Vrai ou faux Les groupes de niveau au collège favorisent-ils la réussite scolaire ?

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Devant le collège La Ceriseraie, à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne), le 5 septembre 2023. (LIONEL URMAN/SIPA / SIPA)
Pour les élèves de 6e et 5e dans un premier temps, le ministre de l'Education souhaite constituer des groupes de niveau centrés sur les mathématiques et le français. Cette organisation peut produire des résultats, mais à certaines conditions.

Relever le niveau général, en séparant les collégiens selon leur niveau. C'est l'ambition émise par Gabriel Attal, qui a présenté mardi 5 décembre ses mesures pour un "choc des savoirs". Une décision justifiée, pour partie, par les résultats moyens de la France à l'évaluation Pisa (Programme international de l'OCDE pour le suivi des acquis des élèves). Dans chaque collège, les élèves de 6e et 5e seront répartis dans trois groupes, en fonction de leur niveau en mathématiques et français, dès la rentrée de septembre 2024. Cette organisation doit s'étendre aux classes de 4e et 3e à la rentrée 2025. Le ministre de l'Education assure que "c'est un progrès très important pour l'égalité des chances". Pourtant, les chercheurs en éducation s'accordent à dire que l'homogénéité en classe n'a pas d'effets positifs pour les élèves en difficulté, sauf dans un cadre très précis. Explications.

"Les regroupements permanents tels que les classes de niveau sont inefficaces", atteste une note (PDF) de 2023 du programme IDEE (Innovations, données et expérimentations en éducation). En plus de se sentir stigmatisés, les élèves du groupe le moins performant sont, souvent, moins stimulés par leurs professeurs que s'ils étaient mélangés aux autres. "Il existe un effet caméléon un peu pervers : l'enseignant finit par baisser ses attentes vis-à-vis des élèves faibles, s'adressant à eux par rapport à leur niveau tel qu'il est", relève Patrick Rayou, professeur de sciences de l'éducation à l'université Paris 8. 

A fortiori, certaines études s'accordent à dire que de tels groupes aident surtout les élèves les plus débrouillards à élever leur niveau, ce qui accentue les inégalités pré-existantes. Un article des sociologues Marie Duru-Bellat et Alain Mingat, publié en 1997 dans la Revue française de sociologie, soulignait déjà que "le groupement par niveau [étai]t significativement nuisible aux progressions des élèves faibles, mais favorable à celles des élèves forts, par référence à un contexte de classe hétérogène". D'autres recherches sont un peu plus pessimistes quant aux bénéfices que peuvent en tirer les élèves dits "forts". C'est ce qu'explique une étude produite par Béatrice Boutchenik et Sophie Maillard en 2019, qui met en cause "l'exposition à la compétition" entre ces élèves.

Manque de moyens et prise en compte des besoins

Sous certaines conditions, les groupes de niveau peuvent toutefois s'avérer efficaces. Selon le dernier rapport Pisa de l'OCDE, "une relation positive entre la performance obtenue en mathématique (discipline sur laquelle s'est concentré le rapport en 2022) et le regroupement d'élèves est observée si le regroupement est limité à quelques matières, alors que la relation est négative s'il est mis en œuvre pour toutes les matières". Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l'enseignement scolaire, ajoute que "les recherches du Conseil scientifique de l'Education nationale mettent en évidence que les groupes doivent être ponctuels". Un constat partagé par la note de l'IDEE. 

"Si les groupes sont figés, les écarts ne vont pas se résorber, mais au contraire se creuser entre les élèves."

Jean-Paul Delahaye, ancien directeur général de l'enseignement scolaire

à franceinfo

En théorie, ces deux conditions seront remplies, a assuré Gabriel Attal. Cette différenciation entre élèves ne se fera que pour les "savoirs fondamentaux". Et "ils pourront changer de groupes s'ils progressent", a-t-il promis. Se pose cependant la question de la faisabilité. "Il faut des moyens, mais nous sommes dans un contexte de diminution des effectifs", alerte la secrétaire générale de la SGEN-CFDT Caroline Brisedoux. Si le ministre de l'Education nationale a promis au micro de franceinfo que des enseignants seraient recrutés en français et en mathématiques, sans donner de chiffres précis, le projet de loi budget 2024 de l'exécutif prévoit la suppression de 2 500 postes. 

"Très concrètement, je me mets à la place d'un principal. Trois groupes, ça veut dire trois salles : où vont-ils trouver ces locaux ? Il faut aussi que les enseignants puissent se coordonner entre eux, est-ce qu'un temps de concertation sera prévu dans leur emploi du temps ?" s'interroge Jean-Paul Delahaye.

Un dernier point nécessaire à la réussite de ces groupes, en particulier pour les élèves "faibles", n'a pour l'instant pas été éclairci par le ministre. Se concentreront-ils sur le français et les maths de manière globale, ou bien sur des points précis du programme ? Plutôt que des groupes de niveau, une partie de la recherche vante les "groupes de besoin". "Si une partie de la classe a du mal avec le théorème de Pythagore, on peut isoler temporairement ces élèves le temps qu'ils soient au niveau", illustre Patrick Rayou, conscient toutefois du manque d'enseignants. 

Voir au-delà des seuls résultats scolaires

Du point de vue des spécialistes, le recours aux groupes de niveau reste symptomatique de défaillances éducatives. "Cela montre qu'on ne sait pas gérer l'hétérogénéité des élèves en classe", juge Patrick Rayou, pour qui les enseignants sont aujourd'hui formés à "réparer les dégâts, mais pas à les anticiper". Jean-Paul Delahaye constate lui aussi que "depuis une trentaine d'années, on a baissé la garde sur la formation continue et initiale des profs", en particulier dans le premier degré. Il rappelle que, selon la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), "les effectifs en classe sont les plus chargés d'Europe", ce qui n'offre pas aux élèves de bonnes conditions d'apprentissage. 

Pour Patrick Rayou, les mesures de Gabriel Attal sont finalement "plus politiques que scientifiques" et entérinent le principe de non-mixité. "Elle existe déjà de manière organisationnelle, à l'échelle des établissements, entre les collèges de banlieue et ceux du centre-ville", rappelle le chercheur. L'étude Pisa 2022 montre également que l'attractivité du privé ne cesse de croître en France. "La proportion d'élèves inscrits dans ces établissements (...) a augmenté de 5,2 points de pourcentage" par rapport à 2018. Ainsi, "ils ont obtenu des résultats en mathématiques supérieurs de 27 points à ceux des élèves scolarisés dans les établissements publics".

Une note de 2023 du Conseil scientifique de l'Education nationale souligne que les expérimentations de mixité sociale, telles qu'elles sont menées en France, sont plus positives que négatives. Les élèves, quel que soit leur milieu d'origine, n'ont, certes, "pas vu leurs résultats scolaires évoluer de manière significative" mais ils se sentent plus épanouis à l'école. "Il y a des bienfaits considérables sur l'estime de soi. Les élèves défavorisés élargissent également leur réseau et ont davantage de connaissances sur leurs perspectives d'études", salue Jean-Paul Delahaye, pour qui les résultats scolaires ne sont pas le seul indicateur d'une école en bonne santé.

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