Harcèlement scolaire : qu'est-ce que la "méthode de préoccupation partagée", qui peut régler certaines situations "en deux semaines" ?

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Lors de la journée contre le harcèlement scolaire, le 18 novembre 2021, au collège et lycée d'Arsonval à Brive-la-Gaillarde (Corrèze). (STEPHANIE PARA / MAXPPP)
Ce dispositif, inspiré de la méthode scandinave dite "Pikas", se généralise en France dans le cadre du programme Phare. Il n'est toutefois pas adapté à tous les cas de figure, notamment au cyberharcèlement.

"Chaque drame est un drame de trop, qui nous rappelle que nous ne sommes toujours pas à la hauteur." Après le nouveau suicide d'un adolescent, victime de harcèlement scolaire lors de l'année 2022-2023, le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, doit annoncer un plan interministériel de lutte contre ce phénomène d'ici à la fin septembre. Des outils sont déjà en place depuis une dizaine d'années en France, tels que la "méthode de préoccupation partagée". Importé de Suède, ce dispositif, fondé sur l'empathie, fait désormais partie du programme Phare, obligatoire dans les écoles, collèges et lycées. Mais il n'est pas adapté à toutes les situations. Franceinfo vous en présente les grandes lignes.

Une méthode inventée par le psychologue Anatol Pikas

Les pays scandinaves sont depuis longtemps sensibilisés à la question du harcèlement scolaire. Le premier à l'avoir identifié et théorisé – sous le nom de school bullying – dans les années 1970 est le psychologue norvégien Dan Olweus. A la même période, Anatol Pikas, un professeur en psychologie de l'éducation qui a fait l'essentiel de sa carrière en Suède, développe la Shared Concern Method, ou "méthode de préoccupation partagée" (MPP).

En France, la méthode a été importée dans les années 2010, notamment par Bertrand Gardette, conseiller principal d'éducation dans un lycée de Clermont-Ferrand et membre du comité national d'experts sur le harcèlement à l'école, et Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie à Cournon-d'Auvergne (Puy-de-Dôme). Le harcèlement scolaire vient alors tout juste d'être reconnu et officiellement intégré dans l'enquête Sivis sur les violences graves survenant en milieu scolaire.

Sur son site, l'académie de Versailles différencie les concepts de "bullying" du Norvégien Dan Olweus et de "mobing" d'Anatol Pikas. Le premier fait référence à un individu "agressif et menaçant" qui a "l'intention de nuire" à un autre élève. Le second désigne "la puissance du groupe", dont l'intentionnalité de nuire "n'est pas toujours avérée". C'est la dimension systémique du harcèlement scolaire. "L'intimidation scolaire ferait-elle 700 000 victimes si elle était seulement le fait d'une minorité de 'bullies' ?" peut-on lire sur le document mis en ligne par l'académie.

"Le harceleur a peur d'être exclu du groupe donc il attire l'attention sur la victime pour que ce soit elle qui soit exclue du groupe."

Bertrand Gadette, CPE et membre du comité national d'experts sur le harcèlement à l'école

à franceinfo

Une série d'entretiens avec les harceleurs

Depuis, cette "méthode de préoccupation partagée" a été intégrée au programme Phare de lutte contre le harcèlement scolaire. Expérimenté dans six académies en 2019, le dispositif a été étendu en 2020 puis rendu obligatoire dans toutes les écoles et les collèges en 2022 et dans les lycées à partir de cette année 2023. La "MPP est une méthode de traitement du harcèlement scolaire. C'est donc un des leviers de Phare, qui joue sur tout un spectre, de la prévention à la sanction", explique-t-on au ministère de l'Education nationale.

"C'est une méthode contre-intuitive qui part du principe que le harceleur est désireux de sortir de la dynamique du harcèlement", développe Bertrand Gardette, parlant d'une "révolution culturelle". Dans la MPP, basée sur l'empathie, le harceleur devient "l'intimidateur" et la victime "la cible". La méthode se déroule en trois étapes. La première consiste à convoquer le ou les agresseurs – ou le leader d'un groupe – pour des entretiens brefs de 5 à 10 minutes, à la récréation ou la pause du midi. Celui qui mène l'entretien, "avec diplomatie" et sans culpabilisation, prononce une phrase rituelle : "Bonjour, je t'ai invité à venir car je suis préoccupé pour la situation d'un tel, il ne va pas bien, qu'est-ce que tu peux m'en dire ?"

