Parcoursup : comment Stanislas et d'autres lycées parviennent à garder leurs meilleurs élèves de terminale dans leurs prépas

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9 min
Illustration de l'interface Parcoursup, en juin 2023. (JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS / AFP)
Si le collège-lycée privé parisien, qui incite ses élèves à ne faire qu'un seul vœu pour intégrer ses classes préparatoires, reste une exception, d'autres établissements, y compris du secteur public, conservent leurs meilleurs lycéens après le bac.

Stanislas un jour, Stanislas toujours ? Pour que cette devise prenne corps, l'établissement privé n'a pas hésité à déjouer les règles de Parcoursup. C'est ce qu'a révélé un rapport, dévoilé par Médiapart le 20 janvier. On y apprend que Stanislas incite certains de ses élèves "à renoncer à leurs autres vœux" sur la plateforme en échange de la "garantie d'être admis" dans l'une de leurs classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). "En 2023, sur plus de 600 000 lycéens ayant formulé des vœux dans Parcoursup, il y a seulement 41 candidats qui n'ont fait qu'un seul vœu" pour une CPGE dans l'établissement où ils étaient en terminale, et "38 sont des élèves de Stanislas", parmi lesquels le fils de la ministre de l'Education nationale Amélie Oudéa-Castéra. Ce passe-droit a déclenché un rappel à l'ordre pour "contournement" de la part du ministère de l'Enseignement supérieur, dimanche 21 janvier.

Alors que les futurs bacheliers ont jusqu'au 14 mars pour formuler leurs vœux, la polémique Stanislas relance le débat sur la mention du lycée d'origine dans le dossier des candidats. "Si le nom du lycée avait été rendu anonyme, le cas Stanislas ne se serait pas produit. C'est ce qui permet de petits arrangements", déplore le sénateur Pierre Ouzoulias (PCF), qui suit le dossier Parcoursup depuis son lancement en 2018. Parce que cette information est, au même titre que les résultats scolaires ou le projet professionnel, à disposition des filières du supérieur, celles-ci sont libres d'en tenir compte ou non dans leurs critères de sélection.

En promettant à certains lycéens leur place en prépa en échange d'un vœu unique, Stanislas reste un cas très marginal. "C'est unique en son genre. Avec nos collègues, on passe du temps à expliquer aux lycéens que le système de vœux multiples sur Parcoursup leur permettra d'avoir quelque chose à l'arrivée. Un établissement qui s'asseoit sur ça, c'est hallucinant et extrêmement choquant", s'indigne Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc). Sans aller jusqu'au contournement des règles, d'autres classes prépas disposant d'un lycée piochent parmi leurs élèves de terminale.

Un petit pas entre lycée et prépa

Prenons Paris, ville dans laquelle sont concentrées des prépas sélectives et dont l'IPS (indice de position sociale) des établissements est élevé. Contre toute attente, seuls 6,5% des admis en prépas viennent du même lycée (contre 10,4% pour la moyenne française), selon les données de Parcoursup 2023, fournies par le ministère de l'Enseignement supérieur. Mais ce chiffre cache de grandes disparités : à Jean-Baptiste-Say, lycée public du 16e arrondissement, près de la moitié des élèves en PTSI (physique, technologie et sciences de l'ingénieur) étaient en terminale dans cet établisssement. Au prestigieux lycée Louis-Le-Grand, 35% des étudiants en prépa PCSI étaient ensemble en terminale. Deux lycées privés puisent aussi dans le vivier de leurs élèves de terminale : Saint-Nicolas et Stanislas.

Au lycée privé catholique Saint-Nicolas (6e arrondissement), dont 75% des élèves de la prépa TSI (technologie et sciences industrielles) sont issus du lycée du même nom, "ce n'est pas un critère qu'on se fixe", assure Cécile Canu, responsable de la formation, pour qui "l'ouverture" sur l'extérieur reste primordiale. Plusieurs paramètres viennent toutefois expliquer cette forte proportion.

Sur une dizaine au total dans la capitale, Saint-Nicolas possède quatre classes de terminale technologique STI2D (sciences et technologies de l'industrie et du développement durable), sorte de voie royale pour intégrer la prépa TSI. Alors qu'"il n'y a, à Paris, que deux prépas TSI", les élèves de terminale à Saint-Nicolas plébiscitent logiquement la prépa du même établissement, explique la cheffe d'établissement Marie-Noëlle Julien. 

"Ils connaissent l’équipe pédagogique, ils sont attachés à leur lycée, se sont fait des amis... Cela compte pour le choix qu'ils ont à faire."

Marie-Noëlle Julien, cheffe d'établissement au lycée Saint-Nicolas (Paris)

à franceinfo

    Comme de nombreuses prépas à Paris, Saint-Nicolas ne possède par ailleurs pas d'internat et tout le monde n'a pas les moyens de vivre dans la capitale. "Cette sélection-là se fait naturellement", regrette Marie-Noëlle Julien. Sollicitées par franceinfo, les autres prépas parisiennes n'ont pas répondu à nos propositions d'interview. 

    Pour Alain Joyeux, président de l'Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC), il n'est "pas choquant qu'un lycée garde certains de ses élèves en prépa". "Dans ces lycées, il y a déjà de très bons élèves dès la première et la terminale. Mais bien entendu, le dossier doit être examiné au même titre que les autres. Il n'est pas question de leur permettre un passage de droit", souligne-t-il. Au lycée Joffre de Montpellier (Hérault), où il exerce, environ 20% des élèves de première année en prépa économique ont fait leur terminale dans le même établissement. 

