"Noire n'est pas mon métier" : 16 actrices signent un livre-manifeste pour une représentation plus juste au cinéma
Elles ont répondu à l'appel de l'actrice Aïssa Maïga. Dans "Noire n'est pas mon métier", elles témoignent du racisme et du sexisme qu'elles subissent en tant que femmes et Noires.
Elles interpellent le milieu du cinéma à quelques jours de l'ouverture du festival de Cannes : 16 comédiennes noires françaises, dont Firmine Richard ou Sonia Rolland, répondent à l'appel d'Aïssa Maïga. Ensemble, jeudi 3 mai, elles publient un livre collectif qui sonne comme un manifeste : Noire n'est pas mon métier (éd. Seuil). À travers leurs histoires et leurs parcours, ces actrices passionnées par leur métier témoignent du double plafond de verre – racisme et sexisme – qu'elles subissent en tant que femmes et Noires.
Le livre est un appel à une représentation plus juste de la société française au cinéma, au théâtre, à la télévision et dans le domaine culturel en général.
MY PROFESSION IS NOT BLACK#NoireNestPasMonMétier
— Aïssa Maïga (@AissaMaiga) 27 avril 2018
May 3rd #diasporact pic.twitter.com/FtmUuauzOd
"Plus de 300 films français sont produits chaque année", rappelle Aïssa Maïga. Les comédiennes noires y sont rares. Elles ne sont pratiquement jamais à l'affiche. Aïssa Maïga, que l'on a vue devant la caméra de Cédric Klapisch, Abderrahmane Sissako ou Michael Haneke, reconnaît être "l'une des rares à accéder à des rôles et à une notoriété" dans un milieu où le manque de diversité est encore criant.
La plupart du temps, les rôles proposés sont encore stéréotypés : "Mamas en boubous", mère célibataire à problèmes, prostituées... "Une couleur de peau n'est pas un métier", répète Aïssa Maïga. Les 16 actrices qui témoignent dans ce livre rappellent que leurs parcours, leurs talents et leurs expériences sont multiples, mais que cette richesse est toujours invisible au cinéma. Pour beaucoup d'entre elles, percer dans ce milieu signifie surmonter des obstacles infinis. Elles le racontent dans Noire n'est pas un métier. Un florilège d'anecdotes parfois sidérantes, parfois drôles, écrites dans l'urgence, dans un contexte où la parole des femmes se libère.
"Vous parlez africain ?"
La comédienne Nadège Beausson-Diagne, 25 de carrière (Plus belle la vie notamment) et passée par le Conservatoire, raconte ce qu'elle a entendu lors de castings : "Vous parlez africain ?", "Pour une Noire, vous êtes vraiment intelligente, vous auriez mérité d'être blanche" ou encore "Oh, la chance, d'avoir des fesses comme ça : Vous devez être chaude au lit, non ?".
Firmine Richard, révélée au grand public en 1988 avec le film Romuald et Juliette, de Colline Serreau, et qui a joué dans La première étoile (2008) et Huit femmes (2001), dit avoir participé au livre pour la relève, pour "les plus jeunes" qui entrent dans le métier. "Quand on est Noir tout court, en France, il y a un plafond de verre, que ce soit dans le cinéma ou dans les entreprises", dit-elle. Cela fait 30 ans qu'elle est dans le métier : "Une chance", confie Firmine Richard, tout en estimant que le manque de reconnaissance passe aussi par les rémunérations.
Nous ne sommes pas des cautions, ni des faire-valoir.[Il faut] que l'on nous paie à notre juste valeur.
Firmine Richard, actriceà franceinfo
"Dans une comédie à succès, nous étions quatre comédiennes principales, se souvient Firmine Richard. J'ai appris que l'une d'elles, et je ne parle pas de l'actrice vedette, était cinq fois mieux payée que moi pour un nombre de jours de tournage équivalent. Elle-même était très choquée de découvrir la différence de salaire entre nous deux."
"Le droit à la banalité"
Les jeunes actrices, comme Karidja Touré, 24 ans, dont le premier rôle au cinéma était dans Bande de filles (2014), de Céline Sciamma, ou encore Eye Haïdara, à l'affiche du Sens de la fête (2017), d'Éric Toledano et Olivier Nakache (plus de 3 millions d'entrées), revendiquent un "droit à la banalité" : le droit de jouer toutes les femmes au cinéma ou au théâtre. Ces dernières années, "il y a une légère évolution, je préfère rester optimiste", note tout de même Karidja Touré. "L'avenir du cinéma français est irrémédiablement métissé", martèle de son côté Aïssa Maïga.
Ce livre est un pavé dans la mare, mais c'est aussi une main tendue à nos pairs, directeurs de castings, réalisateurs, scénaristes, financiers. C'est une occasion de les amener à s'interroger, sans culpabiliser.
Aïssa Maïga, actriceà franceinfo
C'est ce message que les 16 comédiennes viendront porter sur le tapis rouge du festival de Cannes 2018, du 8 au 19 mai.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.