"Il faut se pencher sur les raisons qui poussent un élève à harceler", estime la responsable de la FCPE contre le harcèlement scolaire
Le harcèlement scolaire est un fléau qui n'en finit plus de faire des victimes. Lindsay, une adolescente de 13 ans, s'est suicidée le 12 mai à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais). Selon sa famille, la jeune fille était victime de harcèlement depuis septembre, insultée au collège et harcelée en ligne sur les réseaux sociaux. Quatre mineurs ont été mis en examen du chef de "harcèlement scolaire ayant conduit au suicide", a annoncé, jeudi 25 mai, le procureur de Béthune. Une cinquième personne, majeure, a été mise en examen pour "menaces de mort".
>> Suicide de Lindsay dans le Pas-de-Calais : ce que l'on sait de cette affaire de harcèlement scolaire
Il y a quelques mois, une affaire similaire dans les Vosges avait choqué et ému la France entière. Lucas, 13 ans, s'est donné la mort le 7 janvier. Entre moqueries et insultes homophobes, il se disait harcelé depuis plusieurs mois. Son collège avait pourtant mis en place le dispositif pHARe de lutte contre le harcèlement, lancé par l'ex-ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer en 2019.
Selon les derniers chiffres du ministère, relayés par l'AFP, 91% des collèges et 64% des écoles sont déjà inscrits dans ce programme. Pour franceinfo, Karine Dupuis, référente nationale de la FCPE sur le sujet, résume le plan actuel de lutte contre le harcèlement scolaire et exhorte à encore plus de prévention.
Franceinfo : Comment s'organise aujourd'hui le dispositif de lutte et de prévention contre le harcèlement scolaire à l'école ?
Karine Dupuis : Cette lutte se structure dans les établissements et dans les instances académiques depuis une dizaine d'années. L'avancée la plus récente, c'est le programme pHARe, un plan de prévention du harcèlement déployé dans toutes les écoles élémentaires et tous les collèges publics depuis 2022 [il a d'abord été expérimenté dans six académies]. Le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, a récemment annoncé son extension dans les lycées [pour la rentrée 2023].
Il rend notamment obligatoire les cours de prévention du harcèlement, du CP à la 3e, et exhorte les établissements à étudier "le climat scolaire" entre leurs murs. Cela passe par plusieurs aspects, comme la formation des professeurs, l'implication des élèves, mais aussi le bâti scolaire. Car travailler sur la problématique du harcèlement, c'est travailler sur le bien-être des élèves sous toutes ses formes. Dans de nombreux collèges, il commence à y avoir des foyers. Lorsque des lieux conviviaux se développent, les élèves se sentent mieux à l'école et cela limite l'émergence du harcèlement.
Par ailleurs, le prix Non au harcèlement [concours national de création d'affiche ou de vidéo sur le harcèlement en milieu scolaire], organisé par le ministère, emporte l'adhésion de plus en plus d'établissements.
Le programme pHARe inclut également les élèves dans cette lutte. La démarche porte-t-elle ses fruits ?
Il existe désormais des élèves ambassadeurs, qui sont en quelque sorte des référents "harcèlement" pour les autres élèves. Ces derniers peuvent être à l'origine de projets et d'actions sur le sujet, mais ils sont aussi une oreille attentive pour ceux qui souffrent à l'école. Dans certains établissements, ils portent un badge pour être facilement repérés.
De fait, le travail est plus porteur que lorsque seuls les adultes mettent leur nez dedans. On le voit par exemple quand les élèves écrivent leur propre règlement : les règles sont plus respectées lorsqu'elles viennent d'eux-mêmes, alors qu'elles sont souvent plus sévères. C'est par ces jeunes que l'on peut aussi faire évoluer les mentalités.
Lorsque des faits de harcèlement sont signalés, quels sont les leviers de l'école pour agir ?