    Preuve que le "recrutement interne" ne concerne pas que les prépas de la capitale, la moyenne d'admis néo-bacheliers du même établissement frôle les 50% dans certaines académies. C'est le cas de la Guyane (49%) ou de la Corse (42%). Dans l'Hexagone, ce taux chute mais reste plus élevé que la moyenne nationale de 10,4% dans certaines académies. Exemple dans celle de Besançon (Doubs), où 17% des élèves en prépa viennent du même lycée. Selon le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, contacté par franceinfo, l'explication se trouve dans l'offre plus condensée de prépas dans ces territoires, pour des étudiants qui ne souhaitent pas partir hors de leur académie. Il n'y a dans le secteur de Besançon que 13 classes préparatoires, contre une centaine à Paris.

    Crainte des discriminations et opacité 

    De manière plus générale, le nom du lycée d'origine donne des informations sur sa réputation. Venir du lycée Henri-IV ou d'un établissement de banlieue parisienne ne produit pas le même effet sur le CV. Un rapport de la Cour des comptes, publié en 2020, fait le constat que "des établissements du secondaire se trouvent alors priorisés dans le classement par rapport à d'autres, sur la base de critères plus ou moins aléatoires, tels celui lié à sa réputation, ou celui, plus objectif, du pourcentage de réussite au baccalauréat". Selon elle, "jusqu'à 20% des CEV [commissions d'examen des vœux] des filières non sélectives les plus en tension utilisent le critère du lycée d'origine en 2019". Aucun chiffre n'est donné sur les filières sélectives. Mais les classes prépas ne sont pas les seules formations du supérieur à prendre en compte ce critère.

    Pierre-Yves Anglès, directeur des formations à l'université PSL (Paris), qui regroupe des établissements prestigieux et sélectifs comme l'université Dauphine, estime que le lycée d'origine "peut être un critère, à condition qu'il ne soit pas décorrélé du reste". Selon lui, "le respect des pré-requis, les notes, le positionnement dans la classe et la sincérité de la démarche" restent les critères les plus pertinents. "Evidemment, quand on a de très bons candidats, on regarde d'où ils viennent. Mais on ne choisira jamais sur la seule base du lycée d'origine à la toute fin", affirme Pierre-Yves Anglès. 

    Mais pour les pourfendeurs de la mention du lycée d'origine dans le dossier, la discrimination à l'égard des élèves issus d'établissements défavorisés est un risque réel. En 2019, le Défenseur des droits a lui-même estimé que "le recours au critère du lycée d'origine pour départager les candidats en favorisant certains candidats, ou en en défavorisant d'autres, en fonction du lieu géographique dans lequel l'établissement est situé, peut être assimilé à une pratique discriminatoire, s'il aboutit à exclure des candidats sur ce fondement". Le ministère assure que si "l'information est disponible dans le dossier Parcoursup, il n'est pas autorisé de l'utiliser comme critère de discrimination géographique"

    "Les établissements et leurs enseignants sont responsables du respect de la charte Parcoursup, et donc des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, avec des critères qu’ils ont définis et dont ils doivent rendre compte via les rapports d’examen des candidatures publiés chaque année sur la plateforme Parcoursup ."

    Le ministère de l'Enseignement supérieur

    à franceinfo

    Depuis 2023, le ministère de l'Enseignement supérieur a revu sa copie pour créer davantage de transparence sur Parcoursup. Pour une filière donnée, le candidat sait par exemple si ses résultats scolaires comptent pour 40% ou 60% dans son admission. Mais selon Pierre Ouzoulias, les critères dévoilés ne révèlent pas assez les logiques de "pré-classement" à l'œuvre. "Seuls quelques établissements, comme Sciences Po Paris, ou des filières comme les licences Staps [Sciences et techniques des activités physiques et sportives], ont pris l'initiative de rendre totalement publiques leurs modalités de recrutement", salue le sénateur. Pour lui, jouer le jeu de la totale transparence permettrait en outre de "casser la méfiance générale des parents et des élèves envers Parcoursup".

    Vers une anonymisation complète ?

    Pour éviter toute discrimination, la Cour des comptes, tout comme le Défenseur des droits, ont recommandé d'anonymiser le lycée sur Parcoursup, comme cela est déjà le cas pour le nom, le genre et l'adresse des candidats. Plusieurs "observations plaident en faveur de l'anonymisation du lycée et de son remplacement par un critère plus objectif qui pourrait être calculé directement par Parcoursup", écrit la Cour. Pour Jean-Rémi Girard, "il y a clairement des effets de réputation des lycées qui ne sont pas normaux" mais la stricte anonymisation ne permettrait plus de prendre en compte l'"échelle de notation", qui est différente d'un lycée à un autre. 

    Masquer cette information, ce serait aussi révéler "un manque de confiance envers les comités d'examen des vœux, alors qu'ils ont le réel souci de diversifier leur recrutement", ajoute Alain Joyeux. Du côté des élèves, Parcoursup est toujours décriée pour son ensemble. "La mention du lycée d'origine doit être supprimée. Mais notre principale revendication reste la fin de cette plateforme. Il y a une grande déconnexion de la part du ministère. Combien d'élèves arrivent à intégrer une formation dans laquelle ils s'épanouissent ?", alerte Gwenn Thomas-Alves, porte-parole de l'Union syndicale lycéenne (USL).

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