"Au bout de deux à trois entretiens, 9 harceleurs sur 10 vont reconnaître que la cible ne va pas bien, sans reconnaître leur responsabilité dans la situation. On a fini la première étape, on est d'accord sur le constat."

Bertrand Gadette, CPE et membre du comité national d'experts sur le harcèlement à l'école

à franceinfo

La seconde étape vise à modifier le comportement de "l'intimidateur" en lui disant : "Maintenant que tu as fait tes observations, toi, qu'est-ce que tu peux faire pour l'aider ?" Les entretiens doivent se répéter autant que nécessaire. La troisième étape se résume à "un suivi de l'intimidateur pour vérifier qu'il met en œuvre ce qu'il a proposé de faire", ajoute le spécialiste. Pendant tout ce temps, la victime est bien sûr entourée par des membres de l'équipe pédagogique.

Selon les retours des académies qui expérimentent ce programme depuis 2019, 85% des situations sont résolues "en deux semaines". "Ces chiffres ne sont pas consolidés ni exhaustifs", précise-t-on au ministère, puisque le dispositif vient tout juste d'être généralisé.

Un dispositif qui n'est pas adapté à toutes les formes de harcèlement

Selon Bertrand Gardette, cette méthode est "remarquable" à l'école primaire et jusqu'en cinquième. A partir de la quatrième, "noyau dur de l'adolescence, on a des élèves qui n'arrivent pas à s'affranchir de leur posture d'intimidateur". Surtout, elle fonctionne quand le harcèlement est détecté de façon précoce. "S'il dure depuis quinze jours, on règle la question en trois jours. Si on intervient au bout de deux mois, on n'est pas sûrs d'y arriver. L'agresseur est dans une routine, avec un groupe fédéré autour de lui et une classe qui devient complice involontaire de la situation", analyse le professionnel.

Dans ce cas, il faut passer la main au chef d'établissement puis à l'inspecteur de l'Education nationale du rectorat, conseille un document sur ce protocole mis en ligne par l'académie de Normandie. Il y est précisé que la méthode est adaptée pour "gérer des situations de harcèlement faibles à modérées". "Si la situation s'est trop envenimée, enkystée, la MPP ne peut pas s'appliquer", confirme-t-on au ministère de l'Education nationale.

"La MPP ne va pas permettre de régler des situations où il y a une véritable intention de nuire de la part d'un individu. Elle est plutôt adaptée aux situations en meute, avec un peloton de tête et moutons qui suivent." 

Le ministère de l'Education nationale

à franceinfo

La méthode de préoccupation partagée n'est pas non plus configurée pour le cyberharcèlement, qui a connu un essor récent. "Dans ce cas, la situation est tellement virale qu'on n'a pas le temps de se laisser deux semaines. Il va falloir prendre la chose en main plus rapidement", relève le ministère, précisant qu'une cellule cyberharcèlement travaille sur le sujet et que "le programme Phare est voué à évoluer". "Jusqu'au confinement, le cyberharcèlement était un outil supplémentaire au harcèlement. Mais depuis, il a un fonctionnement de plus en plus autonome", observe Bernard Gadette.

"La méthode Pikas travaille sur l'empathie pour que l'intimidateur s'extraie de son rôle. Sur les réseaux sociaux, l'empathie, c'est zéro."

Bertrand Gadette, CPE et membre du comité national d'experts sur le harcèlement à l'école

à franceinfo

"Le cyberharcèlement multiplie les complices. Il convoque d'autres auteurs et augmente et multiplie tous les risques liés à l'adolescence", avec "un risque suicidaire multiplié par quatre", analyse de son côté l'académie de Versailles sur son site. Dans ce cas, précise-t-elle, "il faut passer par la justice pour protéger le jeune".


Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.

Pour signaler toute situation de harcèlement ou de cyberharcèlement, que vous soyez victime ou témoin, il existe des numéros de téléphone gratuits, anonymes et confidentiels : le 3020 (harcèlement à l'école) et le 3018 (cyberharcèlement), joignables du lundi au samedi, de 9 heures à 20 heures.   D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère de l'Education nationale.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.