les références à 'l'appel céleste'... Mais je suis vite passé au-dessus de ça." Preuve en est : Céleste a choisi d'appeler ses deux fils Camille et Solen. Des prénoms mixtes, "qui leur donneront l'originalité de ceux qui les portent".

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