Panthéon : comment la France écrit-elle son histoire à travers celle de ses "grands hommes" ?
Quatre résistants entrent au Panthéon mercredi 27 mai. Quel est le sens de cette cérémonie ? Que signifie exactement la panthéonisation de grandes figures ? Les explications de l'historien Christophe Prochasson.
Quatre d'un coup. Mercredi 27 mai, le président de la République, François Hollande, fait entrer quatre résistants au Panthéon, lors d'une cérémonie parfaitement paritaire. La panthéonisation 2015 comprend en effet deux hommes, Pierre Brossolette (1903-1944) et Jean Zay (1904-1944), et deux femmes, Geneviève de Gaulle-Anthonioz (1920-2002) et Germaine Tillion (1907-2008).
Quel est le sens de ce rituel inauguré avec Mirabeau et Voltaire en 1791, sous la Révolution ? La panthéonisation sert-elle encore à quelque chose ? Quelle histoire de France peut être lue à travers les "grands hommes" honorés dans l'église Sainte-Geneviève transformée en nécropole ? Francetv info a posé ces questions à l'historien Christophe Prochasson, qui a dirigé, avec Vincent Duclert, un Dictionnaire critique de la République (Flammarion).
Francetv info : En quoi la panthéonisation de quatre résistants s'inscrit-elle dans une continuité ? Et en quoi marque-t-elle une rupture ?
Christophe Prochasson : La nouveauté la plus frappante cette année, c'est la parité en termes de genre. Sur 71 personnalités jusqu'ici honorées au Panthéon, une seule femme, la scientifique Marie Curie, y est entrée pour ses mérites personnels, en 1995, sous François Mitterrand [une autre femme, Sophie Berthelot, y est inhumée aux côtés de son époux Marcellin Berthelot, mais pas honorée]. Jusqu'à maintenant, à cette exception près, les "grands hommes", c'était des hommes, et non des femmes.
Pour le reste, cette panthéonisation s'inscrit dans une continuité certaine ! On est vraiment dans la tradition des "grands hommes" : les quatre résistants panthéonisés en mai sont à la fois de grandes figures politiques et de grandes figures intellectuelles. Ils incarnent aussi la continuité du courage, intellectuel ou politique, et de l'héroïsme puisqu'ils se sont dressés contre un ordre établi.
Quel est le sens d'une panthéonisation ?
C'est une geste républicaine traditionnelle qui vise à renforcer le sentiment d'appartenance à la République, à la nation et à la patrie. Une panthéonisation est l'occasion pour le chef de l'Etat ou son représentant de prononcer un discours fort. L'exemple le plus célèbre est bien sûr, en 1964, celui du ministre de la Culture, André Malraux, lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
Son efficacité, elle, est difficile à mesurer. Il est impossible de dire si les gens qui participent à cette cérémonie collective sont touchés, à quelques exceptions près. Pour la panthéonisation de Jean Jaurès, en 1924, dix ans après sa mort, ou pour celle, immédiate, de Victor Hugo en 1885, la foule était immense. Pour l'écrivain, le spectacle a fait la preuve de son efficacité : funérailles nationales, corps exposé sous l'Arc de triomphe et cortège interminable derrière le cercueil jusqu'au Panthéon.
Mais ce dispositif atteint-il vraiment son objectif, enraciner la République dans les cœurs ? Là, je serais plus prudent.
Ces panthéonisations permettent-elles de faire une lecture cohérente de l'histoire de France depuis la Révolution ?
Non. Les ressorts de la panthéonisation ne sont pas les mêmes sous l'Empire, sous la IIIe République ou aujourd'hui. Qu'y a-t-il de commun entre le chimiste Marcellin Berthelot, l'homme politique Jean Jaurès, le romancier Alexandre Dumas ? Le Panthéon montre un état d'esprit à un moment donné. Il essaie d'essentialiser la République, mais celle-ci a une histoire qui n'est pas faite de messages uniques.
