: Vidéo Comment les Etats-Unis ont menti pour légitimer la guerre du Golfe en 1990
La vérité est-elle possible en politique ? L'exercice du pouvoir induit-il forcément de mystifier la réalité ? A l'heure des fake news, parfois relayées par les politiciens, le documentaire Mensonges en politique, écrit et réalisé par les journalistes Patrick Cohen et Dimitri Queffelec, diffusé dimanche 29 septembre à 21h05 sur France 5, ausculte en détail quatre mensonges majeurs qui ont marqué l'histoire contemporaine.
A travers le cancer de François Mitterrand passé sous silence durant ses deux mandats, les supposées armes de destruction massive détenues par l'Irak, ou encore l'affaire Monica Lewinski, le film interroge les raisons pour lesquelles la politique échappe à l'exigence de la vérité, les répercussions des mensonges d'Etat, ainsi que la nécessité de lutter contre les fausses informations.
Le documentaire s'attarde également sur un épisode oublié ou méconnu : les mensonges qui ont amené une coalition de 35 pays, dont la France, sous l'impulsion des Etats-Unis, à défendre militairement le Koweït lors de la première guerre du Golfe.
La manipulation par l'émotion
En 1990, Saddam Hussein, alors à la tête de l'Irak, décide d'envahir et d'annexer le Koweït sur fond de chute du cours du pétrole et de refus de l'annulation d'une dette de 80 milliards de dollars. Le président américain George H.W. Bush décide de freiner les ambitions du chef d'Etat irakien et menace d'envoyer des troupes au Koweït. La population américaine, traumatisée par la guerre du Vietnam, manifeste son hostilité à l'idée d'un conflit. Se dessinent alors les contours d'un scénario monté de toutes pièces par l'administration Bush et le gouvernement koweïtien, afin de retourner l'opinion publique en leur faveur et de convaincre les autres pays de prendre les armes.
A l'époque, le grand reporter Alain Hertoghe couvre ce sujet pour La Croix. Il raconte dans le documentaire que, lors d'une réunion publique du Congrès américain sur les supposées violations des droits de l'homme commis par les Irakiens au Koweït, une jeune femme prénommée Naïra s'était présentée comme une infirmière koweïtienne volontaire et avait témoigné. "J'ai vu des soldats irakiens entrer dans l'hôpital avec des armes. (...) Ils ont emporté les couveuses et ont laissé les bébés mourir sur le sol froid", déclare la jeune femme en larmes, citant le chiffre de 15 nouveau-nés tués.
"Elle provoque une indignation. (...) Le public est ému et ça va être largement médiatisé dans tous les Etats-Unis."
Alain Hertoghe, ancien journalistedans le documentaire "Mensonges en politique"
Les images de son intervention, que l'on voit dans le documentaire, renforcent la cause de Citoyens pour un Koweït libre, une association créée par le gouvernement koweïtien en exil afin de sensibiliser le monde sur la situation de le pays. Le président Bush lui-même relaye les propos de la supposée jeune infirmière dans de nombreux meetings, afin de démontrer la cruauté de l'armée irakienne et légitimer la guerre.
Deux jours avant que le Conseil de sécurité de l'ONU ne statue sur la légitimité de recourir à la force afin de libérer le Koweït des griffes de l'Irak, un nouveau témoin est auditionné devant ses instances, se souvient Alain Hertoghe dans le documentaire : un chirurgien koweïtien, qui affirme que ce ne sont pas 15, mais 120 nouveau-nés prématurés qui ont trouvé la mort. "J'ai moi-même enterré 40 nouveau-nés qui avaient été sortis de leurs couveuses par les militaires", assure le médecin.
D'autres témoignages affluent par la suite, ainsi qu'un rapport accablant d'Amnesty International qui révèle qu'en fait, ce sont plus de 300 bébés qui ont perdu la vie. La barbarie des soldats irakiens explose aux yeux du monde, la guerre du Golfe est déclenchée le 2 août 1990. Le 28 février 1991, elle se terminera avec succès avec l'opération "Tempête du désert" .
Des journalistes abusés
Une fois le Koweït libéré, le grand reporter Alain Hertoghe se rend sur place afin de rendre compte des exactions commises par les forces irakiennes. "J'ai commencé par les couveuses, confie le journaliste. Je rencontre alors le sous-chef de service à la maternité de Koweït-City qui me dit : 'Effectivement, dans mon service, il y a 150 couveuses. Mais il n'y a pas eu d'incidents autour des couveuses, il n'y a pas eu d'incidents autour des bébés.'" La vérité sidère les journalistes qui ont été instrumentalisés pour relayer une fable au service de la guerre.
Patricia Allémonière travaillait à l'époque pour TF1. La reporter de guerre avait interviewé à Londres une supposée médecin koweïtienne qui racontait la même histoire de bébés morts.
"Aujourd'hui, on sait que derrière toute cette histoire de bébés, il y avait une agence de communication américaine. (...) Ces interviews ont été en quelque sorte téléguidées et organisées des Etats-Unis vers les pays occidentaux pour renverser l'opinion publique."
Patricia Allémonière, journalistedans le documentaire "Mensonges en politique"
Au fil des mois, les journalistes découvrent donc que le supposé chirurgien qui avait témoigné aux Nations unies était orthodontiste et que Naïra, la jeune infirmière en pleurs, n'était autre que la fille de l'ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis.
Le documentaire Mensonges en politique, écrit et réalisé par les journalistes Patrick Cohen et Dimitri Queffelec, est diffusé dimanche 29 septembre à 21h05 sur France 5 et france.tv.
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