Le chef d'établissement et les enseignants reçoivent les élèves harceleurs. Dans la plupart des cas, les soucis se règlent par des discussions, voire des sanctions (convocation au conseil de discipline, expulsion temporaire ou non), décidées selon le degré de gravité. Mais de plus en plus, on privilégie l'écoute et les travaux de responsabilisation. On peut par exemple choisir de lui faire écrire une lettre d'excuse ou de l'inclure dans un projet de lutte contre le harcèlement.
En avril, Pap Ndiaye a annoncé vouloir modifier le Code de l'éducation dans les écoles primaires, pour permettre le renvoi de l'élève harceleur dans une autre école. C'est déjà possible dans le second degré, grâce au conseil de discipline. Dans les cas les plus graves, cette mesure d'éloignement est-elle une solution ?
Soyons clairs : c'est déjà mieux que de laisser l'élève harcelé changer d'établissement. Mais cela ne va pas résoudre le problème pour autant. Si l'élève n'a pas compris la sanction, il recommencera ailleurs. Et le fait de le déplacer ailleurs ne permettra pas forcément une reconstruction de l'élève harcelé. A ce sujet, il faut enclencher un meilleur accompagnement psychologique des élèves à l'école, et cela passe par plus de personnel.
En dehors de l'école, les parents peuvent aussi déposer une plainte. Les faits de harcèlement sont désormais reconnus comme délit [depuis la loi du 2 mars 2022]. Ça a été un grand pas en avant, car les harcelés sont d'autant plus reconnus comme victimes. C'était très important pour ces élèves comme pour leurs familles.
Mais des drames ont encore lieu, à l'image du suicide de Lindsay. Le harcèlement avait pourtant été signalé au collège et des sanctions avaient été prises, un élève ayant même quitté l'établissement. Pourquoi existe-t-il encore des failles ?
Pour que ces faits de harcèlement n'arrivent jamais, ni ses conséquences dramatiques, il faut davantage miser sur la prévention. Le harcèlement est le symptôme d'un mal-être. Il faut se pencher sur les raisons qui poussent un élève à harceler. Pour rappel, la grande majorité des harceleurs ont déjà été harcelés, ou le seront un jour. On pourrait notamment généraliser les cours de prévention du harcèlement du programme pHARe à la maternelle. Plus tôt on agit, mieux c'est.
Un travail doit aussi être enclenché du côté des familles de harceleurs. Aujourd'hui, on n'a pas les outils pour leur dire quoi faire. En plus de culpabiliser, ils se sentent démunis. L'autre volet important, ce sont les adultes de l'établissement scolaire. Dans certaines écoles, on sait que le sujet est encore pris à la légère. Tous les personnels, et pas que les enseignants, doivent se montrer ouverts à la discussion.
Selon une enquête du Sénat publiée en 2021, entre 800 000 et un million d'élèves sont victimes chaque année de harcèlement scolaire. Cette violence est désormais amplifiée par le cyberharcèlement. Parce que virtuel, il est difficile pour l'école de lutter...
C'est le versant hyper complexe du harcèlement aujourd'hui. Avant, même si l'on se faisait embêter à l'école, on savait qu'une fois rentré chez soi, c'était fini. Maintenant, ce n'est plus le cas. Du côté de l'établissement, il y a forcément des choses qui passent sous les radars. Il peut bien interdire l'usage du téléphone portable en son sein, mais on sait que les élèves le récupéreront le soir, et que c'est à ce moment de la journée que le cyberharcèlement est le plus virulent. Encore une fois, la prévention reste le meilleur outil. Les ateliers avec des gendarmes, sur cette question du cyberharcèlement, sont de plus en plus généralisés dans les écoles.
Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.
Pour signaler toute situation de harcèlement ou de cyberharcèlement, que vous soyez victime ou témoin, il existe des numéros de téléphone gratuits, anonymes et confidentiels : le 3020 (harcèlement) et le 3018 (cyberharcèlement), joignables du lundi au samedi, de 9 heures à 20 heures. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère de l'Education nationale.
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