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"On va rattraper dix ans de retard" : les associations saluent la volte-face de la majorité sur le congé de deuil parental

Après avoir suscité un tollé en rejetant l'allongement du congé pour le deuil d'un enfant, les députés de la majorité proposent de le porter à trois semaines.

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Parents pleurant la mort d'un enfant, colonne sculptée en 1340 -1355 sur le Palais des Doges, à Venise.  (MANUEL COHEN / MANUEL COHEN)

"La portée des propositions est vraiment à la hauteur de la bourde initiale", lâche Olivier Milot, responsable de la communication de l'association Apprivoiser l'absence. Ce dernier fait référence aux avancées du gouvernement sur le congé de deuil parental, depuis le 30 janvier dernier. Ce jour-là, les députés LREM avaient voté contre l'instauration d'un congé de 12 jours au lieu de 5 pour les parents endeuillés. Un refus qui a suscité un tollé du côté de l'opposition et sur les réseaux sociaux. Deux jours plus tard, le président Emmanuel Macron a appelé la majorité à "faire preuve d'humanité". Depuis, les députés LREM ont fait amende honorable en proposant notamment un congé universel de trois semaines.

Eviter un arrêt maladie

Jeudi 13 février, des associations d'accompagnement des parents endeuillés doivent rencontrer Adrien Taquet, le secrétaire d'Etat chargé de la Protection de l'enfance, et devraient discuter de cette nouvelle proposition. Une mesure qui fait partie d'un "plan complet" traitant également du coût des obsèques et de "l'accompagnement des familles vers le retour à l'emploi". Un "début de reconnaissance" salué par les associations.

"On est tous d'accord pour dire que cinq jours, douze jours ou trois semaines ne régleront pas la souffrance des parents", remarque Nathalie Paoli, présidente de l'association Le Point rose.

Mais c'est un début de reconnaissance de ce deuil par la société. Cela a une valeur presque thérapeutique.

Nathalie Paoli

à franceinfo

Cette absence de 15 jours ouvrés – nommée "répit de deuil" – pourrait concerner plus de 5 000 familles par an, souligne cette maman qui a perdu une de ses filles il y a cinq ans. La dernière enquête de l'Insee sur le sujet, publiée en 2016, faisait état de 5 932 enfants de moins de 24 ans morts cette année-là, dont 2 540 avaient moins d'un an.

Lorsque ces parents endeuillés reprennent leur travail, ils sont parfois "tellement mal" qu'ils demandent à bénéficier d'un arrêt maladie, relève Marie-Christine Priollaud, présidente de l'association L'Arc en ciel, "ce qui implique un caractère pathologique à leur absence alors que le deuil est un processus naturel".

Ce temps de 'répit de deuil' doit être reconnu par l'Etat au même titre que le congé pour une naissance ou tout autre événement de vie. Cela permettrait de reconnaître ce statut particulier qui n'est pas pathologique comme un congé maladie.

Marie-Christine Priollaud

à franceinfo

Les trois porte-parole associatifs contactés par franceinfo veulent voir dans ce nouveau projet de texte une avancée sur un sujet de société qui doit "dépasser le débat politique", précise Olivier Milot. "J'espère ne pas me tromper mais j'ai l'impression qu'en quelques semaines on va rattraper dix ans de retard."

Davantage de compassion de l'Etat

"Comment nommer un parent qui a perdu son enfant ?" Les associations posent la question car aucun mot n'existe. Selon Nathalie Paoli, cette absence de vocabulaire s'explique : "Il n'y avait aucune utilité administrative de faire exister ces enfants défunts"Pas de pension de réversion comme pour une veuve ou encore pas de case pour signaler la mort d'un enfant dans une déclaration d'impôts, si ce n'est de ne plus cocher la case "enfant". Cette absence de statut spécifique est "difficile à vivre" pour les parents qui perdent un enfant, constatent les associations.

Il faut faire exister ce statut parce qu'il y a une utilité humaine derrière. Créer les cases, c'est une clé d'aide et de résilience pour les parents et la société a un devoir de solidarité.

Nathalie Paoli

à franceinfo

Les associations ne pointent pas pour autant l'administration du doigt, estimant qu'elle fait "ce qu'elle peut dans cette situation délicate". Mais elles restent attentives aux mesures qui seront mises en place par le gouvernement concernant notamment la diminution progressive des aides liées à l'enfant défunt.

C'est violent quand la caisse des allocations familiales vous réclament le trop-perçu quelques semaines après la mort de votre enfant.

Nathalie Paoli

à franceinfo 

L'autre mesure phare annoncée dans le projet est la mise en place d'une aide financière universelle. Cette somme d'un montant de "3 000 euros serait versée directement aux entreprises de pompes funèbres". Ce qui n'est pas une "bonne idée", relève Olivier Milot. "Il faut la verser directement aux familles afin d'éviter une inflation des coûts funéraires. Et veiller à ce que cette somme soit insaisissable pour les parents qui sont dans une situation financière compliquée", note le porte-parole d'Apprivoiser l'absence.

Les frais d'obsèques sont une "vraie difficulté" pour les familles qui n'ont pas toujours des assurances ou des mutuelles adaptées. Ces dernières mettent un point d'honneur à pouvoir faire un dernier cadeau à leur enfant, constatent les associations, et ils n'osent pas toujours demander de l'aide. "Cela serait une grande avancée si l'enfant pouvait être intégré dans la mécanique du capital décès. Les parents en bénéficieraient sans la réclamer", note la présidente du Point rose.

Sensibiliser la société au deuil

Si les associations applaudissent la volonté du gouvernement, elle relèvent aussi des manques dans le projet de texte. Ce dernier fait référence au deuil des parents et des conjoints "mais la fratrie est oubliée", note avec amertume Olivier Milot. "Les frères et sœurs, on en parle jamais. Alors qu'ils essaient souvent de protéger les parents en intériorisant leur souffrance." Selon ce dernier, ils devraient bénéficier eux aussi d'un congé lors de la perte d'un frère ou d'une sœur.

D'autre part, la mesure d'accompagnement psychologique, qui "est une mesure très intelligente", relève Olivier Milot, n'intègre pas les associations. "Alors que depuis une trentaine d'années nous participons à la politique de santé de publique en accompagnant les familles en deuil."

Il serait utile de créer un numéro vert disponible 24 heures sur 24, comme celui du suicide. Ainsi qu'un forum d'échange où l'on pourrait rediriger les personnes vers une association près de chez elles.

Olivier Milot

à franceinfo

Pour ces accompagnants, il faut aller plus loin encore en sensibilisant la société au deuil. Notamment dans les entreprises en formant les responsables des ressources humaines et les médecins du travail. Mais aussi en formant le personnel soignant qui est "très demandeur" et qui "est souvent démuni face au deuil des parents", remarque Olivier Milot.

Les nouvelles propositions de la majorité seront discutées au Sénat début mars. En attendant, à l'occasion de l'entrevue programmée ce jeudi avec le secrétaire d'Etat Adrien Taquet, les porte-parole d'association espèrent pouvoir "rebondir et enrichir" le nouveau projet du gouvernement.

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