Polémiques autour d'Amélie Oudéa-Castéra : comment les débuts de la ministre de l'Education créent le trouble au sein même de la majorité
Amélie Oudéa-Castéra enchaîne les revers. Depuis son arrivée le 11 janvier à la tête d'un très grand ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, la numéro 5 du nouveau gouvernement est empêtrée dans plusieurs controverses. En évoquant, dès sa prise de fonction, l'absentéisme des professeurs dans le public pour se justifier d'avoir scolarisé ses enfants dans l'établissement privé Stanislas à Paris, elle a fait naître des doutes au sein même de la majorité. "Elle s'est enfoncée dans le mensonge, on avait l'impression que ses gamins étaient en REP+ [réseau d'éducation prioritaire]. Derrière, c'est la chronique d'une cata annoncée, c'était évident que la presse allait fouiller dans les dossiers", s'exaspère le conseiller d'un ministre de premier plan.
Dernier épisode en date, lundi 22 janvier : la publication d'un rapport parlementaire sur les fédérations sportives, qui épingle la rémunération touchée par Amélie Oudéa-Castéra quand elle était directrice générale de la Fédération française de tennis, de 2021 à 2022. "Soit ça se résorbe dans l'opinion publique et elle s'en sort, soit ça embraye avec d'autres révélations, auquel cas on est morts", prédisait la semaine dernière un député Renaissance. "C'est sûr qu'on a connu meilleure entrée en matière pour une ministre", euphémise aussi une députée de la majorité qui se veut indulgente.
"Elle s'est mise dans le pétrin toute seule"
Les troupes macronistes s'interrogent désormais sur ces deux semaines d'errement dans la communication de la ministre de l'Education. Après sa sortie polémique liée à l'enseignement public, la ministre s'est excusée auprès de la communauté éducative et s'est rendue à l'école publique Littré, où son aîné a été brièvement scolarisé. Une nouvelle erreur de com, selon certains cadres de la majorité. "Qui décide que c'est une bonne idée de remettre une pièce dans la machine et d'aller à l'école Littré ?", souffle une députée Renaissance. "La ministre ne met pas une pièce dans la machine. Le sujet est partout, rétorque son entourage. Elle répond à cette polémique par le dialogue, le travail. Elle y est allée au courage, en connaissance de cause".
L'ancienne joueuse de tennis tente à nouveau de tourner la page, mardi 16 janvier, à l'Assemblée nationale lors de la séance de questions au gouvernement. Interrogée par le député insoumis Rodrigo Arenas, elle s'avance au micro sous les huées de l'opposition et soutenue par de rares applaudissements de la majorité. "Je ne l'ai pas applaudie, elle s'est mise dans le pétrin toute seule et sa réponse à la question a été mauvaise. Elle est re-rentrée dans un truc personnel, au lieu de parler de la réussite des enfants...", s'agace un député de la majorité. "On sent qu'elle n'est pas habituée à se prendre une horde médiatique. On ne lui demandait pas de se faire mitrailler de questions 30 minutes dans une matinale télé, mais seulement de répondre à une question en étant un peu offensive et déterminée", s'exaspère un autre.
"On sent une forme de tétanie liée à cette accumulation de dossiers et sans doute liée à l'organisation de la nouvelle équipe gouvernementale."
Un député Renaissanceà franceinfo
Le lendemain, nouvelle attaque de l'opposition. "Pourquoi restez-vous en poste ? Vous ne pouvez pas agir, puisque vous êtes détestée, à juste titre, par la communauté éducative", lui lance le député écologiste Benjamin Lucas. La ministre ne se lève pas. "Je ne souhaite pas répondre à ces provocations", souffle-t-elle, selon le compte rendu de séance. "Moi, ce que j'ai vu ces derniers jours, c'est une ministre très fragile, qui fait des refus d'obstacle, qui refuse de répondre à des questions parlementaires, qui tente de laisser se tasser les choses plutôt que de monter au créneau", regrette encore aujourd'hui un député Renaissance. "Elle n'a pas trop de soutien dans le groupe, elle n'incarne pas grand-chose, donc les députés se disent qu'il n'y a pas trop d'intérêt à la soutenir", ajoute un conseiller ministériel.
