Cet article date de plus de dix ans.

Pourquoi l'intégration est la nouvelle épine dans le pied du gouvernement

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, s'apprête à donner un discours sur la lutte contre la pauvreté, le 24 janvier 2014 à Cergy-Pontoise (Val-d'Oise).  (THOMAS SAMSON / AFP)

Matignon présente ce mardi sa feuille de route pour "la refondation de la politique d'intégration". Un chantier qui s'annonce chaotique. 

Tous les ministres y sont conviés. Matignon dévoile, mardi 10 février, sa feuille de route pour "la refondation de la politique d'intégration". Le gouvernement devrait ainsi présenter une série de mesures visant à améliorer l'intégration des immigrés. Un vaste programme dont la présentation s'annonce à haut risque pour le gouvernement. 

Parce que son contenu fait déjà grincer des dents

Les 44 propositions de cette feuille de route ont déjà filtré dans la presse. Ainsi, selon Le Figaro et i-Télé, qui se sont procuré le document de travail sur lequel va plancher le gouvernement, des opérations de testing seraient prévues en matière de santé pour lutter contre les refus de soins. Au sein de l’administration, l’une des pistes envisagées consisterait à "ouvrir et élargir les concours à des populations pour lesquelles la fonction publique reste trop souvent méconnue". Le gouvernement songe aussi à la création d’un office franco-maghrébin pour la jeunesse ou encore la mise en avant de certaines langues, comme l'arabe, le mandarin et l'hindi.

Selon Matignon, la future politique d'intégration reposera sur deux piliers : "l'accueil des primo-arrivants" et la "lutte contre les discriminations". Pour coordonner les différentes mesures, un haut-commissaire à l'intégration, un commissariat général ou un délégué interministériel serait créé, note Le Monde. L'idée s'attire déjà les foudres du député PS Malek Boutih. L'ancien président de SOS Racisme y voit des relents de Tintin au Congo, album jugé raciste et marqué par le colonialisme.

Le contenu de cette feuille de route sera donc scruté de près. D'autant que fin 2013, la publication d'un rapport d'experts sur l'intégration avait été très mal accueillie. Le texte, commandé par le Premier ministre, proposait notamment de supprimer la loi interdisant le port du voile à l'école.

A quelques heures de la présentation, l'entourage de Jean-Marc Ayrault se veut donc rassurant, indique Le Figaro. Matignon rappelle qu'il ne s'agit que d'un "texte de travail qui reprend les propositions de l'ensemble des ministères sur le sujet. Tout ne sera pas gardé. D'autres propositions seront ajoutées."

Parce que la droite y voit une nouvelle "division"

Et pour cause. A droite, Jean-François Copé ne voit pas d'un très bon œil ce nouveau débat. Le président de l'UMP met en garde le gouvernement et craint que la France perde "toute la volonté de vivre ensemble""Je trouve indécent que Jean-Marc Ayrault remette sur la table cette semaine des propositions sur l'intégration qui sont du copié-collé de rapports qu'avec un certain nombre de mes amis, nous avions dénoncés à l'Assemblée comme au Sénat", déplore-t-il. 

Pour François Baroin, cette feuille de route risque d'ajouter à la division, après l'âpre débat sur la loi famille"Je demande vraiment au gouvernement de rentrer dans un schéma d'apaisement. Il faut qu'il arrête de placer des bûches dans le foyer de la division nationale", estime le député UMP de l'Aube. Un avis partagé par Kamel Hamza, élu UMP et président de l'Association nationale des élus locaux de la diversité (Aneld). "Il faut arrêter de traiter ces sujets avant les élections, quand tout le monde se crispe", juge-t-il. 

De son côté, Marine Le Pen voit dans cette feuille de route "un contenu qui créera à nouveau dans notre pays la contestation, la division (...)". Conséquence : la gauche se montre prudente. Le patron des députés PS, Bruno Le Roux, appelle ainsi à un débat "maîtrisé" sur l'intégration. 

Parce que l'opinion n'est pas acquise à la cause

Cette mission ne sera pas chose aisée, compte tenu de la crispation des Français sur ces questions. Un sondage BVA, réalisé pour i-Télé, CQFD et Le Parisien/Aujourd'hui en France, révèle que 67% de Français estiment que la discrimination positive ne serait pas une bonne idée. Et que 77% pensent que "ce sont avant tout les personnes étrangères qui doivent se donner les moyens de s'intégrer".

Une autre enquête récente d'Ipsos, publiée en janvier, montre bien la défiance des Français vis-à-vis de l'immigration. Plus de 70% des personnes interrogées jugent qu'il y a "trop d'étrangers en France". Elles sont 62% à estimer que l'on "ne se sent plus chez soi comme avant"

Parce que le timing ne joue pas en sa faveur

Pas sûr que la date choisie aide le gouvernement à apaiser les esprits. La présentation de sa feuille de route intervient en effet dix jours seulement après le recul sur la loi famille, dossier sensible qui a ébranlé la majorité. Le gouvernement a dû repousser sine die la présentation de ce projet de loi porté par la ministre de la Famille, Dominique Bertinotti, après une importante mobilisation des partisans de La Manif pour tous.

Cette réunion survient aussi dans un climat européen tendu concernant la question de l'immigration, deux jours après le "oui" suisse au référendum sur la mise en place de quotas. Ce vote a fait réagir côté français et révèle la fracture entre la gauche et la droite sur ce dossier. Alors que Manuel Valls y voit "un signe préoccupant d'un repli sur soi", François Fillon juge "parfaitement naturel" que la Suisse veuille limiter son immigration. L'ancien Premier ministre a plaidé, sur BFMTV, pour que la France fasse de même et pointé "un blocage de l'intégration lié au nombre" d'étrangers accueillis.

Enfin, la présentation de ces mesures tombe en pleine campagne pour les élections municipales. L'objectif s'annonce donc délicat pour le gouvernement, qui devra se saisir de ce dossier brûlant sans ouvrir un nouveau front de contestation à quelques semaines du premier tour.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.