Il faut d'abord rappeler que la panthéonisation n'est pas strictement républicaine, puisque c'est Napoléon Ier qui a réactivé cette pratique révolutionnaire. Plus de la moitié de ceux qui sont honorés au Panthéon ont été inhumés sous le Premier Empire, pour la plupart des militaires. Puis il y a eu une interruption [à l'exception de l'entrée de l'architecte du bâtiment, Jacques-Germain Soufflot, sous la Restauration, en 1829] jusqu'à la IIIe République.
Sous la IIIe République, ce sont les députés qui décident des panthéonisations. Le régime est en quête d'un système symbolique qui fasse vivre la République dans les cœurs, avec une résonance presque charnelle. Mais, encore marqués par la monarchie et l'Empire, les républicains se méfient énormément de la personnalisation, de l'incarnation du régime dans un individu. Ils apprécient donc la pratique de la panthéonisation, qui permet d'honorer un homme après sa disparition. Vivant, on s'en méfie. Pour l'essentiel, la IIIe République s'est célébrée elle-même, en y envoyant plutôt les grands hommes politiques, comme le président du Conseil Léon Gambetta. Mais elle a aussi fait le choix, en 1908, de l'écrivain Emile Zola, qui avait défendu le capitaine Dreyfus.
Et sous la Ve République ?
Nous sommes revenus à une situation impériale puisque le président de la République, redevenu un personnage fort qui incarne la nation, décide, seul, de la panthéonisation. Le choix est plus hétéroclite. Le général de Gaulle a par exemple choisi le résistant Jean Moulin. François Mitterrand a décidé d'honorer des hommes défendant des idées, comme René Cassin (corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l'homme) ou Jean Monnet (partisan d'un fédéralisme européen). Jacques Chirac, lui, a célébré des écrivains, comme André Malraux ou Alexandre Dumas.
Le Panthéon proposerait donc plutôt une succession de modèles, d'"images pieuses" ? Cela fonctionne-t-il encore ?
Oui, la panthéonisation, par définition, tente de construire un spirituel républicain, un fonds d'images et de références communes à tous les citoyens. Mais on peut s'interroger aujourd'hui sur l'adéquation de cette démarche à notre sensibilité contemporaine. On est entré dans un âge sceptique et critique où l'on est perplexe sur tout. Même si ces "grands hommes" sont grands, ils ont sans doute des petitesses qui font qu'on ne peut pas vraiment les considérer comme des "grands hommes".
Depuis le tournant des années 1970, il devient difficile de fabriquer des "grands hommes" à l'ancienne. Nos sociétés se sont énormément démocratisées, avec cette question : comment accepter que des hommes soient plus grands que d'autres puisque la démocratie, c'est d'abord le régime des égaux ?
On a du mal à "fabriquer" des "grands hommes", mais aussi à "fabriquer" de l'histoire. François Hollande va célébrer quatre résistants. L'histoire de France s'est-elle arrêtée en 1945 ?
L'histoire est faite de périodes de guerres et de révolutions, mais, depuis 1945, la France est entrée dans une longue histoire de paix et de stabilité. Les moments d'héroïsme, de grandeur historique, sont plus difficiles à trouver.
La vie intellectuelle et scientifique reste un espace où peut s'exprimer la grandeur, mais avec des limites. D'abord, les révolutions scientifiques sont beaucoup plus collectives qu'avant. Ensuite, dans le domaine culturel, la France, qui a un peu régné sur le monde comme grande puissance après la Révolution, a perdu de son rayonnement international.
Pour poser la question abruptement : la panthéonisation a-t-elle un avenir ?
C'est un dispositif qui n'est plus que formel, voire formaliste. Il ne semble pas promis à un grand avenir. D'ailleurs, le délai entre deux panthéonisations tend à s'accroître. François Mitterrand a fait entrer sept personnalités au Panthéon, Jacques Chirac deux, Nicolas Sarkozy aucune [il a toutefois inauguré une inscription en l'honneur du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire]. Là, si François Hollande en fait entrer quatre, c'est plus pour satisfaire différents groupes que pour pérenniser l'institution.
La panthéonisation "à la papa", telle qu'elle s'est pratiquée jusqu'ici, ne correspond plus aux codes culturels d'aujourd'hui. Le Panthéon ne symbolise plus la République du "vivre-ensemble" que veut promouvoir le pouvoir.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.