Grève dans l'éducation : exaspérés par les polémiques autour d'Amélie Oudéa-Castéra, les enseignants veulent se remobiliser

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
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Une pancarte sur l'école publique lors d'une manifestation en hommage à Dominique Bernard, à Paris, le 17 octobre 2023. (FIORA GARENZI / HANS LUCAS / AFP)
Les propos de la nouvelle ministre de l'Education nationale sur l'absentéisme des profs dans le public ont créé un fort émoi au sein de la communauté enseignante. Et renforcé la motivation à faire grève massivement jeudi 1er février.

Pour prendre le pouls d'une grève des profs en pleine préparation, le cahier des slogans reste le meilleur tensiomètre. Si la grève des enseignants, jeudi 1er février, avait déjà été annoncée par plusieurs syndicats en décembre, nul doute que l'entrée fracassante d'Amélie Oudéa-Castéra au ministère de l'Education nationale a renforcé l'appel à la mobilisation. Et la récente controverse qui a touché la ministre a visiblement inspiré SUD-Education : "Le tri social, c'est dégueulasse / Et l'école publique, c'est trop la classe" ; "Olélé Olala, Oudéa-Castéra, retourne à Stanislas !" ; "De l'argent, il y en a dans les caisses de Stanislas, et l'argent on l'prendra dans les caisses de Stanislas !" 

Amélie Oudéa-Castéra, qui cumule désormais les portefeuilles de l'Education, de la Jeunesse, des Sports et des JO, a été vivement critiquée dès sa prise de fonction pour avoir justifié par "des paquets d'heures non remplacées" à l'école publique Littré, à Paris, le transfert de ses enfants dans l'établissement privé catholique Stanislas. Depuis, la polémique n'a pas cessé, entre le démenti de l'ancienne institutrice de son fils auprès de Libération et les révélations de Mediapart sur le contournement de Parcoursup et la non-mixité choisie à Stanislas. De quoi raviver le besoin de défendre l'école publique au sein de la communauté enseignante. "Il y a toujours eu un débat de fond sur le privé et Amélie Oudéa-Castéra a réveillé cela en dénigrant le public", remarque Maud Valegeas, cosecrétaire fédérale de SUD-Education. 

"Nos collègues sont très remontés, il y a un très fort sentiment de mépris."

Maud Valegeas, cosecrétaire fédérale SUD-Education

à franceinfo

Ce contexte particulier laisse présager une mobilisation supérieure à celle du 12 décembre. Selon les chiffres du ministère, il y a un mois et demi, la participation était de 1,09% dans les collèges, 4,02% dans les lycées d'enseignement général et technologique et 10,81% dans les lycées professionnels.

"On a plusieurs équipes syndicales qui ont l'impression que ça prend bien. On espère que cela se traduira aussi par une présence dans les cortèges", relève Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT. Si son syndicat a appelé plus tardivement à faire grève, en janvier, "les propos de la ministre, qui ont exaspéré et mis en colère tout le monde", ont été l'un des éléments déclencheurs pour se rallier à la mobilisation, souligne cette représentante. Selon la FSU-SNUipp, principal syndicat du premier degré, 40% des enseignants de maternelle et de primaire devraient être en grève jeudi. Il prévoit aussi 65% de grévistes à Paris.

"Ils n'ont certainement pas envie d'un nouveau front"

Augmenter les salaires, renoncer aux suppressions de postes, résorber la crise du recrutement, dénoncer la précarité des AESH... Les revendications, telles qu'elles ont été annoncées en décembre avant l'arrivée d'Amélie Oudéa-Castéra, "sont plus que jamais d'actualité", estime Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. "Pour défendre l'école publique, on a besoin de personnels qualifiés, bien rémunérés et respectés", résume la responsable syndicale, pour qui cette école "ne trie pas les élèves et a vocation à faire réussir tout le monde". Alors que la mobilisation des agriculteurs se poursuit, Sophie Vénétitay veut croire que celle des profs sera également "scrutée par l'Elysée et Matignon". "Ils n'ont certainement pas envie d'être sur un nouveau front", suggère-t-elle.

Autre point de crispation : la mise en place des groupes de niveau, au moment où se décide la dotation horaire globale (l'ensemble des moyens d'enseignement attribués à un établissement) pour la rentrée 2024. "Dans beaucoup de collèges, les chefs d'établissement vont être contraints de supprimer des heures d'enseignement pour intégrer les groupes de niveau. C'est par exemple le cas des groupes à effectifs réduits en langue vivante ou des cours de latin et d'allemand", alerte Catherine Nave-Bekhti. "Cette réforme n'est pas financée et va se faire au détriment d'autres dispositifs", dont certaines heures dans les classes Segpa, estime également Maud Valegeas. 

Lors d'un discours présentant sa feuille de route, le 25 janvier à la Sorbonne (Paris), Amélie Oudéa-Castéra a fait quelques promesses concernant ces revendications. "Nous allons travailler ensemble, notamment sur la revalorisation des milieux de carrière", a-t-elle assuré devant les recteurs d'académie. La ministre a également rappelé qu'une réforme du concours de l'enseignement est en cours d'élaboration et affirmé vouloir "traiter la question des absences non remplacées, notamment celles de courte durée".

Manque de considération et de concertation

Mais les syndicats, pour l'heure, attendent des actes. Et une certaine considération. "Je n'ai eu aucune réponse de sa part à ma demande d'audience. Jean-Michel Blanquer et Pap Ndiaye, eux, au moins, m'ont passé un coup de fil dans les 48 heures après leur nomination", fulmine Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO, premier syndical de l'enseignement professionnel. 

Preuve que la grève de jeudi s'apparente à un millefeuille de protestations, une intersyndicale composée entre autres du Snes-FSU, de SUD-Education et du Snetaa-FO compte aussi dénoncer la réforme des lycées professionnels. En ligne de mire : la suppression d'heures de cours en classe de terminale et le "basculement" des lycées pro "vers du formatage à l'emploi", selon un communiqué. "On a un ex-ministre de l'Education nationale [Gabriel Attal] qui martèle sur les savoirs fondamentaux, mais en terminale pro, il y en a désormais moins", souligne Sophie Vénétitay. Pour Pascal Vivier, les enseignants du professionnel "sont encore plus remontés que lors de la grève du 12 décembre". 

Lors du Conseil supérieur de l'éducation, le 8 janvier, aucune organisation syndicale n'a ratifié le texte porté par Carole Grandjean, ex-ministre déléguée à l'Enseignement et à la Formation professionnels. Malgré ce vote contre, "les moyens en profs et en heures ont déjà été donnés" dans certaines académies, "avant même la publication d'un décret et d'une circulaire explicative", dénonce Pascal Vivier. "Quoi qu'on fasse, quoi qu'on dise, on n'est pas entendus. Le gouvernement avance comme un bulldozer", déplore le responsable syndical du Snetaa-FO. Il table, lui, sur une mobilisation en berne dans son secteur : "On a 48 000 titulaires dans les lycées pro, et 10 000 contractuels qui gagnent 1 280 euros net. Et une journée de grève, c'est entre 70 et 120 euros de moins à la fin du mois".

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