"Ils la sous-évaluent"
L'entourage de la ministre se veut rassurant sur les doutes exprimés parmi les macronistes et assure que la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot, a appelé tout le monde à faire bloc lors de la réunion des porte-parole du groupe, le 16 janvier. "Laissons-la travailler, laissons-lui le droit à l'erreur", réclame ainsi la députée des Bouches-du-Rhône Anne-Laurence Petel. "Ceux qui s'en prennent à elle ne la connaissent pas, ils ont tort, ils la sous-évaluent", ajoute l'ancien ministre Eric Woerth.
"Elle a un gros potentiel politique, elle est tombée sur un os, mais on a été bien plus bienveillants avec d'autres."
Eric Woerth, député et ancien ministreà franceinfo
Rare rescapée de la société civile, Amélie Oudéa-Castéra bénéficie toujours pour le moment du soutien d'Emmanuel Macron. "Ça va lui coller longtemps à la peau, mais elle va s'en sortir", estime un proche du chef de l'Etat. "Le président de la République n'est pas le genre à abandonner ses troupes, on l'a bien vu lors des mises en examen d'Olivier Dussopt et d'Eric Dupond-Moretti", rappelle un conseiller ministériel. "Je sais que le degré de confiance du président est assez fort vis-à-vis d'elle et qu'il ne se laisse pas impressionner par ce type de chasse à l'homme", ajoute un député.
"Elle a fracassé tout le travail de Gabriel Attal"
Mais ils restent nombreux à réclamer une reprise en main rapide des dossiers liés à l'école, "mère des batailles" du nouveau gouvernement, selon les mots du nouveau Premier ministre. "En un jour, elle a fracassé tout le travail de Gabriel Attal à l'Education nationale", peste un conseiller ministériel. "Elle va nous faire perdre tout le crédit reconstitué avec les syndicats enseignants", s'emporte un député MoDem. "Si elle n'arrive pas à reprendre le fil, elle sera bouffée. Elle est attendue au tournant, déjà que certains ne comprennent pas qu'on ait fusionné trois ministères...", s'inquiète encore un député Renaissance qui se tourne déjà vers la grève annoncée le 1er février par plusieurs organisations syndicales de l'Education nationale.
"Si l'école se sur-mobilise après les sorties polémiques de la ministre, ça va être impossible, je ne vois pas comment on va tenir longtemps."
Un député Renaissanceà franceinfo
"Objectivement, ça va être compliqué, non pas en raison des articles de presse, mais en raison de la rupture avec l'écosystème, parce que s'ils lui foutent le bordel à chaque fois, ça va être intenable", juge un conseiller ministériel. En conséquence, ils sont plusieurs à plaider pour la nomination d'un ministre délégué à l'Education afin de venir en aide à la ministre. "S'ils lui flanquent un bon ministre délégué qui reprend la main, ils peuvent alors s'en sortir", estime un député. En attendant, la ministre va devoir apaiser le dialogue avec les syndicats. "La semaine dernière, elle a fait deux déplacements dans des écoles et a rencontré l'ensemble des syndicats, se rassure son entourage. Elle était encore lundi après-midi au travail avec les syndicats enseignants au ministère."
Mardi, Amélie Oudéa-Castéra était en déplacement près de Reims (Marne) dans un établissement scolaire et elle prévoit une nouvelle visite dans un établissement pour la journée de jeudi. "Le mot d'ordre, c'est l'immersion dans les dossiers et sur le terrain. Ce n'est pas parce qu'elle ne court pas les plateaux [de télévision] qu'elle n'est pas à l'offensive", ajoute son entourage. L'ancien espoir du tennis français va également tâcher de reconquérir l'opinion. Selon le baromètre Ipsos de janvier, elle se positionne en dernière position avec 6% au classement des meilleurs ministres du nouveau gouvernement.
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