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Comment une rumeur après la projection en classe d'un tableau représentant des femmes nues a révélé une situation de crise au sein d'un collège des Yvelines

Les professeurs ont exercé leur droit de retrait après un incident survenu en cours, lorsqu'une de leur collègue a montré à des élèves une peinture représentant des femmes nues. Une rumeur évoquant des propos racistes tenus par l'enseignante s'est ensuite propagée.
Article rédigé par franceinfo
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Le collège Jacques-Cartier d'Issou dans les Yvelines, le 11 décembre 2023. (MEHDI GHERDANE / LE PARISIEN / MAXPPP)

Des bruits de couloirs qui mettent au jour une crise de grande ampleur. Des enseignants du collège Jacques-Cartier d'Issou (Yvelines) ont exercé leur droit de retrait, vendredi 8 et lundi 11 décembre, après qu'une de leur collègue a été visée par une rumeur évoquant des propos racistes. Le gouvernement a réagi. Franceinfo revient sur les faits.

Tout commence en classe de français, jeudi. Face à une classe de 6e, une professeure montre Diane et Actéon, un tableau du XVIIe siècle d'un peintre italien, Giuseppe Cesari dit le Cavalier d'Arpin, sur lequel la déesse latine et ses nymphes sont représentées nues.

Trois élèves détournent alors le regard. Sur le moment, ces trois filles ne donnent aucune explication sur les raisons de leur réaction, selon les éléments recueillis par le rectorat de Versailles, communiqués à franceinfo mardi 12 décembre. De son côté, la professeure de français ne cherche pas à en savoir plus et ne leur pose aucune question. Le cours se termine.

"Petit à petit, ça monte"

Les événements s'emballent ensuite. Une rumeur, selon laquelle la professeure de français a tenu des propos racistes et islamophobes durant cette heure de cours, se propage au sein du collège. "Petit à petit, ça monte. Tout le monde commence à le croire. C'est un peu stressant d'avoir des rumeurs qui circulent, on ne sait pas trop ce qui est vrai ou faux", témoigne une élève de l'établissement sur franceinfo.

Une autre enseignante, professeure principale de cette classe de 6e, décide d'organiser un temps d'échange avec ses élèves pendant une heure de vie de classe, d'après les éléments recueillis par le rectorat de Versailles. Lors de cet échange, les trois filles qui ont détourné le regard disent avoir été "mal à l'aise" devant "les corps nus" du tableau, sans expliquer leur réaction par un motif religieux, toujours selon les éléments recueillis par le rectorat.

Elles reconnaissent avoir lancé une rumeur sur des propos supposés de leur professeure de français et présentent des excuses. Le rectorat précise que la tournure des événements a suscité de l'inquiétude chez l'enseignante visée par la rumeur, par ailleurs expérimentée.

"La blessure de l'assassinat de Samuel Paty" ravivée

La rumeur remonte jusqu'aux familles des élèves. "Certains parents sont montés au créneau : cela a pris une ampleur délirante et suscité une situation inacceptable", expose à franceinfo le président de l'Union des associations des parents d'élèves de l'enseignement public (Peep) de l'académie de Versailles. "Si le contexte était plus apaisé, cela serait quasiment passé inaperçu", estime Laurent Zameczkowski, qui précise ne pas avoir de référent au collège d'Issou. Ni la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), ni la présidente de l'association indépendante des parents d'élèves de l'établissement, n'ont pour l'heure répondu aux sollicitations de franceinfo.

"Quand vous avez une situation de défiance qui s'installe, une espèce de cercle vicieux se crée."

Laurent Zameczkowski, président de l'Union des associations de la Peep de Versailles

à franceinfo

Pour Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Syndicat général de l'Education nationale CFDT (SGEN-CFDT), la situation au collège Jacques-Cartier "ravive la mémoire et la blessure de l'assassinat de Samuel Paty, avec un démarrage qui y ressemble à s'y méprendre". "Forcément, le point de départ, c'est-à-dire un cours contesté par les élèves, des rumeurs qui circulent sur notre collègue, tout cela rappelle de mauvais souvenirs", a également abondé sur franceinfo Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU, mardi. C'est ce qui explique, selon elle, que cette "affaire ait eu un écho particulier" au sein d'une "profession durablement marquée".

"Un établissement qui appelait à l'aide"

Un tel contexte explique aussi pourquoi l'ensemble du personnel de l'établissement a exercé son droit de retrait. Ils ont repris le travail mardi et les cours ont eu lieu sans incident, selon le rectorat de Versailles.

Contactées par franceinfo mardi, deux enseignantes du collège ont préféré ne pas s'exprimer. Cependant, la professeure de français visée par la rumeur et ses collègues ont justifié leur recours au droit de retrait dans un courrier daté de vendredi adressé à la direction académique, que franceinfo a pu consulter. "Face à des faits de calomnies, de diffamation, une multiplication et aggravation des incidents et atteintes à la laïcité, nous avons été contraints d'exercer notre droit de retrait", écrivent les enseignants.

Les professeurs évoquent 16 incidents recensés depuis la rentrée, contre trois l'année dernière, ainsi que des mises en cause récurrentes et agressives par certaines familles des pratiques pédagogiques. Selon les informations de franceinfo, le principal a rédigé en novembre une lettre destinée aux parents, pour tenter de mettre fin à des comportements jugés déplacés. "C'est un établissement scolaire qui appelait à l'aide depuis au moins le 1er décembre", rapporte la représentante du SGEN-CFDT, qui évoque un "manque personnel de vie scolaire, une CPE [conseillère principale d'éducation] à 80% et un établissement qui accueille un plus grand nombre d'élèves que la capacité pour laquelle il a été construit".

"C'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase dans un climat scolaire très dégradé."

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU

à franceinfo

Les enseignants du collège Jacques-Cartier d'Issou "disent aussi que c'est terriblement révélateur d'en arriver là, pour obtenir ne serait-ce que l'attention de l'institution, et pour obtenir des moyens", continue Sophie Vénétitay.

Le cri d'alarme lancé par les équipes semble en tout cas avoir été entendu : le ministre de l'Education, qui s'est rendu au collège lundi après-midi, a annoncé que des postes seraient mis en place en "renfort des équipes de vie scolaire", "un poste de CPE, mais aussi des renforts s'agissant des assistants d'éducation et d'AESH [accompagnants des élèves en situation de handicap]".

Une procédure disciplinaire à l'encontre des trois élèves

Dans le même temps, Gabriel Attal a décrété le déploiement d'une équipe académique "valeurs de la République" au collège. Un binôme est arrivé sur place mardi, confirme le rectorat de Versailles à franceinfo. Il est chargé d'échanger et de former le personnel de la direction sur la laïcité. Ces deux personnes sont aussi venues en appui d'un temps d'échanges avec les professeurs, afin de répondre aux questions des élèves à ce sujet. "Leur intervention sera reconduite tant que la direction du collège le jugera nécessaire", souligne le rectorat.

En outre, "une procédure disciplinaire" a été lancée "à l'endroit des élèves responsables de cette situation et qui ont d'ailleurs reconnu les faits", selon le ministre de l'Education. Mardi, lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, Gabriel Attal a précisé que cette procédure avait été ouverte le matin. Charge désormais au principal, qui se trouve pour l'instant en arrêt-maladie jusqu'à la fin de la semaine, comme son adjointe, de décider d'éventuelles sanctions.

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